Stocker l’électricité renouvelable ? C’est possible, grâce aux barrages existants

Une énergie 100 % renouvelable est tout à fait possible en France, explique l’auteur de cette tribune. Grâce au stockage de l’électricité produite dans les barrages hydrauliques existants avec la technique du Step.
Ingénieur électromécanicien et artisan solaire aujourd’hui retraité, passionné par l’énergie, Jean-Louis Gaby a autoconstruit il y a plus de trente ans sa maison solaire expérimentale.

Un des principaux arguments remettant en cause le développement massif de l’éolien et du photovoltaïque est que leur production n’est pas forcément corrélée avec la demande et qu’elle est variable [1].
En fait, cette contrainte de la variabilité des sources renouvelables peut être résolue en stockant massivement l’électricité produite en excès dans des stations de transfert d’énergie par pompage turbinage (Step), solution la plus pertinente, permettant de faire du report hebdomadaire, et d’un faible coût, comparée à toutes les autres techniques, comme le stockage dans de l’hydrogène ou la méthanation.
Les Step sont composées de deux bassins, à des altitudes si possible très différentes. Lors d’apports excédentaires d’éolien et/ou de photovoltaïque sur le réseau, l’électricité est consommée par la pompe qui transfère l’eau du bassin inférieur dans le bassin supérieur. Lors de demande d’électricité sur le réseau, l’eau du bassin supérieur est turbinée pour produire de l’électricité.

À l’horizon 2050, avec l’arrivée massive d’électricité renouvelable, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une multiplication par trois à cinq des capacités mondiales des Step.
La France possède un important gisement potentiel de stockage
Ainsi ont été étudiées en 2013 par le Joint Research Centre (JRC) de la Commission européenne les possibilités de créer de nouvelles Step en utilisant uniquement les barrages des centrales hydroélectriques existantes, barrages distants au maximum de 20 kilomètres, d’un volume minimum 100.000 mètres cubes et possédant une différence d’altitude supérieure à 150 mètres. [2] En France, nous possédons 124 sites, avec un potentiel réalisable de stockage de 0,5 térawattheure (TWh) (2,8 fois l’existant).
Mais cette étude a aussi chiffré les possibilités d’utiliser les sites des barrages existants, qui pourraient être associés à des stockages réduits à créer. Les Step n’ont pas besoin de volumes considérables, car leur rôle principal est de stocker l’électricité pour quelques heures voire pour quelques jours, aussi les surfaces des plans d’eau sont réduites. Par exemple, un stockage d’un volume de 100.000 mètres cubes nécessite de créer un réservoir d’une surface d’environ un hectare [3]. Ainsi, on arrive en France à 413 sites, avec un potentiel réalisable de stockage de 4 TWh (22 fois l’existant), stockage qui peut être renouvelé journellement à hebdomadairement, selon les caractéristiques du stockage. [4] On peut aussi constater que cette valeur de 4 TWh représente le double du stock hydraulique des réservoirs et des centrales de stockage hydraulique de type « lac » existants, dont la production annuelle est d’environ 2 TWh [5].

On constate sur ce graphe qu’en capacité de stockage existante, l’Espagne domine, suivie par la Suisse, la France arrivant en troisième position. En potentiel réalisable, deux pays dominent largement, ce sont la Norvège et l’Espagne, qui la suit de peu. Avec ses 4 TWh de capacité de stockage, la France arrive en 4e position.

Sur cette carte de l’Europe, on note que la France possède un important gisement potentiel de stockage, équivalent à celui de l’Italie, mais inférieur de plus de moitié à celui de l’Espagne.
Quel bon mix éolien/solaire choisir en France ?
Pour intégrer des quantités majoritaires de renouvelables variables, il paraît évident de réduire au minimum le besoin de stockage intersaisonnier en développant un bon mix. Ainsi, en hiver, la demande d’électricité est la plus forte, et la ressource éolienne est davantage abondante, aussi le mix doit comporter plus d’éolien que de solaire, et on arrive à 60 % d’éolien pour 40 % de solaire.
Dans ces conditions, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), qui se réfère aux hypothèses fondées sur cette étude du JRC concernant les Step [6], conclut que, pour atteindre 80 % d’électricité renouvelable, il faudrait tripler la puissance de nos Step existantes en passant de 5 gigawatts (GW) à 15 GW [7]. Ce besoin pourrait sensiblement être satisfait en utilisant uniquement les barrages des centrales hydroélectriques existantes les plus adaptés, ceux distants au maximum de 20 kilomètres, d’un volume minimum 100.000 mètres cubes et possédant une différence d’altitude supérieure à 150 mètres.
Si l’on utilise d’autres barrages existants avec des capacités de stockage réduites, le potentiel maximum de stockage réalisable de 4 TWh est considérable, car il correspond à environ quatre jours de production nucléaire. Ainsi, sans devoir installer la totalité de ce potentiel, nous pourrions assurer une fourniture continue d’électricité 100 % renouvelable sur toute l’année, et en toute sécurité, avec l’aide d’appoints en biomasse, en association avec la maîtrise de la demande, la sobriété et l’efficacité énergétiques, et à un renforcement de nos capacités d’échange avec nos voisins européens.
Pourquoi cette possibilité facilement réalisable de multiplication de notre stockage, connue depuis 2013, n’avait-elle encore jamais été évoquée ni dans les médias, ni dans les grandes publications, ni même dans le milieu antinucléaire ?
Et enfin, le coût de l’électricité produite avec un scénario 100 % renouvelables étant du même ordre de grandeur qu’avec un mix comportant 50 % de nucléaire, comme le souligne l’étude de l’Ademe d’avril 2015 [8], tous les arguments techniques et financiers sont maintenant réunis pour sortir rapidement du nucléaire.