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EnquêteDéchets nucléaires

Ségolène Royal s’est opposée à l’enfouissement des déchets nucléaires

Le gouvernement a tenté d’imposer le projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, en le passant en catimini dans le projet de loi sur la croissance économique. Il faut croire que le temps altère la mémoire : il y a vingt-cinq ans, la ministre de l’Ecologie actuelle se battait contre un tel projet dans son territoire des Deux-Sèvres…

En décembre, le gouvernement a tenté d’imposer le projet Cigeo d’enfouissement des déchets nucléaires dans la loi de finances, reculant devant la bronca d’EELV. Un énième coup de force du gouvernement manifestement décidé à en favoriser l’ouverture. Alors que la ministre de l’Ecologie était naguère une opposante farouche à l’enfouissement des déchets. C’était, il est vrai, dans son département...

Petit retour en arrière. En 1979, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) est créée au sein du Commissariat à l’Energie atomique (CEA). Son objectif : trouver une solution industrielle pour gérer des déchets nucléaires dont le volume ne peut alors qu’augmenter, à cette époque consacrant l’ouverture successive de dizaines de réacteurs nucléaires en France – les deux premiers réacteurs de Fessenheim ayant été mis en service en 1977.

- Le siège du Centre CEA de Saclay -

L’option de l’enfouissement en profondeur est rapidement privilégiée. En 1983, l’ANDRA sélectionne vingt-huit sites géologiques favorables à des études pour l’installation d’un centre de stockage souterrain. Parmi eux, Neuvy-Bouin dans les Deux-Sèvres, où le Bureau de Recherches Géologiques et Minières est chargé de l’étude.

- Télécharger le document du BRGM (1986) à propos du site de Neuvy-Bouin :

Quand la paysannerie s’oppose aux déchets nucléaires

En mars 1987, le site figure parmi les quatre finalement retenus dans la phase suivante de l’expérimentation. L’annonce rencontre presque immédiatement une forte opposition des citoyens locaux. Deux associations se créent, le CIAD (Comité intercommunal d’action et de défense) et le GRANIT – en référence à la nature géologique du sol dans cette région [à Bure, il s’agit d’argile, ndlr].

Dans cette région de bocage, la mobilisation se structure autour de la paysannerie. « C’était de véritables jacqueries », raconte Michel Marie, porte-parole du CEDRA (collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs) à Bure, qui participait à l’époque à la coordination nationale des collectifs locaux opposés à ces projets d’infrastructure.

Une caravane est installée sur le site même des travaux avec une occupation permanente qui n’est pas sans rappeler le phénomène des ZAD aujourd’hui. Un système de surveillance par réseau téléphonique est mis en place avec les moyens technologiques de l’époque.

« Il y a eu quelques grosses manifestations locales, la lutte était très bien organisée. Le blocage était tel que les CRS et les engins de construction ne pouvaient pas passer », raconte Jean Collon, qui prend alors part au mouvement.

- Schéma du projet Cigéo -

Ségolène Royal rallie l’opposition

Le canton devient même un exemple des progrès de l’écologie politique dans les urnes, comme l’atteste ce reportage de mai 1981 qui analyse le score d’Antoine Waechter aux élections présidentielles. Un mois plus tard, Ségolène Royal est élue députée pour la première fois dans la circonscription, où elle est parachutée par François Mitterrand.

Elle prend alors clairement position contre le projet d’enfouissement. « Elle soutenait la lutte. Je revois encore cette jeune femme, tout droit sortie de l’ENA, participer aux manifestations… », se souvient Jean Collon. Il y a un mois, dans une lettre ouverte au sujet du barrage de Sivens, l’ancien député européen Didier Anger rappellait à Ségolène Royal leur « intervention commune à Neuvy-Bouin […] contre l’enfouissement profond de déchets nucléaires ».

Après trois ans de lutte intense, le Premier Ministre, Michel Rocard, adopte un moratoire en 1990. L’année suivante, la loi Bataille se veut une réponse politique et législative à l’échec des premières expérimentations de l’ANDRA. Mais le site de Neuvy-Bouin ne sera dès lors plus inquiété, la prospection s’orientant à la fin des années 1990 vers le site de Bure.

Victime ou intéressée ?

Cette rétrospective historique relance le débat sur la nature des convictions de la ministre de l’Ecologie sur le sujet de l’enfouissement des déchets. En juin dernier, un premier épisode qui avait vu l’introduction d’une disposition en faveur de Cigéo dans le projet de loi de transition énergétique, après sa présentation, avait semé le doute : « victime ou menteuse » dans l’histoire, interrogeait alors Reporterre.

Le retrait de l’article, quelques heures plus tard, laisse à penser que la ministre aurait plutôt été victime d’un arbitrage défavorable en premier lieu, arbitrage qu’elle aurait renversé par la suite. Une thèse qui permet aujourd’hui d’interpréter le cavalier législatif sur Cigéo dans la loi Macron comme la manifestation d’intérêts contraires au sein du gouvernement. La ministre de l’Ecologie n’ayant pas la main sur le texte, le champ est donc libre pour les partisans du centre d’enfouissement.

Pourtant, comme le révèle un article du Canard Enchaîné daté du 4 juin 2014, la ministre de l’Ecologie ne semble pas toujours aussi convaincue sur Cigéo qu’elle ne s’en revendique auprès des acteurs environnementaux.

Interrogée sur le sujet lors d’une question au gouvernement le 27 mai dernier, elle avait ainsi laissé la sous-ministre de l’Economie numérique, Axelle Lemaire, répondre à sa place que : « Mme Royal réaffirme l’attachement du gouvernement au respect des principes établis par la loi de 2006 sur les déchets radioactifs ; cet attachement concerne aussi la concrétisation du projet de stockage réversible en couche géologique profonde ».

Un double-jeu qui, ne venant pas de sa propre bouche, alimente la controverse : Mme Royal est-elle en minorité sur la question au sein du gouvernement, incapable d’emporter l’arbitrage ? Ou a-t-elle finalement revu ses positions sur le dossier, se défaussant de cette responsabilité en faisant passer la disposition dans une autre loi ?

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