Swann Périssé, l’humoriste écolo qui « blague sur notre mort imminente »

À l’aide de l’humour, Swann Périssé espère vulgariser les enjeux écologiques. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
À l’aide de l’humour, Swann Périssé espère vulgariser les enjeux écologiques. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Dans son spectacle « Y a plus de saisons », l’humoriste Swann Périssé invite des spécialistes des enjeux écologiques et imagine avec humour à quoi pourrait ressembler le monde dans les années à venir.
Paris, reportage
Elle fait passer du rire aux larmes. Certains spectateurs ont les yeux embués jeudi 2 novembre, pendant qu’ils applaudissent au théâtre de l’Européen à Paris. Sur scène, l’humoriste Swann Périssé, qui s’est faite connaître par ses sketchs sur YouTube, présentait les épisodes 3 et 4 de son nouveau programme « Y a plus de saisons », où elle avait convié l’activiste Camille Étienne et l’autrice Fatima Ouassak.
Le concept ? « On va faire des blagues sur notre mort imminente », prévenait l’humoriste lors du premier épisode. « J’invite un ou une spécialiste de l’écologie à me raconter ce qu’il connaît, et les vies qu’on pourrait vivre si on décidait de regarder la réalité en face. Et moi je rends ça drôle », résume-t-elle plus sérieusement à Reporterre. Pendant plus d’une heure, Swann Périssé chahute donc systématiquement ses invités, en se moquant gentiment d’eux et en tentant de dédramatiser le terrible constat qu’ils dressent sur le changement climatique.

La réalité finit toujours par nous revenir en pleine face. Ainsi, après avoir imité une vidéo artistique de Camille Étienne dans une parodie hilarante – la militante déclame parfois des monologues poétiques sur l’urgence à agir, perchée en haut d’un glacier – Swann Périssé finit son spectacle les larmes aux yeux. « La comédie part souvent du dramatique et de l’angoissant. Or s’il y a bien une peur collective en ce moment, je pense que c’est celle-ci », dit-elle.
À l’aide de l’humour, Swann Périssé espère vulgariser les enjeux écologiques et sensibiliser son public (le spectacle est retransmis en vidéo sur YouTube et en podcast par Binge Audio). « Déjà, si les gens comprennent que peut-être on n’aura plus Netflix un jour, pour moi c’est une victoire », estime-t-elle. Comme une graine qu’elle voudrait laisser germer dans la tête (et le cœur) des spectateurs : « Je veux expliquer que l’écologie, c’est politique : la gestion des villes, comment tu t’ancres dans un territoire, ce que tu manges. La plupart des gens en sont hyper loins, ils pensent vraiment que l’écologie c’est le dentifrice solide ! Et j’y ai participé. »
Pause des écrans
En 2020, l’humoriste avait créé une deuxième chaîne YouTube, « Vert chez vous », dédiée à l’écologie. Elle se rendait partout en France avec sa caravane, et vivait chez ses abonnées et abonnés le temps de les aider à réaliser des chantiers écologiques. Aménager un potager, construire des toilettes sèches, fabriquer ses propres yaourts… Une expérience de deux ans qui l’a laissée sur les rotules.
« J’étais épuisée d’avoir multiplié les gestes individuels, pour moi et pour les visibiliser au grand public, confie-t-elle. C’est rigolo d’essayer de passer au beewrap à la place du film plastique, mais essayer d’être parfait c’est trop fatigant. Si on met tout sur les épaules de quelqu’un qui tient son foyer, ou qui voyage et se nourrit parfaitement, c’est faire semblant que [les problèmes écologiques sont] de la faute des gens qui vivent dans ce système. Or il faut attaquer le système en soi. »

Lessivée, la vidéaste de 33 ans a donc pris une pause des écrans pendant un mois, fin 2022. Plus de téléphone, de YouTube, d’Instagram, ni même de films. Du temps libéré pour dormir. Lire. Réfléchir. Notamment aux réseaux sociaux, cœur de son métier de vidéaste. « Je me suis rendue compte que les réseaux sociaux étaient connectés au fait que je n’avais jamais le temps de réfléchir, qu’ils étaient connectés à la poursuite du capitalisme et que c’était vraiment un système qui nous faisait courir à notre perte ».
Sans abandonner définitivement les vidéos sur YouTube et Instagram, Swann Périssé a toutefois voulu changer de braquet. Et privilégier la scène au virtuel. Elle a écrit un nouveau spectacle, actuellement en rodage au théâtre Le République Paris. « Il s’appelle "Calme" parce que je suis en colère tout le temps », dit-elle en se marrant. Ne se sentant pas légitime à parler seule des enjeux écologiques, elle a voulu y ajouter le format « Y a plus de saisons », et interviewer des spécialistes de ces questions. Une idée qui lui est venue après une conférence où elle était invitée aux côtés de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici. « Lui, il disait des trucs super sérieux et moi je faisais plein de vannes. Le duo marchait bien », se souvient-elle.

Swann Périssé l’a donc choisi pour être le premier invité du format « Y a plus de saisons », lors d’un épisode surréaliste – mais très réussi – où on a découvert un Jean-Marc Jancovici tout sourire, plaisantant au sujet de sex-toys ou répondant aux allusions grivoises de l’humoriste. « Je veux que les gens voient les invités sous un autre angle, explique Swann Périssé. J’espère montrer qu’ils sont humains, touchants, qu’ils se battent pour une vie plus joyeuse et plus drôle. Dans l’imaginaire collectif, les écolos sont rabat-joie alors que c’est grâce à eux, à nous, que la joie ne sera pas rabattue. »
« Dans l’imaginaire collectif, les écolos sont rabat-joie »
C’est au fil des années que son « rapport à l’écologie s’est politisé », reconnaît l’humoriste. Elle veut désormais s’investir davantage dans les luttes. Très choquée par les grèves de la faim et de la soif des opposants à l’A69 entre Castres et Toulouse – « J’ai vraiment cru que Thomas Brail allait mourir », dit-elle – elle s’est rendue le 21 octobre à la mobilisation Ramdam sur le macadam. « Je me suis dit "Attends, tu t’es épuisée à apprendre à faire ton propre shampoing, il faut que tu ailles là-bas", raconte-elle. Et j’ai découvert ces vies qu’on pourrait avoir : de la nourriture à prix libre, de la musique, des bières, des gens aimants et bienveillants… »

Aujourd’hui, elle l’admet : ce n’est pas cette vie qu’elle mène. Surbookée, elle habite entre Montpellier et Paris. Elle a choisi de se donner trois ans pour expérimenter le spectacle vivant dans la capitale. Ensuite, elle ne sait pas à quoi ressembleront les métropoles. « C’est maintenant ou jamais. Je pense que les villes vont ressembler de plus en plus à des bombes climatiques injustes. Ça va venir un peu de partout et on sait pas trop à quoi ça va ressembler : restrictions de liberté, masques à cause de la pollution, augmentation des prix... »
En attendant, Swann Périssé reste. Pour sensibiliser. Pour faire rire. Pour mettre en avant « des gens qui [l’]ont scotchée ». Son prochain invité ? Le réalisateur Cyril Dion, le 11 décembre. C’est le livre de ce dernier, Petit manuel de résistance contemporaine (Actes Sud, 2018), qui a accompagné sa pause des écrans l’année dernière. « Ça a changé ma vie. Il explique qu’il existe plusieurs façons de lutter, soit par le droit, soit par la désobéissance civile, soit dans son quotidien. » Swann Périssé a choisi la sienne.