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Climat

Tempêtes : enterrer les lignes, une solution contre les coupures d’électricité

Il n'y a pas assez de lignes enterrées, notamment dans les zones boisées et sur le littoral.

En Bretagne et Normandie, le réseau électrique a été « haché menu », selon la présidente d’Enedis. Ces dégâts auraient pu être limités si plus de lignes étaient enterrées, comme le réclament les collectivités.

Des milliers d’arbres écrasés sur les lignes, des pylônes arrachés, des câbles en équilibre instable... La tempête Ciarán n’a pas épargné le réseau électrique. Le 2 novembre au matin, 1,2 million de foyers étaient privés de courant. Vingt-quatre heures plus tard, 523 000 l’étaient toujours. « Dans certains endroits en Bretagne et en Normandie, le réseau a été haché menu, a expliqué la présidente d’Enedis, Marianne Laigneau, lors d’un point presse. Nous ne sommes pas dans un aléa climatique classique […] mais nous sommes dans un événement exceptionnel voire hors norme. »

Enedis, le gestionnaire du réseau basse et moyenne tension, avait anticipé les coupures de courant en déclenchant dès la veille son dispositif d’urgence : salariés et matériel venus d’Île-de-France, d’Occitanie ou encore de Champagne-Ardennes étaient sur place pour renforcer les équipes locales. Même les lignes les plus puissantes ont été touchées, comme l’explique RTE, le gestionnaire du transport de l’électricité haute tension : « Ces vents violents ont entraîné dans le Finistère la mise hors tension de treize lignes électriques haute et très haute tension et de deux postes électriques d’une puissance cumulée de 11 mégawatts soit environ l’équivalent de 10 000 foyers. » Le rétablissement de l’électricité risque de prendre plusieurs jours dans certains endroits.

Pour éviter ces coupures, pourquoi ne pas enterrer davantage de lignes ? Nombre d’entre elles le sont déjà, mais la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) estime que cela reste insuffisant, notamment dans les zones boisées et sur le littoral. En cause : le coût des travaux ou des difficultés techniques.

La moitié des lignes sont aujourd’hui enterrées

En 1999, avec les tempêtes dévastatrices Martin et Lothar, la France prenait conscience de la vulnérabilité de son réseau aérien face aux aléas climatiques extrêmes. À l’époque, plus de 3 millions de foyers avaient été privés de lumière, certains avaient dû patienter plusieurs semaines avant d’être à nouveau connectés au réseau. Dès lors, la question de l’enfouissement des lignes basse et moyenne tension, déjà très pratiqué chez nos voisins européens, a commencé à se poser. Au début des années 2000, quand 70 % du réseau basse tension (BT) était enterré en Allemagne, seuls 29 % l’était en France, selon un rapport parlementaire de 2001.
 
Depuis la situation s’est améliorée : sur près de 1 400 000 kilomètres de lignes basse et moyenne tension, la moitié sont désormais enterrés, selon le plan de développement de réseau (PDR) présenté par Enedis en mars 2023. Et la totalité des nouvelles lignes BT sont aujourd’hui installées en souterrain, précise l’entreprise sur son site. C’est également le cas pour 98,4 % des nouvelles lignes en moyenne tension. 
 

La difficulté de creuser dans le sol granitique

La FNCCR apporte toutefois un bémol à ces chiffres : le passage en réseau enterré n’est pas systématique sur les lignes BT. Dans les petites communes rurales, les collectivités concédantes sont décisionnaires sur les travaux d’amélioration esthétique des ouvrages basse tension existants. « Il y a des exceptions, quand l’opération s’avère beaucoup trop chère ou pas assez rapide », dit Anne Barbarin, cheffe du département Énergie de la FNCCR. Elle prend l’exemple du Finistère particulièrement touché par Ciarán : « Le sol est granitique. Enterrer des câbles pourrait coûter extrêmement cher. Il n’est pas certain que cela soit économiquement possible. » Enedis le confirme auprès de Reporterre  : « Sur certaines portions, l’enfouissement n’est pas envisageable du fait de la nature du terrain (granit, par exemple) ou de son positionnement (montagnes, zones inondables, etc.). »
 
Quant aux lignes moyenne tension, sur lesquelles les autorités concédantes ne sont pas décisionnaires, leur enfouissement par Enedis serait plus lent, selon Anne Barbarin : « On constate que dans les Deux-Sèvres et dans la Vienne, deux départements dans lesquels Enedis ne gère pas le réseau, l’enfouissement de la moyenne tension est beaucoup plus en avance. »

« Nous continuons à demander à ce que les investissements soient accélérés pour l’enfouissement des lignes, en particulier pour les lignes avec des fils nus, les plus dangereuses », explique la cheffe du département Énergie de la FNCCR.

Réseau haute tension : un enfouissement particulièrement coûteux

 
On voit encore dans beaucoup d’endroits des lignes avec quatre fils nus. Ces dispositifs ne sont pourtant plus utilisés depuis le début des années 1970. Ils ont alors été remplacés par un unique câble torsadé. « Non seulement, les fils nus prennent plus le vent et rendent les lignes plus fragiles, mais ils sont également beaucoup plus accidentogènes, alerte Anne Barbarin. Un fil nu posé au sol peut provoquer une électrocution même si on ne le touche pas. Il suffit d’être à 10 ou 20 centimètres. Ce risque est largement sous-estimé. Il faut vraiment les enlever. » Elle insiste également sur la nécessité d’assurer la continuité des autres services publics qui, sans électricité, ne peuvent plus fonctionner.
 
Dans son plan 2023, Enedis reconnaît que ces ouvrages à quatre fils nus présentent un taux d’incident (c’est-à-dire de panne) cinq à six fois plus élevé que celui de la BT en technique torsadée ou souterraine. Le gestionnaire écrit qu’il vise, en lien avec les autorités concédantes, la suppression de la quasi-totalité de ces lignes à l’horizon 2035. « Cela devrait permettre d’éviter autour de 15 000 incidents par an, d’améliorer la qualité d’alimentation sur les réseaux basse tension, et d’avoir une plus grande résilience aux aléas climatiques », estime-t-il.

« Un fil nu posé au sol peut provoquer une électrocution »

 
Enfin, concernant le réseau haute et très haute tension, l’enfouissement se révèle particulièrement coûteux et réclame beaucoup d’espace, puisque les différents câbles doivent pour des raisons techniques être enfouis à distance les uns des autres. En 2022, seules 7 055 km de lignes haute et très haute tension étaient souterraines sur les 100 000 km du réseau, précise RTE.
 
Pour éviter la défaillance des grands pylônes, RTE avait lancé au lendemain des tempêtes de 1999 un grand plan de sécurisation mécanique de son réseau : reprise des fondations, renforcement de certains pylônes, élargissement des tranchées forestières... Des dispositions vraisemblablement insuffisantes face à la violence de la tempête Ciarán.

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