Une Meudonnaise perchée sur un tilleul pour empêcher l’abattage d’arbres centenaires

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Près de 150 tilleuls centenaires et sains, à Meudon, sont menacés d’être abattus dans le cadre d’un projet de rénovation de l’avenue du Château, classée monument historique. Des riverains se sont mobilisés pour empêcher ce que scientifiques et écologistes présentent comme une « catastrophe pour la biodiversité ».
Vendredi 13 novembre, Maria-Olga Bosse, 64 ans, était de nouveau perchée au sommet de son tilleul, comme les jours précédents. « Je viens au petit matin avant que les bûcherons n’arrivent avec leurs tronçonneuses, et je repars à la tombée de la nuit. C’est la dernière chose qu’on a trouvée pour essayer de sauver les arbres », déplore la riveraine, présidente du Comité de défense de l’avenue du Château (CDAC) de Meudon (Hauts-de-Seine). L’association, créée en 2010, rassemble quelque 500 habitants opposés à l’abattage de 149 des 269 tilleuls plus que centenaires qui ornent la montée vers l’Observatoire de la ville. Les premiers élagages ont lieu lundi 9 novembre, avant que la mobilisation de riverains et de politiques, dont certains ont rejoint Mme Bosse dans les arbres, ne perturbe les opérations.
Projet porté par la Direction régionale des affaires culturelles
Julien Bayou, candidat Europe Écologie-Les Verts (EELV) pour l’Île-de-France aux élections régionales, est venu soutenir la mobilisation vendredi 13 novembre. « Ce n’est pas seulement un combat de riverains, explique-t-il à Reporterre, visiblement impressionné. Maria-Olga Bosse entretient une lutte globale, généreuse, en insistant sur le rôle des arbres dans la régulation du climat. C’est une mobilisation citoyenne contre des décisions technocratiques, et incompréhensibles, d’abattre des arbres centenaires en très bonne santé pour en planter d’autres. On ne peut pas commencer la conférence climat en abattant des arbres, ou en accordant des permis pétroliers, ou en débutant les travaux à Notre-Dame-des-Landes. C’est de la schizophrénie. »
Avec Marie Olga sur le tilleul qu'elle protège de l'abattage en.. Grimpant dessus. A 64 ans. Chapeau. #meudon pic.twitter.com/4zudNdJV4X
— Julien Bayou (@julienbayou) 13 Novembre 2015
Rodéric Aarsse, adjoint (EELV) développement durable à la mairie de Malakoff (Hauts-de-Seine), a quant à lui passé neuf heures dans les branches d’un arbre, jeudi, en signe de solidarité avec les riverains. De nombreux passants sont venus lui apporter des gâteaux, des fruits et du café, et lui manifester leur sympathie. « Ce sont deux cultures qui s’affrontent, estime l’élu. D’un côté, les habitants qui ne veulent pas qu’on leur enlève leurs vieux arbres. De l’autre, la mairie et la Drac, pour qui un contrat est un contrat et qui sont attachés à ce que les arbres aient l’air neuf, soient plantés droit et respectent la perspective. » Pour lui, la solution est à portée de main : « Arrêter de couper les arbres, replanter là où il y a des trous et reprendre les discussions. »
Cette mobilisation se déroule sous étroite surveillance policière. « Chaque jour, la police nationale restreint l’accès à la zone des travaux, épaulée par la police municipale et les renseignements généraux, qui prennent en photos nos plaques d’immatriculation, comme si nous étions de dangereux activistes », ironise Mme Bosse. Petite victoire cependant, l’entreprise d’élagage ne s’est pas montrée ce vendredi 13 novembre. « Peut-être parce que j’ai passé des tas de coups de fil, choquée parce que cette société abattait des arbres qui ne devaient pas être coupés, et que j’ai fait venir un huissier », suppose la présidente du CDAC.

34 tilleuls doivent être abattus cette année, 115 l’année prochaine. Ces coupes sont prévues dans le cadre d’un projet de rénovation de l’avenue du Château et de ses contre-allées, porté par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). D’une durée de 18 mois, représentant 2,3 millions d’euros d’investissements, l’opération comprend la restauration de la voirie et l’installation de plots métalliques pour délimiter des places de stationnement. « Le problème, c’est que pour pouvoir remettre la chaussée des contre-allées aux normes, il faut couper les tilleuls anciens et en replanter de plus jeunes », regrette Mme Bosse.
« Très bonne santé des arbres »
L’autre raison avancée par la Drac pour justifier ces travaux est esthétique. Ouverte à la fin du XVIIe siècle par le marquis de Louvois, ministre de Louis XIV, l’avenue du Château a été classée monument historique le 12 avril 1972. « Il s’agit de restaurer l’alignement des arbres et de revenir à 520 sujets, le chiffre historique », explique Jean-Pascal Lanuit, directeur adjoint de la Drac, dans les colonnes du Parisien. Pour la présidente du CDAC, l’argument n’est pas recevable : « Les arbres ne sont pas homogènes car ils ne sont pas des poteaux, c’est normal. En plus, un petit arbre ne deviendra peut-être jamais aussi beau qu’un vieil arbre. On sait ce qu’on coupe, mais on ne sait pas ce qu’on va replanter. »
Enfin, pour justifier les abattages, la Drac prétend que certains arbres sont malades. « C’est faux, s’insurge Mme Bosse. Dans le cadre de notre procès contre la Drac, nous avons fait venir de nombreux experts, comme Alain Baraton (jardinier en chef du domaine national de Trianon et du grand parc du château de Versailles). Ils ont constaté la très bonne santé des arbres. » Âgés de 180 ans pour les plus anciens, les tilleuls n’en sont encore qu’au quart de leur vie. Indignée, Nathalie Frascaria-Lacoste, professeure à Agro Paris Tech, s’est fendue d’une lettre à la Drac pour dénoncer « une catastrophe pour la biodiversité ». Contactée, la Drac d’Île-de-France a renvoyé Reporterre vers plusieurs numéro différents, dont le dernier ne répondait pas.

Le maire (UDI) de Meudon, Hervé Marseille, lui, condamne la mobilisation politique autour du projet de la Drac : « Cela fait plus d’une dizaine d’années que ce projet est en discussion. Je m’émerveille que Julien Bayou et Wallerand de Saint-Just, qui n’ont assisté à aucune des réunions et débarquent d’on ne sait où, aient les compétences de juger s’il est bon ou pas. » L’édile dénonce des manifestations qui « ont troublé les cérémonies du 11 Novembre, ce qui est indigne, et la casse de matériel, qui ne sont pas des actes habituels dans ma commune ».
Un compromis avec les habitants
Pour Hervé Marseille, cette mobilisation n’a pas lieu d’être, car le projet porté par la Drac est le résultat d’un compromis avec les habitants. « Le premier projet de la Drac, qui était d’abattre tous les arbres pour en replanter d’autres, a été abandonné car jugé insatisfaisant par les habitants. Aujourd’hui, un compromis a été trouvé : couper 34 arbres pour en replanter 83, indique-t-il, prétendant que certains des arbres sont extrêmement malades, avec un tronc creux. C’est l’expert des tribunaux qui le dit dans un document officiel. » Les pancartes brandies par les habitants sont d’après lui mensongères : « Il est faux d’affirmer que ces arbres sont arrachés pour créer des places de stationnement : sur les 200 places actuelles, seules 100 vont être maintenues, les autres seront neutralisées. Enfin, ce projet est global et comprend la réfection des contre-allées, réclamée par les riverains. »
D’autres actions des riverains sont en cours. Soutenu par l’Association pour la protection des arbres au bord des routes (Asppar), le CDAC lance également trois pétitions. La plus importante, mise en ligne le 26 septembre, a déjà recueilli près de 15.700 signatures.

Un combat judiciaire de longue date est également mené par les riverains. Après les premières coupes de 1999, ils obtiennent, en 2000, un arrêté du tribunal administratif de Versailles interdisant les abattages. En 2010, des bûcherons munis de tronçonneuses reviennent à la charge. Le tribunal publie un nouvel arrêté mais l’association de riverains perd son procès face à la Drac. Déterminée, l’association saisit le Conseil d’État. « Malheureusement, nous ne savons pas quand sera rendu le jugement, soupire la présidente du comité de défense. En plus, les travaux ne sont pas suspendus pendant que le Conseil d’État examine le dossier. Quand il aura pris sa décision, il n’y aura peut-être plus d’arbres à sauver. » De fait, 230 arbres de l’avenue ont déjà été coupés depuis 1999. Qu’importe, pour les riverains, la lutte continue. « Ces tilleuls sont des êtres vénérables, respectables. Ils ont un seul tort, ne pas crier quand on les abat, fulmine Maria-Olga Bosse. Alors, aux arbres, citoyens ! »