Reportage — Center Parcs et Roybon
Un projet de Center Parc dans le Jura est vivement contesté

Durée de lecture : 7 minutes
Le groupe Pierre & Vacances veut installer un Center Parc dans le Jura, avec force subventions : 400 maisons et une piscine viendraient manger cent hectares de forêt. L’opposition se lève. Mais pour le maire de Poligny, « Il peut être intéréssant de discuter, mais pas avant que ce soit acté »...
- Besançon, correspondance
« C’est la privatisation d’espaces naturels publics ! », s’exclame le conseiller régional de Franche-Comté, Eric Durand (EELV). Son mouvement est vent debout contre la perspective de construction du sixième Center Parc de France, le vingt-troisième en Europe.
Deux sites ont été mis en concurrence dans le centre-est du pays : le premier est donc Poligny dont la belle forêt mixte de trois mille hectares, située entre Baretaine et Le Fied sur le premier plateau karstique du Jura, à quelque cinq cent cinquante mètres d’altitude, pourrait voir se construire un village de vacances et un centre aqua-ludique sur quelque cent à cent cinquante hectares dont cinq devraient devenir constructibles.
Le second est Le Rousset, en Saône-et-Loire, à une quinzaine de kilomètres de Montceau-les-Mines, à deux pas d’un plan d’eau que jouxte une forêt de sapins.
La situation a généré une rivalité : deux groupes de collectivités territoriales ont accepté les demandes de Pierre & Vacances. Outre la cession d’une portion de forêt, ils aménageraient la voirie et constitueraient une société d’économie mixte avec la Caisse des Dépôts pour porter la piscine ludique sous cloche.
Le conseil général du Jura, le conseil régional de Franche-Comté, la communauté de communes du comté de Grimmont et la ville de Poligny ont fait plancher l’Agence régionale de développement dont la mission est « d’attirer les investissements et de promouvoir le territoire ».
Ils tentent de ne pas se faire distancer par l’alliance conduite par le conseil général voisin de Saône-et-Loire et le conseil régional de Bourgogne... « Au niveau d’Europe Ecologie, on travaille ensemble pour que ces projets ne se fassent pas, alors que Marie-Guite Dufay et François Patriat [les présidents PS de régions] sont en concurrence », explique Véronique Guislain (EELV Lons-le-Saunier).
Les écologistes mettent en avant ce qui leur apparaît être une fragilité économique. « Les propriétaires de gîtes ruraux, de locations saisonnières et les hôtels subiront de plein fouet la place prise par le bulldozer » que représente un Center Parc de 400 « cottages », assure Véronique Guislain . Territoire de tourisme vert familial, le Jura se caractérise par une offre multiple et diffuse d’hébergements de taille modeste plutôt que par des grands équipements.
De son côté, Pierre & Vacances assure que trois cents emplois seront créés par le Center Parc, ce qui ne laisse pas insensible les collectivités locales. Du côté écolo, on aimerait bien avoir une étude d’impact sur l’économie touristique actuelle que l’on craint de voir déstabilisée.

On estime que le groupe Pierre & Vacances, dont les comptes sont mauvais, est condamné à investir pour ne pas mourir. Eric Durand envisage même un scénario catastrophe « comme en Espagne : si ça marche mal, les collectivités pourraient se retrouver avec des équipements très chers sur les bras, et les propriétaires avec des bungalows qui ne se louent pas... »
Jura Nature Environnement a, de son côté, réclamé des précisions au maire de Poligny et envoyé une série de questions relatives à la géologie, au déboisement et aux eaux usées à Pierre & Vacances. Le groupe a répondu en proposant une rencontre le 10 avril avec le bureau d’études Biotope.
André Jourd’hui, conseiller municipal de Poligny en charge de la forêt, assure que les deux marchés sont indépendants : « Quand on argumente auprès de Pierre & Vacances sur la montagne ou les lacs, ils nous répondent que ce n’est pas ça qu’ils cherchent ». Autrement dit, un Center Parc est autonome et ses hôtes-vacanciers vivent en quasi autarcie... Les commerçants de Poligny seraient également alléchés par la persepective de fournir le Center Parc, dit encore M. Jourd’hui.
Au journal gratuit L’Hebdo39, le maire, Dominique Bonnet, assure que le projet est une « opportunité exceptionnelle de développement », que les grottes toutes proches de Baume-les-Messieurs et les produits du terroirs (Poligny est la capitale du comté) sont un atout pour que sa forêt emporte le morceau...
Les opposants au projet dénoncent aussi l’absence d’information de la part des collectivités. Plus de deux cents personnes ont assisté le 24 janvier à une réunion « contre les grands projets inutiles dans le Jura » à Lons-le-Saunier. « Dans les villages voisins, des gens voient d’un mauvais œil un tel projet en milieu rural, notamment l’impact sur les transports », dit un militant environnementaliste.
Préparant la création d’une association après les municipales, une habitante du secteur dénonce l’omerta qui entoure le projet : « Ils veulent faire comme en Alsace il y a quelques années, attendre que les élections soient passées... » Le conseil municipal de Plasne a quand même invité quelques personnes à assister à une réunion avec Pierre & Vacances et le Conseil général. « On y a entendu du chantage », estime la cofondatrice de la future association, " sur le mode, ’si vous êtes contre le Center Parc, vous n’aurez pas de nouvelle route’… ».
Entretien avec Dominique Bonnet, maire de Poligny : « Il peut être intéréssant de discuter, mais pas avant que ce soit acté… »

Reporterre - Où en êtes-vous de ce projet ?
Dominique Bonnet - Le travail est assez long car il faut être au mieux pour le protocole d’accord avec Pierre & Vacances qui a terminé les études faunes, flore et géologie, aussi bien pour Poligny que pour Le Rousset. Il y a eu une réunion avec les habitants de Plasne pour une présentation, par Pierre & Vacances, d’un partenariat pour des approvisionnement en circuit court, et d’une chaufferie au bois ou au gaz issu d’un système de méthanisation produit par un ou des agriculteurs.
Le Center Parc leur achèterait le gaz produit, mais la décision n’est pas encore prise. Quoiqu’il en soit, l’impact économique est intéressant.
Ne risque-t-il pas d’y avoir un impact sur l’hôtellerie et les gîtes ?
Nous n’avons pas de retour sur ce sujet. Le projet est un concept nouveau de Center Parc qui sont habituellement dans des secteurs non touristiques, alors que le Jura a de nombreux atouts touristiques.
Quel impact pour l’eau dans ce secteur karstique ?
Deux captages sont possibles. L’un par le réseau centre-est (Champagnole), l’autre permettrait au village de Le Fied, qui manque parfois d’eau en été, d’être raccordé. Pour l’assainissement, on prévoit de ne pas impacter les petits villages et de descendre les eaux usées vers une nouvelle station d’épuration à Poligny.
Vous la referiez ?
Notre station d’épuration a trente ans, il faut de toute façon se poser la question de sa rénovation. On a aujourd’hui 260.000 euros de redevance assainissement par an. Si le Center Parc se fait, il paiera sans doute entre 100 et 150.000 euros de redevance.
Si le projet se fait, vous devrez modifier le PLU pour rendre constructible une partie de la forêt.
Bien sûr ! La zone est actuellement non constructible. On n’a engagé aucune démarche, il faut être prudent. Il y aurait au moins un an d’instruction, avec enquête de la DREAL.
Que répondez-vous aux critiques économiques d’EELV ?
Quand vous donnez une subvention, c’est à fonds perdus alors que là, c’est un loyer : le groupe s’engage à le payer sur vingt ans. Il y a certes des inquiétudes, mais il y a aussi des explications à donner. Les études de marché disent que les Suisses sont friands de ces vacances là...
Vous êtes en concurrence avec Le Rousset en Saône et Loire...
Je n’ai pas ce sentiment dans les discussions, ils ne nous ont jamais mis la pression, les schémas de financement sont les mêmes que dans la Vienne : 3 à 4 millions de la région, 1 million de la communauté de communes, 5 à 6 du conseil généal, le reste par la Caisse des dépôts...
Jura Nature Envionnement vous a demandé des informations il y a plus d’un mois...
Il peut être judicieux que tous les partenaires puissent avoir une discussion, mais pas tant que ce n’est pas acté...