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ChroniquePolitique

Enterrons la Ve République, régime brutal et antiécologique

Manifestation contre la réforme des retraites devant le Conseil constitutionnel le 14 avril.

« Le président de la Ve République concentre tous les pouvoirs nécessaires à l’extension constante du projet de classe capitaliste », assure notre chroniqueur Clément Sénéchal. Aucun contre-pouvoir ne peut y naître.

Clément Sénéchal est militant pour la justice sociale et climatique et chroniqueur pour Reporterre.


Contre toutes les évidences, Emmanuel Macron s’est encore permis de vanter à la télévision une réforme des retraites « juste ». À l’allocution solennelle du monarque servie sans contradicteur répondit un concert de casseroles hors les murs du Palais. « Celui qui s’imagine avoir seul la sagesse, l’éloquence, la force, s’expose au ridicule », écrivait Bertolt Brecht.

La décision du Conseil constitutionnel n’a fait qu’objectiver l’essence brutale de la Ve République, née d’un coup d’État en 1958, sur fond d’oppression coloniale en Algérie : un régime de classe fondé sur la dépossession. Constatant des « estimations erronées » et un cumul de procédures (destinées à garrotter l’exercice parlementaire) présentant un « caractère inhabituel », la noblesse d’État du Conseil constitutionnel n’a néanmoins pas jugé nécessaire de retoquer la réforme. Résultat : deux ans d’existence volés à tout le monde, en guise d’offrande aux divinités de la finance. Cette décision incohérente démontre que le système de légalité en place sanctifie la volonté unilatérale du monarque. Donc que le régime ne sécrète aucun contre-pouvoir valable en son sein.

La réforme bafoue le principe démocratique

Le président de la Ve République concentre ainsi tous les pouvoirs nécessaires à l’extension constante du projet de classe capitaliste. Car au-delà du signal envoyé aux marchés, le report de l’âge légal renforce l’emprise des possédants sur la vie des gens, issue de la propriété privée des moyens de production (le salariat est un rapport de subordination). Déjà, la « loi Travail » El Khomri, dont la rationalité consistait à libérer le travail du joug des travailleurs et travailleuses, avait été forcée en 2016 à coup de 49.3.

Selon la CGT, 1,5 million de manifestants se sont mobilisés le 13 avril (280 000 selon le ministère de l’Intérieur).

Ce faisant, la promulgation précipitée de cette réforme bat en brèche tous les aspects de la démocratie. Elle bafoue le principe démocratique en tant que tel, en imposant un texte sans consentement majoritaire dans la population. Elle enterre la démocratie représentative, en occultant le vote des élus du peuple. Elle condamne la démocratie sociale, en dédaignant les syndicats. Elle criminalise la démocratie citoyenne, en réprimant les mobilisations. Elle dégrade la démocratie matérielle, en accentuant les inégalités. Le gouvernement a beau jeu de s’étonner ensuite des rigueurs de la colère ; pour la foule, la démocratie n’est pas un élément de langage, mais un principe viscéral autant qu’une planche de survie.

Il suffisait d’écouter Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale et quatrième personnage de l’État, enchaîner sur France Inter les contradictions pour se convaincre de la prépondérance du mensonge dans la Ve République : « Moi, mon souhait, c’est de toujours trouver un compromis, un consensus », « nous avons échoué dans notre pouvoir de conviction, car nous n’avons pas remporté l’adhésion populaire », mais « c’est une réforme nécessaire » ; il faudrait aller vers « un rééquilibrage des pouvoirs entre le Parlement et l’exécutif » mais « ne pas toucher aux grands équilibres » ; « nous attendons trop d’une seule et même personne », il faudrait plus « plus d’implication des citoyens » mais le « climat [n’est pas] propice à une révision profonde de nos institutions, parce que le calme n’est pas là ». Entendre, le sommeil des citoyens.

« Pas de bifurcation écologique sérieuse sans démocratie réelle »

Il n’y aura pas de bifurcation écologique sérieuse sans démocratie réelle. Car le projet écologique implique de trier les besoins artificiels et essentiels, introduire la vulnérabilité des territoires dans la décision publique, organiser un partage de l’effort équitable, cultiver l’adhésion sociale et populaire, considérer l’individu comme une fin et non comme un moyen.

Le problème de la Ve République n’est pas seulement qu’elle couronne la classe sociale dont les intérêts détruisent la planète, ni qu’elle affermisse des rapports de production qui épuisent les ressources naturelles. C’est qu’elle inflige par dérivation une sorte de féodalisme larvé à tous les échelons de la société, où les roitelets déplaisants qui dirigent les institutions publiques, les entreprises privées, les prébendes politiques ou les bureaucraties associatives se croient justifiés dans leurs privilèges par la figure tutélaire du président de la Ve République. Ce style d’autorité est par principe antagonique à l’intérêt général. Et partout où l’intérêt général s’obscurcit, l’enjeu écologique s’éteint.

Défendons Les Soulèvements de la terre

Quelles leçons en tirer pour les amis de l’écologie ? D’abord, que les institutions ne sont pas neutres et que le décorum « républicain » se trouve discrédité. Par conséquent, il apparaît inconséquent de continuer consultations et dialogues avec la cour du roi, comme si c’était par simple méconnaissance qu’elle refoulait l’agenda écologique. L’exécutif n’est pas un arbitre objectif en mal de démonstrations, mais le gardien agressif des intérêts de la classe minoritaire. Dans ces conditions, les rendez-vous avec l’exécutif permettent essentiellement à l’État bourgeois de feindre une ouverture factice pour désorienter la critique et divertir les énergies.

Déployons-nous plutôt sur les fronts territoriaux reliés par Les Soulèvements de la Terre et défendons-les comme la prunelle de nos yeux. Ce collectif pluriel est parvenu à défaire la lutte de ses faux-semblants figuratifs pour l’ancrer sur le terrain concret, tout en proposant une montée en généralité politisante, synonyme de conquête.

Les Soulèvements de la Terre sont parvenus à ancrer la lutte sur le terrain concret. Twitter/Les Soulèvements de la Terre

Ensuite, il apparaît désormais indiscutable que la cause environnementale doit être conjuguée à la résistance syndicale de manière effective, en dépassant les convergences d’affichage pour bâtir une véritable culture commune de la lutte, c’est-à-dire du rapport de force. Bravo aux écologistes qui vont donner le coup de main sur les blocages et les piquets de grève. Ça passe par là.

Enfin, comme à Sainte-Soline, il est urgent de se relier davantage aux forces politiques engagées dans une logique de rupture propre à subvertir l’ordre établi. Les comprendre et les renforcer, construire avec elles des victoires parlementaires et des avancées culturelles. Cela implique de cesser de se désintéresser pudiquement des moments électoraux en refusant de prendre parti et d’appeler au vote. Dans un régime comme la Ve République, ce dédain relève d’une erreur politique majeure et d’un manque de sérieux tragique. La répression politique qui s’abat sur Les Soulèvements de la Terre démontre qu’il n’existe pas d’espace associatif et militant immunisé contre la violence du bloc exécutif en son sein.

« Bravo aux écologistes qui donnent un coup de main sur les blocages »

Bref, bouter la grammaire insidieuse de la Ve République, sa fausse neutralité et son vrai despotisme, hors de notre espace. Dissoudre la verticalité, entretenir l’horizontalité. C’est la seule manière d’animer librement un référentiel révolutionnaire à même d’ouvrir la possibilité du socialisme écologique, seul horizon humaniste disponible face à la crise climatique et l’effondrement des écosystèmes.

Il se dit qu’Emmanuel Macron est lecteur de Machiavel. Le célèbre conseiller du Prince écrit la chose suivante : « Et qui devient Seigneur d’une cité accoutumée à être libre et qu’il ne la détruit point, qu’il s’attende à être détruit par elle, parce qu’elle a toujours pour refuge en ses rebellions le nom de la liberté et ses vieilles coutumes, lesquelles ni par la longueur du temps ni aucun bienfait ne s’oublieront jamais. Et pour chose qu’on y fasse et qu’on y pourvoie, si ce n’est d’en chasser ou d’en disperser les habitants, ils n’oublieront point ce nom ni ces coutumes. » Si nous voulons l’écologie, il nous faut la cité libre.

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