Tryo : « L’écologie, c’est le combat de David contre Goliath »

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Culture et idéesEn 1998, le titre « l’Hymne de nos campagnes » propulsait le groupe Tryo vers la notoriété. Près de 20 ans après leur rencontre, les quatre musiciens continuent à parcourir les routes musicales du monde entier, la conscience écologiste en bandoulière. Rencontre sereine avec des artistes engagés.
Le groupe de musique Tryo est composé de quatre membres : Guizmo (de son vrai nom Cyrile Célestin), Christophe Mali, Manu Eveno et Daniel Bravo (dit Danielito). Depuis leur rencontre en 1995, ils ont produit six albums, dont le dernier, Vent debout, est sorti en 2016. Nous avons rencontré Mali et Guizmo en août 2017, lors de leur passage au Festival du bout du monde, à Crozon (Finistère).
- Christophe Mali (au centre) et Guizmo (à droite), du groupe Tryo, en août 2017, à Crozon.
[rep]Reporterre — Depuis l’Hymne de nos campagnes, en 1998, l’engagement écolo fait figure de fil rouge de votre musique… vous avez participé à diffuser les idées et la sensibilité écolo auprès d’un large public, est-ce un rôle qui vous tient à cœur ? [/rep]
Guizmo — La déforestation, la malbouffe, la pollution de l’air… le combat écologiste est tellement vaste, c’est malheureusement une muse inépuisable. Depuis qu’on a des enfants, on est aussi plus conscients. Je visualise plus le futur, je me demande ce que je vais leur laisser et comment faire pour que ce ne soit pas trop le bazar.
Mali — On porte des messages, on fait des chansons avec du contenu, mais ce n’est pas forcément notre objectif premier. On chante l’écologie parce que ça nous touche. Mais je n’écris pas parce que je veux éduquer le public. Que nos chansons permettent de faire connaître des problèmes, des solutions ou des termes comme le « greenwashing », c’est bien, mais pas question de culpabiliser les gens.
Guizmo — Plutôt que d’être des donneurs de leçons ou même de donneurs de solution, on préfère mettre en relais notre public avec des associations. On est plus des vecteurs, des médiateurs.
[rep]Vous avez longtemps travaillé avec Greenpeace. Dans votre dernier album, Vent debout, vous faites une chanson hommage à Paul Watson, de Sea Shepherd. On sait pourtant que les deux ONG ne sont pas en très bons termes…[/rep]
En chœur — On n’est pas passés de l’un à l’autre, ce sont des associations complémentaires ! Greenpeace pratique le lobbying et la communication sur le terrain avec un large spectre de thèmes. À Sea Shepherd, ils sont uniquement sur la protection des mers, avec un mode d’action pirate.
Mali — À travers son combat, Paul Watson nous prouve qu’un homme seul, avec ses convictions, peut s’opposer à de grandes entreprises. L’écologie, c’est un peu le combat de David contre Goliath, il faut montrer que chacun peut agir à son niveau et changer les choses ! Parce qu’en face, on lutte contre de gros intérêts, de grands lobbys, qui se gavent et qui nous gavent.
Guizmo — Depuis les débuts du groupe, on a accompagné des ONG — Survival, One, Colibris. On est de la pâte à modeler pour eux, ils nous demandent d’être porte-parole, de participer à des actions, de faire des concerts… mais on accepte volontiers, ça fait partie de notre engagement !
Mali — Lors d’un fauchage d’OGM dans la Marne auquel on a participé, j’ai été le seul clairement identifié parce que j’avais laissé tomber mon passeport dans le champ…
[rep]Est-ce que vous sentez que la sensibilité écologiste a augmenté depuis vingt ans ?[/rep]
Mali — Clairement, indubitablement. Même si on a encore du retard et tant de choses à faire.
Guizmo — Quand on a commencé, il n’y avait même pas de ministère de l’Écologie ! Dans les gestes du quotidien, le tri ou l’alimentation par exemple, mais aussi dans la construction, l’éducation des enfants, ça bouge. Les gens sont plus conscients que les politiques eux-mêmes.
[rep]Le nom de votre dernier album, Vent debout, est une référence au mouvement Nuit debout. Comment avez-vous vu, vécu ces événements du printemps 2016 ? [/rep]
Mali - Nuit debout a remis le citoyen au cœur du jeu politique. Cette réappropriation citoyenne, c’est quelque chose que nous portons depuis longtemps, et c’est un signe d’espoir fort, surtout dans le climat de peur et de repli sur soi qui a précédé le printemps 2016, avec les attentats. On avait envie de réaffirmer les valeurs qui nous définissent depuis vingt ans : le partage, l’ouverture, la tolérance.
Guizmo — Vent debout, c’est aussi parce que nous avions le sentiment d’aller contre des vents contraires. Les attentats de Charlie et du Bataclan nous ont beaucoup touché, et puis on sentait une montée de l’extrême droite avant les élections, ça faisait peur. On a donc décidé de jouer nos morceaux avant même que l’album ne sorte, lors des festivals ou des concerts. Pour nous, il y avait une urgence, l’urgence de se retrouver ensemble, de partager des chansons comme Souffler.
[rep]Quels sont ces vents contraires ?[/rep]
Mali — La peur et ceux qui l’insufflent ! Elle nous fait faire n’importe quoi, voter n’importe quoi. Il y a des politiques, des chercheurs [un des titres de Vent debout est dédié au philosophe réactionnaire Alain Finkielkraut] qui entretiennent un climat de crainte qui favorise les courants d’extrême droite.
Guizmo — Dans ces moments-là, la musique permet de rassembler les gens au-delà des différences, et c’est primordial. Nous avons joué au Soudan, au Niger, dans des zones qui connaissent la violence, la guerre. Mais quand il y a un concert, les gens sont prêts à braver les dangers, ils viennent se retrouver et faire la fête. Il y a chez les humains un besoin vital de liberté.
Mali — C’est pour ça qu’en ce moment, on a envie partager de la joie, de l’optimisme avec notre public. Faire un énorme câlin à tous ces gens, en leur disant : tout va bien se passer.
[rep]Comment garder l’optimisme malgré tout ?[/rep]
Guizmo — Personnellement, la musique, les concerts, les rencontres me nourrissent et me motivent. Et puis souvent, on ne retient que les mauvaises nouvelles alors qu’il y a aussi plein de bonnes choses. Il y a vingt ans, quand on chantait l’Hymne de nos campagnes, on passait pour des gros hippies. Aujourd’hui, la plupart des gens ont conscience de l’importance de la préservation de la nature. Il y a encore de l’espoir, de l’utopie, du rêve.
[rep]Quelle analyse faites-vous de ce qui se passe au niveau politique, avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron ? Vent contraire ou vent favorable ?[/rep]
Guizmo — Voyons le positif ! La vieille communauté politique — droite, PS — s’est pris ses vingt ans de politique dans la figure. Et le Front national n’est pas sorti glorieux ou renforcé de ces élections. Après, Macron, ça ne fait pas vraiment rêver, et on voit bien le taux d’abstention qu’il y a eu aux élections.
Mali — L’arrivée de Nicolas Hulot au ministère de l’Écologie est aussi une très bonne chose. Hulot est un homme sans concession, il a pris des positions claires sur Notre-Dame-des-Landes, sur le nucléaire. L’écologie, c’est le combat de sa vie, et il a joué un rôle majeur dans la conscientisation des citoyens sur ces questions. Reste à savoir s’il pourra réellement peser dans le gouvernement, mais laissons-lui le temps, ne râlons pas tout de suite !
[rep]L’utopie que vous chantez, comment peut-elle advenir ? [/rep]
Guizmo — Il faut que les citoyens reprennent leur place dans la politique. N’ayons pas peur de ce mot, n’abandonnons pas la direction du monde aux multinationales ! J’espère que tout ce que nous avons vécu récemment — les attentats, l’état d’urgence, Nuit debout, les élections — va participer à un renouveau des valeurs de gauche, à une politisation des citoyens.
- Propos recueillis par Lorène Lavocat