Déchets nucléaires : le gouvernement essaye encore de tricher

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Déchets nucléairesLe projet de loi « sur la croissance et l’activité » comporte un article visant à autoriser Cigeo, l’éventuel futur centre d’enfouissement des déchets nucléaires. Après avoir tenté sans succès cette tromperie lors de la discussion de la loi sur la transition énergétique, le gouvernement tente un nouveau coup de force législatif.
Pour pouvoir enfouir les déchets nucléaires à Bure (Meuse) tel que le prévoit le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigeo), il faudrait pouvoir d’abord enfouir sa possibilité dans la loi. Après l’échec du coup de force pour introduire une disposition sur Cigéo dans la loi de transition énergétique, échec révélé par Reporterre en juin, le gouvernement retente sa chance dans la nouvelle loi pour la croissance et l’activité que doit présenter le ministre de l’Economie, M. Macron, au mois prochain.
Que vient faire Cigéo dans cette loi ?
Dans un document de travail daté du 13 novembre, et qui constitue l’avant-projet du texte de loi, un article entier est ainsi consacré au projet Cigeo, « l’invité surprise de la loi Macron » comme l’intitule le site Contexte, qui a rapporté l’information mardi soir. De son côté, Denis Baupin y voit un « cavalier législatif » : « Une telle disposition n’a rien à voir avec l’objet de la loi, nous ne voyons pas en quoi cela va permettre d’améliorer la croissance », dit le député EELV à Reporterre.
Le texte justifie cette apparition par l’« impact significatif au niveau économique et en terme d’emplois » que doit représenter l’infrastructure, qui « contribue à la consolidation de la filière nucléaire, qui en assure le financement », est-il ainsi écrit dans l’article 72. Or, cette filière du nucléaire est en proie à de grandes difficultés économiques, victime d’une explosion des coûts, dont témoigne le nouveau retard de l’EPR à Flamanville et la crise financière d’Areva.
De plus, la première estimation du projet, à environ 15 milliards d’euros, fait l’objet d’une « actualisation suite à l’approfondissement du travail technique » comme le reconnaît l’article 72. La Cour des Comptes jugeait elle de son côté, dès 2009, que le coût pourrait atteindre près de 35 milliards d’euros. « Le nucléaire n’est ni facteur de croissance ni créateur d’emplois, au contraire, mais on continue d’en maintenir la croyance. On prend les solutions à l’envers, les emplois sont du côté des alternatives », dit Florent Compain, président des Amis de la Terre.
Brouiller la procédure pour éviter le débat parlementaire
Faire passer le projet de Bure en catimini en le noyant dans la loi sur la "croissance" est en fait un moyen d’éviter un débat parlementaire sur le sujet. Celui-ci, selon Laura Hameaux, du réseau Sortir du Nucléaire, « nécessiterait de remettre Cigéo sur la table et risquerait alors de mettre en lumière toutes les difficultés que rencontre le projet, que ce soit sur les failles techniques comme les risques d’incendie ou sur l’explosion des coûts ».
La loi de 2006, relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, prévoyait en effet que soit adoptée une loi définissant les conditions de réversibilité, préalablement à toute autorisation pour le début du projet (voir article L542-10-1). Or l’article 72 du texte sur la "croissance" se propose justement de définir cette notion de « réversibilité », modifiant ainsi la donne et le calendrier du projet tel qu’il était jusque-là institué.
En jeu, l’autorisation de débuter une phase-pilote qui s’accompagne d’une autorisation de création de l’ensemble de l’infrastructure, tandis que l’autorisation de mise en service, elle, resterait soumise à une promulgation de loi. En clair, l’article 72 permettrait ainsi de lancer la construction du centre sans passer par la case législative qui était jusqu’alors nécessaire.
Le collectif d’opposants Bure Stop ! dénonce le flou qui entoure toutes ces procédures. « Ce nouveau texte est une bouillie de chat, très difficile à décrypter alors que la loi 2006 était pourtant claire sur le sujet », dit Corinne François, qui a tenté de démêler le texte avec des collègues tout au long de la journée de mercredi. Ce texte pourrait ainsi enlever subrepticement aux parlementaires leur droit de regard sur l’autorisation du début de l’expérimentation, tandis qu’une autre instance pourrait se trouver boycottée : le Comité national de la transition énergétique, normalement consulté sur ces questions. Face à ce « déni de démocratie », les Amis de la Terre demandent la saisine du CNTE pour examiner le projet de loi sur la « croissance ».
L’illusion du report
Ce même article 72 annonce pourtant le report jusqu’en 2017 des débuts des travaux. Un gain de temps qui ne réjouit pas les opposants : « On recule pour mieux sauter puisqu’on l’entérine par la présente phase d’expérimentation. C’est un report qui permet de faire les travaux », estime Florent Compain.
Ce report ne concernerait d’ailleurs que le dépôt de la demande d’autorisation de création, et ne remettrait pas en cause la date initialement prévue pour la mise en service - rien n’étant dit concernant l’arrivée des premiers colis, toujours prévue pour 2025.
Selon Laura Hameaux, le double mouvement tenté par cet article 72 – accélérant et confirmant la procédure législative tout en repoussant le début de la phase-pilote – agit toutefois comme un révélateur des tensions qui habitent les porteurs du projet : « L’allongement montre que l’ANDRA n’est pas du tout aussi prête qu’elle ne l’affirme depuis plusieurs mois, et ce coup de force en douceur reflète ces inquiétudes ».