Sur l’île de Sein, « la sobriété, ça fait dix ans qu’on y travaille »

Vue sur l’île de Sein, en septembre 2022. - © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
Durée de lecture : 6 minutes
Énergie AlternativesCoupés du réseau électrique national, les habitants de la petite île de Sein, en Bretagne, dépendent encore d’une centrale au fioul. En attendant leur future éolienne, ils s’organisent pour réduire leur consommation énergétique.
Île de Sein (Finistère), reportage
Devant la mairie de l’île de Sein (Finistère), au cœur du lacis de ruelles blanches du bourg, un drôle d’écran noir a récemment été installé par EDF. Chacun peut y lire en temps réel la production des différentes sources d’énergie de l’île. « Hier, on était indépendants d’un point de vue énergie pendant toute la journée », se réjouit le maire, Didier Fouquet (sans étiquette). Le soleil de septembre fait en effet fonctionner à plein régime les panneaux photovoltaïques posés sur les toitures du centre nautique, de la gare maritime ou encore de l’écloserie — pour les huîtres —, qui fournissent 12 % de l’électricité par an. L’écran noir indique aussi aux habitants le potentiel de la future éolienne qui doit être installée par EDF sur l’île en 2023, après des années de controverses et de délais. « Ce matin, elle aurait produit 20 % de l’électricité de l’île », précise l’élu.
Située au large de la pointe du Raz, l’île de Sein est un caillou de 0,5 km2, coupé du réseau électrique national. Ici, comme sur les îles de Ouessant ou Molène, la production d’électricité émet pour l’instant treize fois plus de CO2 que sur le continent - proportionnellement au nombre d’habitants, bien sûr. Car pour s’éclairer, recharger leurs portables, mais aussi désaliniser l’eau, les 260 insulaires, et leurs milliers de visiteurs estivaux, dépendent encore essentiellement d’une centrale au fioul.
- Des panneaux photovoltaïques sur un bâtiment et le phare où se situe la centrale thermique de l’île (fioul). © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
« La sobriété, ça fait dix ans qu’on y travaille »
Il y a une décennie, les îles de la mer d’Iroise ont décidé de prendre le chemin de l’autonomie énergétique. Avec un horizon commun : atteindre 100 % de renouvelables en 2030. « On consommait jusque-là sur Sein 400 tonnes de fioul par an », a rappelé le 20 septembre le maire Didier Fouquet. Depuis, à force de politiques publiques volontaristes, l’île de Sein est passée sous la barre des 300 tonnes.
« La sobriété, ça fait dix ans qu’on y travaille, c’est le premier pilier. Cela lie l’humain et la sociologie », dit Émilie Gauter, chargée de mission énergie à l’Association des îles du Ponant [1]. Pour faire baisser les consommations énergétiques, une des priorités depuis 2012 a été d’enclencher la rénovation de l’habitat, ancien et énergivore. Car, à 1 h 15 de bateau au large du continent, faire venir artisans et matériel coûte cher. Et une partie des habitants sont des retraités ou des veuves aux revenus plus que modestes, rappelle Denis Palluel, maire de Ouessant et conseiller régional dans la majorité de centre gauche.
- Des maisons sur le front de mer. © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
De 2012 à 2017, un premier programme d’aides a permis de financer des travaux dans 18 % des résidences principales des trois îles de la mer d’Iroise (vingt-six logements sur Sein). Et depuis 2019, un dispositif financé par EDF (Renov’îles) a pris le relai. Il ouvre aux locaux l’accès à des subventions forfaitaires pour isoler leur toiture, leurs murs ou encore changer leurs fenêtres. « L’amélioration énergétique de l’habitat, ce n’est pas spectaculaire, mais c’est important », insiste Denis Palluel.
En 2017, une opération plus inhabituelle a été menée sur l’île : le remplacement des vieux réfrigérateurs, gourmands en énergie. Car pour garder des réserves en cas de perturbation de la liaison avec le continent, ou pour stocker leur pêche, les habitants de Sein sont suréquipés en appareils de froid : ils en possèdent deux fois plus que la moyenne des Français. L’État et EDF ont ainsi financé le remplacement sur Sein d’une quarantaine de congélateurs par des équipements étiquetés A++ ou A+++.
- Vue sur l’île de Sein. © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
L’éclairage public a lui aussi été optimisé. Et environ 2 000 ampoules LED ont été distribuées aux foyers. Des équipements hydroéconomes (limiteurs de débit, pomme de douche économe) ont par ailleurs été mis à leur disposition. Car sur Sein, économiser l’eau, produite par désalinisation, revient à économiser du fioul.
Une consommation d’énergie « à l’étale »
Les politiques volontaristes menées sur les îles de la mer d’Iroise ont produit une baisse notable des consommations entre 2015 et 2018, avec une réduction de 26 % des émissions de CO2 sur cette période. Et à l’horizon 2023, l’île de Sein est bien partie pour atteindre son objectif de 300 mégawatts-heures (MWh) d’économies par an, précise Émilie Gauter.
- La centrale thermique de l’île (fioul) se situe dans le phare de l’île. © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
Mais malgré la poursuite des efforts de sobriété, « le paradoxe, c’est qu’on ne voit plus de diminution de consommation de fioul », constate Denis Bredin, directeur de cette association. En cause ? Le report d’autres consommations énergétiques vers l’électricité. « Tous les gens qui se chauffaient directement au fioul se chauffent maintenant à l’électricité. » Par ailleurs, pour stimuler l’activité économique et garder des actifs, les îles comme Sein cherchent à développer le tourisme hors-saison, explique Denis Bredin. « Et ça marche ! Il y a beaucoup plus de locations hors-saison donc, évidemment, davantage de consommation d’électricité. » Néanmoins, malgré cette hausse de l’activité touristique, et un léger regain de population, la consommation n’a pas bondi, se félicite-t-il. « On arrive à la maintenir étale. »
- Des passagers quittent le bateau à l’embarcadère de l’île de Sein. © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
L’enjeu crucial de l’eau
Sur des îles où la ressource en eau est rare, et où l’eau potable est produite à partir de l’eau de mer par un osmoseur — permettant de traiter de l’eau de mer par le procédé de l’osmose inverse pour la désaliniser —, les économies d’énergie peuvent être anéanties par un problème de canalisations. « Il y avait des fuites énormes durant toute une période », se désole Denis Bredin. Un bilan détaillé du réseau de Sein est en cours pour éviter ce type de gâchis. « C’est complètement stupide, y compris sur le plan économique pour la commune, d’avoir à osmoser de l’eau si une bonne partie repart dans la mer ! » À l’avenir, l’association, les élus et EDF planchent sur un dispositif technique permettant de régler le fonctionnement de l’osmoseur sur les périodes de forte production photovoltaïque.
Sur l’île de Molène, c’est la sécheresse qui est venue plomber le bilan énergétique de l’île. Les réserves d’eau de pluie habituellement traitée pour la consommation sont venues à manquer. « Les agents des services des eaux ont dû faire venir en urgence un osmoseur qui, évidemment, était branché sur la centrale », explique Denis Bredin.
- Un voilier aux abords de l’île de Sein. © Morgan Bisson / Hans Lucas / Reporterre
Par ailleurs, si sur les îles, économies d’eau et d’énergie ne font qu’un, les nombreux visiteurs de l’île de Sein (45 000 traversées en 2019), sont loin d’avoir tous les réflexes économes des locaux. Et ce, malgré un affichage présent chez tous les hébergeurs. « Mes petits enfants, quand ils viennent de Paris, c’est douche matin et soir, témoigne Ambroise Menou, médecin retraité de l’île et ancien adjoint au maire. Je leur dis : “Il faut consommer l’eau comme si vous alliez la chercher avec un seau au fond du jardin !” »
À l’horizon 2023, les îles de la mer d’Iroise gardent en tout cas le cap sur leurs ambitieux objectifs d’économies d’énergie, fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie. Sein, qui consomme à l’heure actuelle 1 400 MWh par an, prévoit ainsi de réduire d’encore 200 MWh par an sa consommation énergétique. « Ce sont les derniers kilowattheures qui sont les plus compliqués à économiser... », prévient Émilie Gauter de l’Association des îles du Ponant.