Avec la réforme des retraites, moins de bénévoles pour protéger la nature

Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse, qui défend les terres agricoles. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
Bernard Loup, président du Collectif pour le triangle de Gonesse, qui défend les terres agricoles. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Nature RetraitesDans les associations de protection de la nature, les retraités sont légion. Si l’âge de départ à la retraite est reporté, la manne de bénévoles va se tarir : à 64 ans, on a « moins d’énergie à consacrer à la biodiversité ».
« Quand on va compter les oiseaux marins sur la rade de Brest, on part le matin à l’aube, et on rentre tard le soir », rapporte Jean-Noël Ballot, naturaliste bénévole à Bretagne Vivante. Cet ancien informaticien brestois a pris sa retraite à 60 ans, ce qui lui permet, depuis deux ans, de s’investir pleinement dans cette association de protection de la nature. Le jeune retraité se consacre surtout aux missions de terrain : il compte les reptiles et les oiseaux protégés dans les Monts d’Arrée, participe à l’inventaire des oiseaux marins sur les îles bretonnes, et fait partie du comité de pilotage du loup en Centre-Bretagne. En parallèle, il est également devenu administrateur de Bretagne Vivante. Au total, son engagement associatif représente entre 35 à 40 heures par semaine. « L’équivalent d’un temps plein » reconnaît-il.
Jean-Noël Ballot n’est pas un cas isolé : en France, les associations de protection de la nature comptent en grande partie sur leurs bénévoles, en particulier des jeunes retraités motivés, comme lui. Mais avec le report de l’âge légal de départ à la retraite, désormais repoussé à 64 ans si la nouvelle réforme est adoptée, cette manne de bénévoles fraîchement retraités risque de se tarir. À terme, cela pourrait nuire aux missions de protection et d’inventorisation de la nature : « La plupart de nos bénévoles sont des jeunes retraités, donc avec le recul de l’âge de départ à la retraite, ils seront plus usés par le travail, et ils auront moins d’énergie à consacrer à la biodiversité. Ou alors ils feront des missions plus ponctuelles, plus courtes », s’inquiète Clothilde Kussener, responsable du pôle bénévolat à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « La majorité de nos bénévoles ont plus de 60 ans (43 %) avec une proportion de 42 % à la retraite », dit-elle. L’avantage de ces jeunes seniors est qu’ils sont disponibles en semaine, et ont encore assez d’énergie pour faire des missions de terrain, comme du suivi d’espèces protégées.

Marcher plusieurs heures sur des sentiers escarpés, ou au contraire rester immobile dans le froid, à observer des oiseaux à la longue vue... Le comptage et le suivi d’espèces demandent en effet une certaine condition physique. « Passé 64 ans, tout le monde n’est plus forcément capable de le faire », observe Jean-Noël Ballot.
Les conséquences de la réforme se mesurent sur le terrain mais aussi sur les tâches administratives et la représentation dans les conseils d’administration. Selon les données de France Bénévolat, plus de la moitié des responsables d’association sont des retraités. « C’est très difficile, voire impossible, de s’engager pleinement dans une association quand on travaille à côté. On ne peut pas toujours faire les deux, c’est pour ça qu’on attend d’être à la retraite », témoigne Denez L’Hostis, 76 ans, retraité et administrateur à Bretagne Vivante.
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À la LPO, Clothilde Kussener constate aussi que la plupart des administrateurs et administratrices du réseau associatif sont des retraités, qui ont du temps à investir quotidiennement : « Ce sont des gens qui font plus qu’un temps plein salarié : ils mangent LPO, ils dorment LPO. » Avec le report de l’âge de départ à la retraite, elle craint que ces personnes « ne préfèrent consacrer leur temps et leur énergie à leurs petits-enfants plutôt qu’aux conseils d’administration, ce qui est normal ! »
Être retraité permet d’éviter les conflits d’intérêts
Dans le domaine de la protection de la nature, attendre la retraite pour s’engager permet aussi d’éviter les conflits d’intérêts. « Quand on est en poste, c’est compliqué de militer contre sa propre activité, c’est pour ça qu’on trouve beaucoup de bénévoles à la retraite dans nos associations », témoigne Ginette Vastel, responsable du réseau « risque et impact industriel » à France Nature Environnement (FNE). Un avis que partage Barbara Deyme, chargée de communication à Bretagne Vivante : « La retraite, c’est aussi un moment où on acquiert une plus grande liberté pour exprimer ses convictions. » Un point particulièrement important dans le cadre d’un engagement dans une association environnementale.

Faut-il s’inquiéter pour l’avenir du naturalisme et de la protection de la nature, des activités en grande partie gérées par le réseau associatif ? Barbara Deyme le craint : « Le naturalisme est une science participative qui repose sur la collecte de données de terrain, le plus souvent effectuée par des bénévoles. On risque de perdre ces données très importantes sur la biodiversité. » Jean-Noël Ballot est un peu plus optimiste. Il constate que le domaine de la protection de la nature se professionnalise, et ne repose plus uniquement sur le bénévolat : « Dans le temps, il n’y avait que des bénévoles, mais maintenant, on a quand même beaucoup d’espaces protégés qui sont gérées par des professionnels, comme les Espaces naturels sensibles dans les départements, les zones Natura 2000, où les réserves naturelles. » Toutefois, le Brestois ajoute un bémol : « Certaines missions très chronophages ne pourront pas être reprises. Par exemple, cet été j’ai fait 40 jours de terrain dans les Mont d’Arrée avec un collègue : on ne trouvera jamais personne pour financer 80 jours d’expertise naturaliste. »
Si le secteur environnemental est très exposé, l’ensemble du tissu associatif français redoute une pénurie de bénévoles, liée au report de l’âge de départ à la retraite. Selon Elisabeth Pascaud, administratrice de France Bénévolat, la situation est déjà préoccupante : « Aujourd’hui, seuls 26 % des + de 65 ans sont bénévoles dans des associations, contre 38 % il y a dix ans. Cette érosion de l’engagement des séniors nous inquiète beaucoup. » Pour elle, la réforme des retraites « risque d’accélérer le mouvement de diminution du bénévolat. »
À la LPO, Clothilde Kussener garde tout de même espoir : « Il y a une vraie fibre chez nous : nos bénévoles sont des passionnés de nature, et puis, ils se rendent bien compte de l’urgence climatique. Je pense qu’on ne va pas tous les perdre, mais on aura plus de mal à trouver des personnes aussi investies, et surtout, suffisamment en forme. »