À Saint-Denis, « l’écologie enrichit et bouscule la gauche »

À Saint-Denis, le 3 juin 2023. - © Jérémy Paoloni / Reporterre
À Saint-Denis, le 3 juin 2023. - © Jérémy Paoloni / Reporterre
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Culture et idées PolitiqueAu Festival de l’écologie populaire à Saint-Denis, chercheurs, militants et politiques ont tenté de dégager des voies écologiques entre le marteau capitaliste et l’enclume de l’extrême droite.
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), reportage
C’est un fait : les inégalités et la pauvreté explosent, la biodiversité s’effondre, l’urgence climatique et ses conséquences se manifestent tous les jours sous nos yeux effarés. Une crise écologie et sociale générale, que l’extrême droite espère faire fructifier pour l’élection présidentielle de 2027.
Afin d’esquisser des pistes de réflexion et d’actions à mener pour faire advenir une société plus désirable, le journal Alternatives Économiques et l’association Graines populaires ont organisé, les 2 et 3 juin, la première édition du « Festival de l’écologie populaire ».
Cet événement, dont Reporterre était partenaire, s’est tenu au Carré Pleyel à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’une des villes les plus pauvres de France. Le thème de ces deux jours de débats, tables-rondes et ateliers (alimentation, jeux…) organisés par des associations : « Ce que l’écologie fait à la gauche. »

« La question écologique a pris de nos jours une importance absolument capitale, a expliqué Christophe Fourel, administrateur d’Alternatives Économiques. Or, c’est à travers l’écologie que la gauche peut réinterroger son rapport aux classes populaires mais aussi réactualiser certains thèmes qu’elle a historiquement portés. »
Pour les organisateurs, 2023, qui ne comporte pas d’échéance électorale majeure, « était le bon moment pour prendre du recul », avec l’idée que les responsables politiques de gauche et de l’écologie politique puissent ensuite se saisir des enseignements tirés de ce festival.
Rompre avec le capitalisme néolibéral
Production, consommation, rapport au travail, liens avec la nature, accès aux ressources, migrations, crise démocratique… Autant d’enjeux qui ont été abordés lors de débats réunissant des chercheurs soucieux de penser ensemble les questions sociales et écologiques, seul moyen d’imaginer un système rompant radicalement avec le capitalisme néolibéral.

On a ainsi pu écouter la sociologue du travail Dominique Meda, convaincue que « l’écologie enrichit et bouscule la gauche, notamment en lui permettant de rompre avec sa tradition productiviste », évoquer la nécessité de « désintensifier le travail ».
Mais aussi, dans le cadre de la reconversion/disparition de nombreux emplois et secteurs qu’entraînera la bifurcation écologique, de donner voix au chapitre aux travailleurs et a fortiori aux classes populaires.

Une position partagée par le géographe Renaud Duterme, qui a en outre regretté le fait que, « très souvent, l’écologie politique et la gauche envisagent des solutions qui ne tiennent pas compte des réalités sociales dans lesquelles les gens vivent ». « Le mouvement écolo, et je m’inclus dedans, doit vraiment se remettre en question », a-t-il ajouté.
L’historien François Jarrige, assis à ses côtés pour un débat autour de « Progrès technique, progrès social, progrès politique », était de la même opinion. Mais a pointé le fait qu’un tel discours « permet encore de taper sur les écolos, alors que leurs luttes font aujourd’hui l’objet d’une criminalisation massive. Il faut accompagner ces luttes qui vont dans le sens de l’émancipation, notamment sociale »

À propos de ce concept issu de l’histoire de la gauche, la philosophe Isabelle Stengers a elle aussi parlé d’une émancipation « à redécouvrir » à l’aune des apports de l’écologie : « L’État moderne, en s’alliant avec l’exploitation capitaliste, a sacré l’exceptionnalité humaine. Il a détruit les relations d’interdépendance entre les écosystèmes, pour leur substituer des relations de dépendance. Penser l’émancipation, c’est donc […] guérir et retrouver les sensibilités anesthésiées par cette séparation. »
« L’écologie oblige la gauche à penser la question du rapport à la Terre »
La politiste Fatima Ouassak a de son côté estimé que « l’écologie oblige la gauche à penser la question du rapport à la Terre, au temps, à la joie, mais aussi, à l’heure où elle en parle de moins en moins, à prendre en considération les conditions matérielles d’existence ».
La cofondatrice de la maison de l’écologie populaire Verdragon participait au débat « Écologie, migrations et géopolitiques ». À cette occasion, elle a estimé qu’en France le « débat autour des questions migratoires est largement colonial et raciste », appelant la gauche et les écologistes à « rejeter ce cadre raciste et à défendre la liberté de circulation ».

Le Festival s’est conclu par une table-ronde réunissant Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale, Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, Philippe Rio, maire communiste de Grigny et Stéphane Troussel, président socialiste du conseil départemental de Seine-Saint-Denis.
Le capitalisme néolibéral — et bien évidemment l’extrême droite qui en fait son miel — a été désigné par les différents intervenants comme le « grand ennemi » à combattre. Les expressions « Bifurcation écologique et solidaire », « planification écologique », ou encore « classe écologique » ont été lancées tour à tour par les intervenants, témoignant de convergences se consolidant entre l’écologie politique et la gauche.

De quoi laisser entrevoir une union pour les échéances électorales à venir, et notamment l’élection présidentielle de 2027 ? « Je crois que l’on peut avoir une base programmatique solide », a dit Mathilde Panot, citant les 650 mesures sur lesquelles s’étaient accordés les différents partis de la Nouvelle union écologique et sociale (Nupes) pour l’élection législative de 2022.
De son côté, Marine Tondelier a estimé que le travail engagé par la Nupes à l’Assemblée nationale était « extrêmement important pour la préparation de 2027 et des autres échéances ». Comme les élections européennes ? Prochaine étape en tout cas pour le Festival de l’écologie populaire : devenir itinérant, en se déployant dans d’autres villes françaises l’année prochaine.