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Agriculture

Sécheresse : « épuisés », les agriculteurs réclament une aide d’urgence

L’été est fini, pourtant les paysans continuent de subir la sécheresse et ses conséquences. Manque de fourrage, perte de revenus, épuisement…

Les traits sont tirés. Jean-Pierre Chassang, éleveur dans le Cantal, raconte avoir dû nourrir son troupeau de vaches avec des feuilles d’arbres cet été. Aurélien Mourier, paysan ardéchois, explique que sa production de lait a baissé de 20 %. Soit, sur l’année, une perte de 15 000 euros. De son côté, Laurent Campos, maraîcher bio dans le Puy-de-Dôme, a même été contraint de prendre un job à temps partiel, à côté de son activité à la ferme, pour payer ses factures.

La scène se déroule en ligne, le 30 septembre, lors d’une conférence de presse organisée par le syndicat agricole la Confédération paysanne. L’objectif : montrer que partout en France, les paysans, qu’ils soient éleveurs d’animaux ou producteurs de végétaux, continuent de vivre des difficultés liées à la sécheresse.

Celle-ci a commencé dès le printemps. « L’herbe s’est arrêtée de pousser très tôt », témoigne Aurélien Mourier. Pour nourrir les animaux, il a donc fallu puiser dans le stock de fourrage, prévu normalement pour cet hiver. Certains ont trouvé des solutions, comme Jean-Pierre Chassang et les feuilles d’arbres de sa ferme. Mais « c’est compliqué à gérer d’un point de vue logistique, c’est un surcroît de travail », regrette-t-il.

Désormais, les éleveurs craignent de manquer de fourrage cet hiver. En outre, le prix de ces denrées a flambé. « Nous savons déjà que certains constituent des stocks pour spéculer », affirme Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne. Le syndicat réclame donc un blocage des prix immédiat, et l’interdiction d’utiliser du fourrage dans les méthaniseurs.

Épuisement et perte de revenus

Cet été, à la difficulté de nourrir les animaux, s’est ajoutée celle de les abreuver. Comment leur apporter suffisamment d’eau, directement dans les champs, avec des points d’eau à sec ? « C’était particulièrement compliqué à gérer, déplore Aurélien Mourier. Ce sont des choses qui ne se voient pas sur le chiffre d’affaires, mais, au niveau de la charge de travail et au niveau de l’épuisement, c’est important. » Beaucoup de paysans ressortent de cet été 2022 complètement lessivés, stressés, sans avoir eu l’occasion de prendre quelques jours de repos.

Les agriculteurs accusent également des baisses de production. Les vaches ayant été moins nourries à l’herbe, elles ont moins donné de lait. Certains paysans ont dû se séparer de leurs animaux, en les vendant ou les envoyant prématurément à l’abattoir.

L’été 2022 a été le plus chaud jamais enregistré en Europe. Pixabay/CC/dekel

Les maraîchers n’ont pas été épargnés. « Le bilan des récoltes des cultures d’été est en deçà des rendements habituels », indique le ministère de l’Agriculture. « J’estime mes pertes sur les productions printanières et estivales de l’ordre de 40 %, témoigne Laurent Campos. J’ai aussi de grosses interrogations sur les cultures d’automne et d’hiver, qui ont été mises en culture au début de l’été, à une période où il faisait extrêmement chaud et sec. Cette baisse de production génère des pertes de revenus importantes pour ma ferme. » D’où la nécessité pour lui de prendre un deuxième travail.

Une aide financière d’urgence ?

« Ces témoignages sont limpides par rapport à la situation : elle n’est pas cantonnée à quelques cas isolés, elle est bien généralisée un peu partout », affirme le porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod. Pour venir en aide aux agriculteurs, le gouvernement avait déjà annoncé une série de mesures au mois d’août, dont la mobilisation du régime des calamités agricoles, et des avances sur les aides de la politique agricole commune de l’Europe.

Le 3 octobre, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a déclaré que le calendrier de versement des indemnisations du régime des calamités agricoles allait être avancé « afin de répondre au besoin immédiat de trésorerie des éleveurs les plus touchés ».

Mais tous les paysans ne sont pas forcément éligibles à ce régime des calamités agricoles : parce qu’ils ont vendu une partie de leurs animaux et n’auront donc pas tout de suite une baisse de chiffre d’affaires ; parce qu’ils ont anticipé et compensé la perte de salaires en augmentant leur charge de travail ; parce que certains ont des fermes diversifiées, avec des cultures non couvertes par les calamités…

« Le ministre ne semble pas avoir pris la mesure de l’urgence de la situation », écrit la Confédération paysanne. Wikimedia Commons/CC BY 3.0/Hemmo Vattulainen

La Confédération paysanne regrette donc qu’aucune aide globale d’urgence ne soit envisagée. Depuis cet été, le syndicat réclame une « aide forfaitaire à l’actif » d’au moins 5 000 euros par actif non salarié, qui serait versée par les directions départementales des territoires — et non pas par les chambres d’agriculture. Seraient exclus de cette aide : les fermes en grandes cultures, en viticulture, ou encore les élevages hors-sol. En tout, cela représenterait un investissement de l’État d’au moins 1,2 milliard d’euros.

Une demande restée lettre morte. « Le ministre ne semble pas avoir pris la mesure de l’urgence de la situation pour beaucoup de fermes et territoires », a dénoncé le syndicat dans un communiqué de presse.

Aujourd’hui, malgré un mois de septembre assez pluvieux, la sécheresse des nappes et des sols reste d’actualité. « Les sols sont plus secs qu’habituellement à cette période de l’année, a indiqué Météo-France dans un bulletin publié le 3 octobre. En revanche, hormis sur la Corse, ils se sont nettement humidifiés par rapport au début du mois. »

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