Mobilisation à Lyon contre l’agriculture numérique et Bayer Monsanto

Extinction Rebellion Lyon lors d'une action au siège de Bayer contre les néonicotinoïdes, en mars 2021. - © Extinction Rebellion Lyon
Extinction Rebellion Lyon lors d'une action au siège de Bayer contre les néonicotinoïdes, en mars 2021. - © Extinction Rebellion Lyon
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OGM Pesticides Agriculture NumériqueLes Soulèvements de la Terre appellent à bloquer Bayer-Monsanto à Lyon. Ils espèrent ainsi alerter sur les conséquences négatives du groupe sur l’agriculture et s’opposer à la numérisation de l’agriculture promue comme une solution par la multinationale.
Vendredi 4 mars, une centaine de personnes se sont introduites dans l’usine BASF de Genay au nord de Lyon. Une multinationale de l’agrochimie qui, comme Bayer-Monsanto, produit, distribue et exporte des pesticides. Les Faucheuses et Faucheurs Volontaires comptaient notamment vérifier dans cette usine la bonne application de la loi Egalim. En effet, depuis le début de cette année, il est interdit de produire en France des pesticides interdits dans l’Union européenne. Cette mobilisation s’inscrit dans la campagne d’action « Bye Bye Bayer-Monsanto ».
Cette action s’inscrit dans le projet de bloquer Bayer-Monsato. La dynamique des Soulèvements de la Terre, les Faucheurs volontaires, ainsi que divers collectifs écologistes et paysans de la région lyonnaise ont appelé à une mobilisation massive pour assiéger le géant de l’agro-industrie ce samedi 5 mars à Lyon. La ville est en effet le siège social de l’entreprise depuis 2018.
Leurs griefs sont multiples et déjà connus des écolos. Manipulation autour de la dangerosité du glyphosate, fichage illégal de personnalités, développement des nouveaux OGM, et des pesticides. Une activité controversée mais florissante. En 2021, le groupe a engrangé un bénéfice net d’un milliard d’euros. Une croissance tirée par la vente d’herbicides (+ 15,4 %) particulièrement ceux à base de glyphosate, dont le prix a augmenté. Ses résultats financiers n’ont pas été pénalisés par les multiples procès notamment aux États-Unis et en Allemagne. Des collectifs de victimes des pesticides réclamant des milliards de dollars de dédommagements.

Pour tenter de redorer son image, Bayer Monsanto mise notamment sur « l’agritech ». Celle des drones qui survolent les cultures, des caméras embarquées qui traquent les maladies des plantes, des robots cueilleurs guidés par l’intelligence artificielle. C’est à Lyon, dans son laboratoire de recherche LifeHub, inauguré en novembre 2017, que le groupe compte développer ces nouvelles technologies. « Ce lieu est véritablement un catalyseur d’innovation agricole durable axée sur le numérique et l’intelligence artificielle », assure son site internet. Le groupe espère ainsi réduire de 30 % l’impact écologique de ses produits phytosanitaires d’ici 2030.
« L’idée que robotiser les champs va sauver la planète et les abeilles est une arnaque »
Mais pour Hugo Persillet, animateur formateur à l’Atelier paysan, une coopérative qui promeut la réappropriation des outils et machines agricoles, ce discours est hypocrite. « La nouveauté de l’agritech, c’est de prendre en compte la question environnementale. Pourtant cela reste la même agriculture conventionnelle. La croissance verte est une aubaine pour la plupart des industriels et toutes les multinationales sont en train de verdir leur discours. Mais l’idée que robotiser les champs va sauver la planète et les abeilles est une arnaque qu’il faut démonter. »

C’est ce que s’attachent à faire les militants des Soulèvements de la Terre en appelant au blocage du géant industriel. Dès le 19 janvier, Extinction Rebellion Lyon avait ouvert le bal en allant encoller le siège national de Bayer Monsanto à Lyon. Le 5 janvier Youth For Climate Lyon, avait déployé une grande banderole sur la mairie de Lyon. Ce qui leur a valu d’être emmenés en garde à vue.
Contacté par Reporterre, Bayer a dénoncé ces actions. « Le collectif des Soulèvements de la terre a posé il y a quelques semaines déjà un “ultimatum” à l’encontre de l’implantation de Bayer en France. Cette méthode et les menaces qui l’accompagnent sont en contradiction complète avec la volonté de dialogue dont Bayer fait preuve sur ses activités […] Le mode d’action utilisé par ce collectif ne laisse aucune place au dialogue et instaure un climat de violence que nous condamnons », nous a écrit par courriel Constance Tuffet, de la communication Crop Science France, la branche recherche de Bayer.

Le 9 février, les activistes avaient décidé d’investir les locaux de la start-up lyonnaise, Carbone Bee, qui a développé un système de caméra embarquée sur les tracteurs pour mieux pulvériser des pesticides. Des travaux qui intéressent Bayer-Monsanto. Mais l’action ne s’est pas déroulée comme prévu, car une fois arrivés sur place, ils n’ont pas trouvé l’entreprise : Carbone Bee avait visiblement vidé les lieux. Les militants ont alors rejoint la Confédération paysanne pour manifester devant la direction départementale des territoires (DDT) de Valence afin de signifier leur « dégoût du plan France 2030 ».
Ce plan de relance industriel destiné, entre autres, à financer « la transition agricole et alimentaire » s’est doté d’un budget de 2,3 milliards d’euros pour investir « dans les solutions d’avenir pour accélérer le déploiement de la 3ᵉ révolution agricole ; celle du vivant et de la connaissance au service de notre souveraineté alimentaire », comme l’explique le site du ministère de l’Agriculture.
Le gouvernement à fond dans l’agritech
En effet pour le gouvernement, l’avenir du monde agricole sera technologique ou ne sera pas. Lors de son déplacement au salon de l’agriculture, le 26 février dernier, Emmanuel Macron a même déclaré vouloir transformer les fermes en « start-up de la tech ». Numérique, robotique, génétique seraient les piliers de cette « troisième révolution agricole » évoquée par le président de la République.
Bayer-Monsanto compte bien prendre sa part du gâteau. Depuis son rachat de Monsanto en 2018, il est devenu l’un des leaders mondiaux dans l’offre d’outils de conseils agricoles. Les compétences numériques de la firme américaine étaient d’ailleurs la principale motivation de son acquisition. L’effectif dédié à cette branche a été multiplié par 2,5 en trois ans, pour atteindre cinq cents personnes en 2020. Ce qui permet à Bayer de proposer aux agriculteurs français pas moins de onze applications dédiées à l’utilisation de produits phytosanitaires : de l’aide à l’identification des ravageurs et des mauvaises herbes à un improbable quiz pour être incollable sur la réglementation des produits phytosanitaires. Des services gratuits : à l’ère du numérique, les données collectées sont une finalité en soi.
Il développe également des partenariats avec des start-up de l’agritech, comme Gencovery qui a intégré le laboratoire de recherche LifeHub de Lyon pour créer une plateforme collaborative regroupant des données de recherche non-exploitées ; ou encore la parisienne Meiogenix, qui met au point une technologie de sélection végétale.
Un marché à plusieurs milliards de dollars
Tous ces efforts visent un secteur économiquement attractif : le marché de la robotique pourrait passer de 131 milliards de dollars à 196 milliards d’ici à 2035 selon Bayer. Un optimisme à tempérer. Axema, le syndicat de l’union des industriels de l’agroéquipement, s’est récemment inquiété des pénuries de matières premières, notamment des composants électroniques, pouvant entraîner des hausses de prix ou des retards de livraison.
Cette troisième révolution agricole n’est pas du goût des activistes écolos et collectifs paysans. Dans une tribune intitulée « L’agritech : une révolution contre la paysannerie » ils dénoncent la « chimère salvatrice » du solutionnisme technologique et surtout l’absence de changement de paradigme. Selon eux, ces nouvelles technologies ne feront que renforcer les défauts de l’agriculture conventionnelle : monoculture, investissements coûteux, dépendance financière.
« Nous avons besoin de bras et d’imagination collective, pas de drones ni d’algorithmes »
L’Atelier paysan, signataire de l’appel, parle même de transhumanisation du secteur. « Suite au Covid, il y a eu une prise de conscience de notre dépendance envers travailleurs détachés. Une main d’œuvre sous-payée dont on fait usage massivement dans les champs. La robotique procède de cette idée qu’on pourrait se délivrer du travail », explique Hugo Persillet. Pour lui, la seule solution serait d’aider à l’installation d’un million de paysans. « Nous avons besoin de bras et d’imagination collective, pas de drones ni d’algorithmes. Car on ne pourra pas convertir tout le travail humain en travail numérique qui repose sur l’extraction de métaux polluants générant beaucoup de pollution et de gaz à effet de serre. »
Les militants proposent ainsi un projet politique global contre le complexe agro-industriel : « Il faut bâtir une institution populaire non étatique de délibération directe pour que nous soyons tous en capacité de choisir notre alimentation et l’agriculture qui va la produire. Cela constitue un projet politique qui nous semble désirable pour le monde paysan et l’ensemble de la population », conclut Hugo Persillet.
