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ReportageLuttes

« Tout le monde déteste les pesticides » : près de Lyon, Bayer-Monsanto sous pression

Manifestation contre Bayer-Monsanto, le 5 mars à Lyon.

Une grande journée d’actions a été organisée le 5 mars à Lyon contre le géant de l’agro-industrie Bayer-Monsanto. Les militants ont tenté de pénétrer dans une usine du groupe, sans succès. Puis 1 500 personnes ont manifesté dans le centre-ville.

Villefranche-sur-Saône et Lyon (Rhône), reportage

Les rues de Villefranche-sur-Saône n’avaient jamais connu cela. Samedi 5 mars, des centaines de personnes vêtues de combinaisons blanches ont investi la ville pour s’attaquer au groupe Bayer-Monsanto, et plus précisément à son usine de Limas. Un site de 28 hectares classé Seveso seuil haut qui est « l’un des plus importants du monde pour la formulation des produits de Bayer CropScience ». En clair : c’est ici que sont produits les pesticides du géant de l’agro-industrie.

« Nous sommes venus pour dénoncer ces pesticides et toutes ces merdes qui sont mises dans la terre », explique Christian Fouilleret, membre des Faucheurs volontaires, coorganisateurs des Soulèvements de la Terre avec Youth for Climate, Extinction Rebellion et d’autres. Cette action devait être le point d’orgue d’une campagne contre l’agrochimie et particulièrement le groupe Bayer-Monsanto.

Le flot de militants s’engouffre dans un tunnel sous les rails de la gare de Villefranche-sur-Saône. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

Il n’était pas encore 10 heures du matin lorsque derrière la mairie, les manifestants se sont rassemblés par petits groupes affinitaires. Les consignes étaient contradictoires, certains parlaient même d’annuler l’action en raison de la police déjà devant l’usine. Soudain, le top départ a été lancé. Chacun a sorti de son sac à dos une combinaison blanche, l’a enfilée rapidement, a ajusté son masque et ses lunettes de soleil. Les militants se sont alors transformés en une masse blanche, indistincte et anonyme qui a déferlé telle une vague vers l’usine de pesticides, criant : « Bayer dégage, résistance et sabotage » ou encore « Tout le monde déteste les pesticides ».

Tout en criant, les militants ont couru dans les rues, s’apostrophant avec des noms de code comme « chiffon », « pois chiche », « Sioux », « chaton », afin d’éviter de perdre ses compagnons dans cet amas indistinct de costumes blancs. Interloqués, les habitants les regardaient depuis leurs fenêtres. « Que se passe-t-il ? » s’est interrogé un riverain. « C’est une manifestation contre Bayer-Monsanto », lui a-t-on répondu. « Ah d’accord. Mais c’est qui, ça ? »

© Laury-Anne Cholez/Reporterre

Devant l’entrée de l’usine, la présence policière est restée modeste au regard de l’effectif de militants : entre 200 et 300 personnes selon les organisateurs. Plusieurs groupes ont sauté sur le grillage, réussissant à le renverser. Mais tous ont fait marche arrière, repoussés par les gaz lacrymogènes des forces de l’ordre.

D’autres tentatives se sont soldées par de nouvelles salves de lacrymogènes, noyant le cortège dans un grand brouillard et donnant aux silhouettes blanches un air fantomatique. Suite à ces affrontements, dix-sept personnes ont été placées en garde à vue.

Des militants ont réussi à détruire le grillage devant l’usine de Bayer-Monsanto. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

« Nous avons réussi notre mission »

Le but officiel de l’action était d’envahir l’usine pour la mettre hors d’état de nuire. Un objectif en partie atteint : la production avait été arrêtée en amont de la manifestation par Bayer-Monsanto « dans l’objectif de garantir la priorité absolue qu’est la sécurité de nos salariés », a déclaré Constance Tuffet, en charge de la communication pour Bayer France au journal Le Progrès.

Un peu plus tôt le matin, des Faucheurs volontaires avaient été envoyés en éclaireurs pour faire diversion devant le site, afin que le reste des troupes puissent pénétrer par les autres entrées. Visuellement parlant, tout les opposait aux jeunes militants aux combinaisons blanches. Leurs cheveux gris, leurs visages non masqués, leurs t-shirts iconiques « OGM non, pour le bien commun je résiste ». Mais sur le fond, une même volonté les réunissait : dénoncer les ravages de l’agro-industrie sur l’être humain et son environnement.

Les Faucheurs volontaires étaient présents pour bloquer l’usine de Bayer-Monsanto. © Laury-Anne Cholez/Reporterre

Au final, cette mobilisation est un bel exemple de collaboration générationnelle, avec un respect des tactiques et des niveaux de radicalité de chacun. « La force des Soulèvements de la Terre, c’est d’arriver à organiser des campagnes d’actions en réunissant des groupes qui ont une culture politique différente, au-delà de l’âge. Ces compositions donnent naissance à des actions plus pertinentes et moins prévisibles que le mouvement climat. On trouve un espace pour faire des choses plus ambitieuses en se nourrissant des idées des uns, des autres », explique Léna, une militante des Soulèvements de la Terre.

Christian Fouilleret, membre des Faucheurs, se réjouit également de cette dynamique. « Les Faucheurs ont toujours fait des actions radicales. Hier [vendredi 4 mars] par exemple, on a bloqué le site de l’usine BASF. Mais aujourd’hui, notre rôle était de faire diversion. Et nous avons réussi notre mission. On va repartir pour organiser la manifestation de cet après-midi. »


Dans le centre-ville, 1 500 manifestants contre Monsanto

Ils étaient près de 1 500 activistes présents l’après-midi place Valmy, dans le 9ᵉ arrondissement de Lyon, pour assiéger le siège de Bayer, rue Jean-Marie Leclair. Sans succès : le dispositif policier déployé n’a pu permettre d’accéder au site visé.

Pragmatique, la Confédération paysanne a négocié avec la préfecture du Rhône un tracé de manifestation évitant le siège du biochimiste. « On ne veut pas que nos paysans finissent au poste, ils doivent bosser demain », glisse l’organisation.

Christelle, représentante de la Confédération paysanne. © Moran Kerinec/Reporterre

La démonstration de force était surtout l’occasion d’harmoniser la convergence des luttes écologiques entre les différentes composantes des Soulèvements : Extinction Rebellion, Les Amis de la Confédération paysanne, les Faucheurs volontaires, Bassines Non Merci, Youth for Climate, Collectif Vietnam-Dioxine, etc. Des collectifs issus d’horizons différents, mais aux mêmes aspirations : « Regrouper les forces paysannes et écologistes contre le modèle agro-industriel mortifère représenté par Bayer-Monsanto », explique Benoît, d’Extinction Rebellion.

Faucheur volontaire venu de Toulouse, Fernand développe : « Nous faisons souvent des convergences avec ANV-COP21. La dernière fois, nous avons occupé les locaux de la FNSEA ensemble. Ça marche localement, on aimerait que ce soit le cas au niveau national. » Actif dans la lutte contre les OGM depuis 2003, le vieux faucheur porte un œil appréciateur sur les jeunes générations qu’il a épaulées le matin même sur le site de Bayer-Monsanto : « La jeunesse a une réaction vive et active pour lutter contre ce modèle, et ça me réjouit ! »

Clown de manifestation présent le samedi 5 mars à Lyon. © Moran Kerinec/Reporterre

Dans la procession, l’ambiance intergénérationnelle a été bon enfant. « Oui aux poulets de plein air, non aux répressions policières ! » a scandé le cortège de tête, où se mélangeaient paysans et militants anticapitalistes. Un instant, la tension est montée. À l’embranchement du pont Georges Clemenceau, quelques dizaines de participants du Black bloc ont voulu forcer le barrage policier qui encadrait la manifestation. Ira, ira pas ? Les clowns de la manifestation ont filé au contact des forces de l’ordre pour faire tampon. Cornaquée par les Amis de la Confédération, la manifestation est repartie sans heurts. La tension, elle, a demeuré.

Le cortège de la manifestation, dont Les Amis de la Confédération paysanne, le 5 mars à Lyon. © Moran Kerinec/Reporterre

Des voix discordantes ont regretté de n’avoir pu mener le siège du géant pharmaceutique. « Comment nous prendre au sérieux si on ne tient pas parole ? » s’est agacé Camille, militant anticapitaliste. Décision a été prise : dès le retour de la manifestation place Valmy, les plus motivés mèneraient un assaut contre le site de Monsanto. L’équipée a déchanté rapidement. La place a été encerclée par les compagnies de CRS, et le déploiement d’un canon à eau a assuré que l’offensive ne fasse pas long feu.

Un manifestant de la Confédération paysanne. © Moran Kerinec/Reporterre

En guise de baroud d’honneur, des participants au Black bloc ont décroché les drapeaux français, européen et lyonnais du fronton de la mairie adjacente du 9ᵉ arrondissement, battant le pavillon Europe Écologie-Les Verts (EELV), avant d’y mettre le feu. Un acte « inadmissible » condamné « fermement » par la municipalité écologiste. Le maire EELV de Lyon Grégory Doucet a, lui, pointé des « dégradations intolérables » et souligné que « le vivant doit être défendu dans la non-violence ». À quelques centaines de mètres de là, le siège de Bayer-Monsanto se tenait toujours immaculé. Pour le grand déménagement, il faudra repasser.

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