Sur Notre-Dame-des-Landes, Manuel Valls n’a pas le même discours que François Hollande

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Notre-Dame-des-LandesLe tribunal administratif de Nantes a rejeté vendredi 17 juilllet les recours liés au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais les recours juridiques vont continuer en Cour d’appel et à la Cour de justice européenne. Manuel Valls prétend cependant que les travaux pourraient commencer. Contredisant les engagements de François Hollande.
- Nantes, correspondance
Ce vendredi matin 17 juillet, une dizaine de partisans de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes avaient tombé la cravate pour distribuer des tracts aux feux rouges à un kilomètre du tribunal administratif de Nantes, dont les abords étaient déserts. « On a perdu trop de temps, construisons maintenant », disait le texte. Les opposants à l’aéroport, de leur côté, ne se sont pas mobilisés, estimant que ce jugement du tribunal administratif n’est qu’une étape.
Décision de première instance
La décision, rendue vendredi par le tribunal adminstratif de Nantes de première instance, était attendue. Sans surprise, les recours intentés par les opposants au projet, au titre de la loi sur l’eau et du déplacement des espèces protégées, ont été rejetés.
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Le rapporteur public, représentant de l’État, l’avait en effet préconisé lors de l’audience du tribunal administratif de Nantes, le 18 juin dernier. Les avis du rapporteur public sont généralement entérinés par les juges administratifs.

La décision avait été par avance présentée par les partisans du projet comme un feu vert aux travaux. Ce qui impliquerait, en préambule, une expulsion des occupants, paysans exploitants, habitants ayant refusé les expropriations, ainsi que les zadistes implantés dans le périmètre des travaux, « sans droit ni titre » comme dit la loi.
Les partisans veulent croire qu’une page se tourne, qu’enfin ils vont voir des engins de travaux publics intervenir sur le terrain, tant pour le « barreau routier » à implanter pour relier les axes Nantes-Rennes et Nantes-Vannes, que sur l’emprise foncière du projet d’aéroport.
Manuel Valls : "Cette décision doit entraîner la reprise des travaux"
Dans un communiqué, le Premier ministre Manuel Valls affirme qu’il « prend acte de cette décision qui doit entraîner la reprise des travaux. La réalisation du projet est ainsi à nouveau engagée après avoir été suspendue depuis fin 2012 ». Sans attendre que les voies de recours soient allées à leur terme devant les tribunaux, pourtant garanties par François Hollande.
À ce stade, les signaux sont contradictoires entre gouvernement et présidence de la République. Même si les accords de références sont clairs, les pro-aéroport tentent d’en faire une interprétation favorable, arguant que ces recours ne sont pas suspensifs, et qu’il n’y a donc pas lieu d’attendre les deux niveaux de recours supérieurs, Cour d’appel administrative et Conseil d’État. Mais pour les juristes, la notion d’« épuisement des recours » implique qu’ils aient atteint le terme de leur parcours judiciaire.
C’est une « péripétie juridique » pour José Bové qui estime que l’Europe est l’étape clef pour la validité juridique du projet.
« Cette interprétation de Manuel Valls n’est pas tenable, ce serait une violation pure et simple des accords EELV-PS avec toutes les conséquences politiques qu’on peut imaginer », a répondu l’avocat Thomas Dubreuil, lors d’une conférence de presse dans les locaux nantais d’EELV (Europe Ecologie Les Verts).
Pour Sophie Bringuy, vice-présidente EELV du Conseil Régional en charge de l’environnement, seule compte la parole présidentielle : « Je rappelle donc à François Hollande son engagement de 2012 : la suspension des travaux jusqu’à l’épuisement des recours juridiques, ce qui signifie jusqu’à la cassation. Toute infraction à ce moratoire aurait deux conséquences graves. D’une part, une situation inextricable en cas de tentative d’évacuation, qui ne pourrait que mal se passer face à une promesse non tenue du Président de la République. D’autre part, la destruction irréversible d’un bocage humide aujourd’hui unique alors même que dans un an la Cour d’appel prononcera l’illégalité des travaux. »
Pourtant, le préfet de région des Pays de la Loire Henri-Michel Cormet a déclaré le 2 juillet devant l’assemblée départementale de Loire-Atlantique : « Nous n’attendrons pas l’épuisement des recours. Nous agirons quand des signes importants auront été donnés. Et à ce titre, la protection de l’environnement est un signe majeur. »
Un moratoire réitéré entre apaisement et épuisement
Les annonces des représentants de l’État tournent autour de deux mots, apaisement et épuisement.
Les travaux - et donc les opérations d’évacuation préalables - sont normalement suspendus jusqu’à l’épuisement des recours juridiques, selon le texte d’un accord politique passé après la grève de la faim de plusieurs opposants, au printemps 2012.

Plusieurs documents cosignés en mai et juin 2012 par les présidents des collectivités, région, département, Nantes Métropole, disent explicitement le refus de toute « expulsion avant la fin des recours déposés (avant la date du 4 mai [2012]) devant le Conseil d’État, la Cour de Cassation et le Conseil Constitutionnel ». En mai 2012, Jean-Marc Ayrault, qui n’était pas encore Premier ministre, a co-signé un tel engagement.
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Le 28 février 2014, avant les élections départementales, Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, « a décidé de donner le temps nécessaire aux contentieux en cours avant d’engager les travaux sur le site du futur aéroport du grand ouest à Notre-Dame-des-Landes », écrit par ailleurs le préfet dans son rapport annuel 2014.
François Hollande a repris cet engagement : « Quand les recours seront épuisés, le projet sera lancé », déclare-t-il le 5 janvier 2015 sur l’antenne de France Inter.

Ce qui contredisait Manuel Valls, qui avait suggéré, en visite à Nantes le 1er décembre 2014, de « s’engager dans la construction de Notre-Dame-des-Landes » dès la mi-2015, « après la décision du tribunal administratif » sur ces recours relatifs à la loi sur l’eau et aux espèces protégées. Il s’est avancé sur le calendrier de la décision du tribunal administratif, mais en sous-entendant qu’il n’avait pas à attendre que les recours soient purgés.
« Je m’en tiens à la parole du président de la République », a souligné Julien Durand, porte parole l’association citoyenne d’opposants ACIPA.
Question marathon judiciaire, restent donc l’appel de ces décisions et leur passage devant le Conseil d’État. Mais il y a aussi les échéances européennes : « La Commission européenne et la Commission des pétitions, au niveau européen n’ont pas, par ailleurs, clos la procédure contre l’Etat français ; et l’agacement contre le gouvernement français, notamment pour tout ce qui touche au non respect de la directive cadre sur l’eau, est à ce niveau très perceptible depuis les derniers évènements liés à Sivens », déclarait Raphael Romi fin novembre 2014.
Le jugement éventuel devant la Cour européenne de justice, qui est déjà saisie, n’intervient pas comme une procédure supplémentaire, mais comme la continuité des voies de recours en France. L’accord prévoyant de ne lancer les travaux qu’une fois les recours purgés, intègrerait donc cette ultime phase. Sauf si le gouvernement bafouait la parole donnée.
ROYBON, NOTRE-DAME-DES-LANDES, DEUX DOSSIERS SEMBLABLES, DEUX DÉCISIONS DIAMÉTRALEMENT OPPOSÉES

Il y a une « grosse déception à voir que nos arguments n’ont pas été entendus », souligne Me Thomas Dubreuil, avocat de l’association citoyenne ACIPA. D’autant que la décision nantaise intervient au lendemain de celle du tribunal administratif de Grenoble concernant le projet de Center Parcs à Roybon, qui a invalidé ce projet au titre de la loi sur l’eau. « Et le dossier du promoteur, Pierre & Vacances, était bien meilleur qu’ici, envisageant précisément les compensations environnementales, qui ont quand même été jugées insuffisantes », note Guy Bourlès, du collectif des Naturalistes en lutte et de la LPO.
Pour Notre-Dame-des-Landes, le système de compensations imaginé par le cabinet Biotope pour Vinci est resté très vague. Cette méthode consistant à compenser mieux, faute de pouvoir disposer de surfaces foncières suffisantes, avait été épinglé en avril 2013 par le collège d’experts scientifiques mis en place par le préfet à la demande du ministre de l’Ecologie.
« Le tribunal accepte que cette méthode soit critiquée officiellement par le collège d’experts, mais trouve normal que le préfet n’en tienne pas compte », s’étonne Guy Bourlès. Vérité en-deça de la Loire, mensonge au-delà ?