Thomas Brail et deux activistes débutent leur grève de la soif contre l’A69

Thomas Brail à Paris le 9 octobre 2023. - © Emmanuel Clévenot / Reporterre
Thomas Brail à Paris le 9 octobre 2023. - © Emmanuel Clévenot / Reporterre
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Après 38 jours de grève de la faim, le grimpeur Thomas Brail a entamé une grève de la soif avec deux de ses camarades. Les trois hommes, qui ne pensent pas tenir longtemps, sont déterminés à résister jusqu’au bout contre l’A69.
Paris, reportage
« J’ai dit à mon petit garçon, Jules, que je rentrerai à la maison mercredi. » Une larme roule sur la joue de Thomas Brail. Le souffle court, il murmure : « Je lui ai dit que je partais au boulot. Peut-être que je ne reviendrai plus… » Le 9 octobre, à l’ombre des platanes du boulevard Saint-Germain, où siège le ministère de la Transition écologique, le Tarnais a débuté une grève de la soif. Objectif : faire plier l’État et la Région Occitanie, et réclamer la suspension des travaux de construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres.
« Il est 14 h 14. J’ai avalé ma dernière gorgée d’eau il y a 14 minutes. Désormais, j’arrête de boire », a déclaré l’homme de 49 ans, déjà en grève de la faim depuis 38 jours. À ses côtés, Reva (en grève de la faim depuis 30 jours) et Celik (en grève de la faim depuis 26 jours), deux amis grimpeurs l’accompagnant dans cette démarche. À Toulouse, et sur le tracé du projet où des centaines d’arbres sont déjà menacés d’abattage, douze autres opposants poursuivent également une grève de la faim.

Voyant s’agglutiner une vingtaine de militants, des policiers de la BRAV-M ont accosté Thomas Brail pour lui intimer l’ordre de quitter le parvis du ministère. La petite cohorte s’est alors doucement éloignée, en direction du palais de l’Élysée, où les grévistes ont déposé une lettre adressée au président de la République, Emmanuel Macron.
« Je n’accepte aucun soin médical »
Seulement, après quelques instants d’efforts à peine, le grimpeur aux joues creusées à la démarche fragile s’est adossé à la façade d’un bâtiment, épuisé. « Je tiens à rappeler une chose : je n’accepte aucun soin médical si je tombe au sol. Aucun. » Il assure avoir longuement discuté avec une psychologue, et être tout à fait conscient de sa décision. Devant chaque caméra de télévision, il répète inlassablement ne pas vouloir d’assistance.
« S’il se passe quoi que ce soit, on ressortira tous perdants, prévient-il. Ce serait un véritable suicide politique pour tous les élus qui soutiennent ce projet. On ne laisse pas mourir les gens dans le pays des droits de l’Homme. » Depuis le début du mois de septembre, Thomas Brail a déjà perdu 12 kilos, et dit ressentir de terribles douleurs aux reins.

Dès à présent, un live Instagram le suivra en direct et en permanence dans sa grève de la soif. Le fondateur du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) craint toutefois que celle-ci ne dure que peu de temps : « Dans de bonnes conditions, ça vous achève en trois jours. Moi, je n’ai pas mangé depuis bientôt 40 jours… Je pense que d’ici quelques heures, ce sera fini pour moi. »
D’après l’article 5 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le refus d’alimentation constitue une liberté individuelle. Les dispositions de l’article 16-3 du Code civil précisent par ailleurs qu’il « ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique et avec le consentement de l’intéressé, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

Aux yeux d’Anne-Sophie Simpere, juriste, ce consentement doit toutefois être donné à l’instant T… et non en amont : « Si un militant tombe dans le coma avec un risque de mort, il faudra qu’une décision médicale soit prise. Là, le médecin fera alors face à un conflit d’équilibre entre le devoir d’assistance à personne en danger et le respect du libre choix de l’individu. Il choisira probablement le soin. »
Dans le cas où l’un des grévistes venait à perdre la vie, l’État prendrait le risque de poursuites pour violation du droit à la vie, détaille la juriste : « Tout dépendra du comportement des gouvernants dans les jours à venir. »

Le 3 octobre, lors d’une rencontre, la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga et les représentants du ministre des Transports, Clément Beaune étaient restés de marbre face aux réclamations des grévistes. « La dégradation des sols risque bientôt d’atteindre un point de non-retour, a déclaré le collectif La Voie est libre dans un communiqué. L’inertie n’est pas une réponse acceptable, elle pousse des citoyens à entrer en grève de la soif, geste de désespoir ultime. »
Les militants demandent désormais la réalisation d’une expertise indépendante sur les données socio-économiques du projet actualisé, et la mise en place d’un référendum permettant à la population concernée de s’exprimer. « Cela vaut-il vraiment la peine de mettre en péril la vie de trois hommes ? » s’interroge Reva. Ce soir, ils dormiront dehors, dans les rues de la capitale.