Soldes : qu’arrivera-t-il aux vêtements invendus ?

Les invendus (ici dans un entrepôt) ont représenté 1,7 milliard d’euros en 2019. - Agence du don en nature / © Govin Sorel
Les invendus (ici dans un entrepôt) ont représenté 1,7 milliard d’euros en 2019. - Agence du don en nature / © Govin Sorel
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Quotidien DéchetsDepuis le 1er janvier 2022, la loi interdit aux marques de détruire leurs invendus. Mais en un an, la situation a peu évolué.
Soldes, ventes privées en ligne, discount dans les magasins d’usine et via les opérateurs du déstockage… Comment les marques se débarrassent-elles des vêtements dont personne ne veut ? Depuis le 1er janvier 2022, les enseignes ont l’interdiction de détruire les invendus. La loi Antigaspillage pour une économie circulaire (Agec) les incite plutôt au réemploi (comme la seconde main), au recyclage ou au don. Mais un an après cette loi, la situation semble n’avoir que peu évolué.
Impossible, en effet, d’exclure que les enseignes de l’habillement et de la mode continuent à détruire une petite partie de leurs invendus. D’abord, parce que les services de l’État manquent de moyens de contrôle et que l’amende n’est que de 15 000 euros. Ensuite, parce que la loi Agec « ne s’applique que sur le territoire français alors que la majorité de la destruction est effectuée dans les pays fabricants (usines) hors de la France », relève une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) de 2021.
Quant aux dons, alors qu’une forte augmentation était attendue en 2022, les associations n’observent pas de changement important. « Ils n’explosent pas », constate Jérémy Fretin, directeur du développement de l’Agence du don en nature, qui reçoit des invendus de grandes enseignes comme Celio, Kiabi ou Petit bateau. « On a eu une croissance assez faible sur le secteur des vêtements et chaussures », abonde Annabel Lavigne, directrice des relations publiques, du mécénat et des projets de Dons solidaires, qui reçoit notamment des dons d’Okaïdi, de Monoprix ou des Galeries Lafayette, insistant sur ses exigences : « Nous prenons uniquement ce qui correspond aux besoins des personnes en situation de précarité, donc des produits basiques, de qualité, pas de surplus, pas d’accessoires. »
De son côté, le ministère de la Transition écologique estime qu’il « est encore trop tôt pour faire un bilan » un an après la loi Agec. Il renvoie vers la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée de contrôler l’application de la loi, qui n’a pas répondu à nos questions, de même que Refashion, l’organisme chargé de développer l’économie circulaire dans le secteur textile, et donc de mettre en œuvre des solutions alternatives.

Upcycling et seconde main mineurs
Ces solutions à l’incinération et l’enfouissement sont pourtant essentielles face à l’urgence climatique. Après l’industrie du pétrole, celle du textile est la deuxième plus polluante au monde. Fabriquer un jean revient à prendre 285 douches, soit utiliser 11 000 litres d’eau. En 2019, les invendus représentaient 4,1 % du chiffre d’affaires du secteur de l’habillement et de la mode, soit 1,7 milliard d’euros. Sur le total, 5 % étaient éliminés : 4 % partaient à l’incinération et 1 % à l’enfouissement, d’après l’Ademe.

Si les dons ont peu progressé, c’est qu’« il y a une volonté des entreprises de gérer au mieux leur production et de valoriser leurs invendus », dit Jérémy Fretin. Il observe « de plus en plus d’initiatives d’entreprises du secteur pour développer les promotions, le déstockage ou leur propre filière de la seconde main », au point qu’il redoute un recul des dons à partir de 2024.
En effet, dans la fast fashion, modèle dominant du prêt-à-porter, « tout se vend si on fait un discount suffisant », observe Julia Faure, cofondatrice de Loom et membre de l’association En mode climat, qui promeut un tournant écologique dans le textile. L’upcycling est « marginal », car très coûteux, et la seconde main ne concerne que les quelques entreprises qui misent toujours sur la qualité, observe-t-elle. Les enseignes écoulent la plupart de leurs invendus lors de soldes et démarques, dans des magasins d’usine, ou les cèdent à des sites web de ventes privées, le reste partant chez les opérateurs du déstockage et de la liquidation. Du low cost jusqu’au bout.
Qu’en est-il des marques de luxe, celles « qui détruisaient le plus » en 2019, selon l’Ademe ? Leurs pratiques de brûlage ont fait scandale en 2018 lors de révélations sur le Britannique Burberry. Il avait rapidement assuré y renoncer. Mais là encore, ni le déstockage ni le don ne correspondent aux codes du luxe. De même, pour le réemploi et le recyclage : « Nos recherches ont montré qu’ils sont perçus négativement par les consommateurs de ces marques », souligne Sihem Dekhili, professeure de marketing à l’Essca. Seule solution, selon elle : « Agir en amont, revenir à un fondamental, la rareté, ce qui signifie produire en quantité limitée, et utiliser les technologies 4.0 pour mieux ajuster l’offre et la demande, et ainsi renforcer sa durabilité. »