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Politique

Squatteurs, zadistes, ils se présentent aux législatives

Adrien Doutreix et Alexandre Mahfoudhi, affiliés au mouvement pour la décroissance, sont candidats aux législatives en Gironde. Habitués des zads, nomades, squatteurs, ils veulent porter la parole de la rue, des plus précaires, et mettre en pratique une « démocratie radicale ».

  • Bordeaux (Gironde), correspondance

Le lancement de leur campagne s’est fait devant leurs cabanes de sans-abri, avec une poubelle comme pupitre. Depuis, leurs réunions publiques, sous forme d’assemblées comme à Nuit debout, ont lieu sur des places, dans des parcs, sous les platanes des bords de Garonne, ou devant un parking à étages. À la fois SDF, zadistes, squatteurs, décroissants, ils ont décidé de s’inviter sur un terrain où « tout est fait pour qu’il ne [leur] soit pas accessible » : les élections législatives.

Partis à cinq, ils ne seront finalement que deux à figurer parmi les candidats officiels : Adrien Doutreix dans la 1re circonscription (avec sa suppléante Sandra Aimard), et Alexandre Mahfoudhi dans la 2e (avec Amaya Rivere). Les autres (Vishnou, Kamel et Ayonn), n’ont pas pu aller au bout de leur démarche faute de suppléant — « c’est compliqué à trouver chez les anars », confie l’un d’eux — et d’habileté administrative. Vishnou (Stephen Rault, de son vrai nom), « candidat officieux » dans la 3e circonscription, jouera le rôle de mandataire financier d’Adrien Doutreix.

On s’étonne d’abord de leur démarche, imaginant qu’elle ne doit pas très être partagée dans leurs milieux. « On s’attendait à plus de désaccords, avoue Alexandre Mahfoudhi. Il y a un noyau opposé à toute démarche légaliste et “citoyenniste”. Mais beaucoup comprennent l’intérêt de se présenter pour prendre du temps de parole », rapporte-t-il. Pour eux, l’idée est aussi de « tenir une nouvelle barricade », complémentaire des barricades physiques et judiciaires. « Et puis, il ne faut pas résumer nos candidatures aux zads et aux squats. »

« Je suis SDF. C’est douloureux de le dire. On est une caste, nous, les pauvres »

C’est tout de même là qu’ils se sont rencontrés. Notre-Dame-des-Landes, où Vishnou a vécu et même eu des enfants entre 2011 et 2014. Sivens, où ils étaient présents avant la mort de Rémi Fraisse, et où Alexandre a réalisé un mémoire sur le parcours de ces jeunes qui quittent la ville pour les luttes à la campagne. Mais aussi Échillais, Agen, ou encore Villenave-d’Ornon, la locale et brève occupation contre un « golf immobilier ».

Adrien Doutreix et Sandra Aimard, candidats dans la 1re circonscription de Gironde.

Malgré ces expériences communes, chacun se présente avec son propre vécu et ses préoccupations centrales.

  • La « démocratie réelle maintenant » et les assemblées populaires pour Adrien : « L’agora mondiale des indignés, le 25 octobre 2011, est la base de mon éveil politique », explique celui qui a aussi participé à Nuit debout Bordeaux ;
  • Les squats pour Vishnou : « Le squat permet de rapporter le pouvoir à l’échelle la plus étroite possible. Il devient une structure politique de base, qui rend l’État obsolète. »
  • Enfin, la situation des jeunes pour Alexandre : « Le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-25 ans en France, la 2e au niveau mondial. Ces jeunes ne veulent plus vivre dans nos sociétés de violence, de prédation, et sans perspective positive. C’est un signal très puissant qui doit être entendu. »

À chacune de leurs sorties (manifestation pour la libération de onze Soudanais fuyant le Darfour et enfermés au centre de rétention de Bordeaux, commémoration du suicide en 2008 de Benoît Buron, SDF qui sortait de 48 h de garde à vue), ils déploient une grande banderole sur laquelle on peut lire : « Nous n’allons pas disparaître. » Ils l’ont récupérée lors de l’expulsion d’un squat cet hiver, l’Alouette. « Le message consiste à affirmer qu’ils peuvent expulser, punir, contraindre, mais nous n’allons pas disparaître et nous ne lâcherons rien », précise Adrien. « Certains, comme Juppé récemment, entendent maltraiter les pauvres pour qu’ils ne reviennent pas, qu’ils aillent se cacher. Mais on ne peut pas régler les problèmes en les niant », complète Alexandre.

« La peur de sortir du système, de ne plus manger à la mangeoire »

Ils se sont regroupés derrière le nom de « Laikos », « populaire », en grec ancien (qui a donné la « laïcité », mais ce n’est pas ce qui les intéresse ici). « Le peuple, par opposition à l’aristocratie », précise Alexandre. Selon lui, « c’est la volonté de ne pas nous couper des plus démunis, de la rue et son occupation qui réunit nos candidatures ». Lui vit cela comme un coming-out : « Je suis SDF. C’est douloureux de le dire. On est une caste, nous, les pauvres. »

Ces parcours qui les ont façonnés en font les représentants d’une pratique de la décroissance. « D’échec en échec, tu construis un rapport humble à l’espace-temps. Le nomade ne prend rien ni n’enlève rien aux autres. Les gens de la rue ressentent au fond d’eux un affaiblissement du sentiment de compétition. Ils ne veulent plus se bagarrer pour prendre aux autres un logement, un travail, etc. Mais affrontent la peur de sortir du système, de ne plus manger à la mangeoire. »

Alexandre Mahfoudhi, candidat dans la 2e circonscription de Gironde, avec Amaya Rivere comme suppléante.

Adrien, lui était infirmier. Il a pris une disponibilité de trois ans après un accident du travail alors qu’il approchait le burn-out, mais reste fonctionnaire hospitalier. « Arrêter de travailler a été un choix, en ça, je me sens vraiment décroissant », explique-t-il. Leurs candidatures font partie des seize rattachées à la décroissance (avec notamment Éric Pétetin, candidat dans les Pyrénées-Atlantiques). Même si le mot ne leur convient pas parfaitement, et qu’ils préfèrent parler de « bien vivre ».

Leurs propositions concrètes ne sont pas neuves : la réquisition des bâtiments vides (22.000 dans la métropole bordelaise) pour loger les personnes à la rue, la gratuité des transports en commun, un nouveau mode de décision des grands projets et la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte en matière environnementale… Mais surtout, la « démocratie radicale », inspirée par toutes les expériences qu’ils ont vécues. « Si je suis élu, affirme Adrien, je remettrai l’ensemble de mes prérogatives de député à une assemblée constituée des personnes volontaires de la circonscription. Pour que chacun puisse expérimenter la “démocratie réelle maintenant” et devienne législateur. »

« Le schéma de la discussion autour d’un feu » 

Une sorte de « #mavoix » donc, mais sur les places publiques plutôt que sur internet, avec des décisions par consensus plutôt que par le vote. Et un ancrage idéologique fort : « Je suis porteur de valeurs, opposé à toute forme de domination (anticapitaliste, antispéciste, antiraciste et antisexiste), poursuit Adrien. Ce sont les lignes rouges de la tolérance contre lesquelles je n’irais jamais. Mais j’ai confiance en l’intelligence collective pour qu’elles ne soient pas dépassées. »

Vishnou (Stephen Rault, de son vrai nom), « candidat officieux » dans la 3e circonscription de Gironde.

« Beaucoup de gens commencent à être rompus à ce genre d’exercice. Même nos concurrents les utilisent parfois. Même si je n’étais pas élu, en ayant cette pratique on prend position pour l’avenir, on donne aux autres le goût et la capacité d’une autre organisation politique », selon lui, même si la mayonnaise tarde à prendre ces jours-ci à Bordeaux. Alexandre est un peu plus nuancé sur l’utilité à court terme de ces assemblées. Il y voit d’abord un moyen de recréer du commun : « C’est le schéma de la discussion autour d’un feu, qu’on a vécu dans les squats et les zads. Ce qui en ressort n’est pas forcément du décisionnel, mais de l’échange, du commun dans le langage. »

Justement, tous les deux sont bien conscients de ce qu’ils partagent avec les autres candidats de gauche à ce scrutin, et affirment ne pas vouloir ajouter à l’éclatement des candidatures. Ils aimeraient pouvoir aboutir à une candidature unique de la gauche radicale, comme l’explique Adrien : « Avec une assemblée publique, toujours, on pourrait arriver à un consensus entre nous tous et donner un mandat à un seul candidat, explique-t-il. Nous avons 70 à 90 % de notre pensée en commun. Mais les partis sont institutionnalisés, ils se présentent aussi pour bénéficier de la rente du financement public. » Nomades, les membres de Laikos ne sont eux pas prêts d’en arriver là.

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