Retraites : « Le gouvernement piétine la démocratie »

La députée Aurélie Trouvé défilera aux côtés des manifestants le 6 juin, lors d'une nouvelle mobilisation contre la réforme des retraites. - Carine Schmitt / Hans Lucas via AFP
La députée Aurélie Trouvé défilera aux côtés des manifestants le 6 juin, lors d'une nouvelle mobilisation contre la réforme des retraites. - Carine Schmitt / Hans Lucas via AFP
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Politique Luttes RetraitesAlors que l’Assemblée s’apprête à examiner un amendement pour abroger la réforme des retraites, une nouvelle manifestation est prévue le 6 juin. « Une pression très utile », juge Aurélie Trouvé, députée LFI, qui y participera.
Aurélie Trouvé est députée la France insoumise (LFI) de la 9e circonscription de Seine-Saint-Denis et militante altermondialiste.
Reporterre — Le 8 juin, à l’Assemblée nationale, le groupe centriste Liot va déposer un amendement pour supprimer le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Le camp présidentiel a tout fait pour torpiller cette proposition avant qu’elle ne soit débattue dans l’hémicycle. Que nous disent ces manœuvres ?
Aurélie Trouvé — Nous sommes dans le paroxysme de l’ultra-libéralisme autoritaire. Pour faire passer des politiques de plus en plus brutales sur le plan social, le gouvernement recourt aux techniques légales les plus discutables de la Constitution et du règlement de l’Assemblée qui, lorsqu’elles s’articulent comme au cours des derniers mois, amènent à faire le constat d’une forme d’impasse despotique de la 5e République.
Le gouvernement — et la présidence de l’Assemblée nationale — musellent les voix qui tentent de s’opposer à leur projet. Il le fait par une répression policière et judiciaire du mouvement social, que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin assume pleinement. Il le fait en piétinant la démocratie sociale, en ignorant superbement les revendications des syndicats de salariés ou en refusant de les recevoir lorsqu’ils le demandent, puis en les convoquant sur d’autres sujets. Il le fait aussi, aujourd’hui, en piétinant la démocratie parlementaire, en faisant en sorte qu’une majorité d’élus ne puissent pas s’exprimer. C’est grave parce que tous les canaux de la démocratie sont entravés, et que cela démonétise complètement les institutions représentatives aux yeux de nos concitoyens.
Vous manifesterez contre la réforme des retraites le 6 juin. Cette mobilisation peut-elle encore changer la donne ?
C’est une pression très utile à la veille de décisions sur la recevabilité de la loi pour abroger la réforme des retraites, même s’il y a peu de chances que ça influe sur les décisions qui seront prises dans les 48 heures suivantes. C’est essentiel pour montrer que les gens sont toujours farouchement opposés à la réforme, et qu’ils n’acceptent pas ce coup de force contre la démocratie parlementaire.
Les collectifs écologistes sont encore mobilisés contre la réforme des retraites, et défileront derrière la bannière de l’alliance écologique et sociale. Comment interprétez-vous cette présence ?
C’est le symbole d’une montée en puissance. Au moment des Gilets jaunes, c’était sans doute la première fois que s’exprimait fortement, dans la rue, l’idée qu’urgence écologique et sociale étaient intimement liées, autour du slogan « Fin du monde, fin du mois, même combat ». Il y a eu, depuis, un gros travail de fond, avec notamment le collectif Plus jamais ça, qui unit les syndicats de salariés et les ONG écologistes. Cette articulation est devenue plus solide, avec l’idée qu’il fallait répondre aux deux en même temps, que la justice climatique demande de la justice sociale, et vice-versa.

La présence des mouvements écologistes contre la réforme des retraites est une forme d’approfondissement. Chaque mobilisation est l’occasion de rappeler que les premières victimes de la crise écologique sont les classes les plus populaires. Et qu’en même temps, les premiers responsables de la crise climatique sont les ultrariches. Par conséquent, l’accroissement des inégalités sociales mène à l’exacerbation de la crise écologique. Or, cette réforme des retraites est une réforme qui casse les pauvres, et augmente les inégalités sociales.
C’est aussi, je pense, un moment important pour débattre du temps libre, c’est-à-dire libéré du travail. De dire que ce temps est riche, que la plupart des bénévoles sont des gens à la retraite, et que l’épuisement du modèle productiviste oblige à interroger le sens et la signification du travail dans notre société : faut-il vraiment travailler autant quand nous détruisons la planète ce faisant ?
Et enfin, l’autre grande idée qui est convergente entre les mouvements écolos et sociaux, c’est celle du partage du temps de travail. La réforme des retraites consiste à concentrer le temps de travail sur les mêmes et, forcément, cette dynamique va détruire de l’emploi. Toutes ces idées en commun font qu’effectivement, il est aujourd’hui essentiel que les mouvements écologistes soient engagés dans cette bataille.
Sans oublier la répression que subissent conjointement les mouvements de rue contre la réforme des retraites, avec des centaines d’arrestations arbitraires, et les militants écologistes, comme on l’a vu à Sainte-Soline, lors de la manifestation contre les mégabassines. Ces voix pour une bifurcation écologique et sociale s’expriment en même temps face à ce gouvernement, et reçoivent une même réponse, violente, du pouvoir.
« L’exécutif fait tout pour stigmatiser les plus fragiles »
L’intersyndicale commence à se projeter dans l’après, dans d’autres chantiers. Est-ce une bonne chose, ou une manière de renoncer à faire tomber la réforme des retraites ?
L’intersyndicale a raison, il faut faire les deux en même temps. Continuer de se mobiliser contre la réforme des retraites, ne rien lâcher, ne jamais se faire à l’idée que deux années de vie à la retraite nous sont volées, faire sauter la réforme dès qu’on le pourra. Mais ça n’empêche pas de continuer à se battre contre toutes les tentatives de régression sociale de ce gouvernement, qui n’attend pas la fin de la séquence retraite pour avancer sur d’autres fronts.
L’exécutif fait tout pour stigmatiser les plus fragiles. Il planche sur un projet de loi pour sanctionner les chômeurs au RSA pour le leur enlever, ni plus ni moins. Un autre texte est en préparation, la loi Asile et immigration, qui vise les étrangers. Ces dossiers conjoints, anti-chômeurs et anti-étrangers, participent d’une vaste entreprise de recherche de bouc émissaire, qu’il faut combattre pleinement. Ce ne serait pas une bonne idée de rester cramponnés uniquement aux retraites.
Quelle stratégie le mouvement social et les députés d’opposition, dont vous faites partie, doivent-ils adopter face à l’inflexibilité de l’exécutif ?
Nous avons besoin de bien davantage de dialogue, de construction commune, d’initiative et de partage entre syndicats, associations ou forces politiques, qui sont les forces vives de la résistance face à la Macronie et à l’extrême-droite. On peut faire beaucoup mieux qu’aujourd’hui.
Vous pouvez préciser ?
Pour moi, c’est un des enseignements de la bataille contre la réforme des retraites. L’intersyndicale a été forte et unie, la Nupes aussi a été unie, mais il n’y a pas eu d’espace collectif pour comprendre et articuler les initiatives de chacun — syndicats et mouvements sociaux, d’une part, forces politiques d’autre part. À mon avis, il faudra que l’on réussisse à franchir collectivement ce pas.