Une flottille d’alternatifs met le cap sur la COP 22

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Alternatiba Climat : de COP en COPÀ l’initiative d’associations des deux rives de la Méditerranée, l’Odyssée des alternatives cherche à mobiliser contre les inégalités devant le changement climatique. Plusieurs escales sont prévues dans ce voyage à la voile vers le Maroc et la COP22.
- La Seyne-sur-Mer (Var), reportage
« Hé, il y a le dernier bulletin météo spécial qui vient de tomber ! Ils annoncent un gros temps pour la nuit prochaine ! » Sur l’esplanade marine de La Seyne-sur-Mer, tout le monde s’agite en ce samedi 22 octobre au matin pour préparer le départ des deux voiliers de l’Odyssée des alternatives. L’équipée est surnommée « Ibn Battûta », du nom d’un explorateur marocain du XIVe siècle. Les deux bateaux comptent rejoindre Tanger, au Maroc, aux alentours du 9 novembre, juste après le début de la COP22, grande conférence sur le climat des Nations unies, organisée cette année à Marrakech entre le 7 et le 18 novembre.
Depuis le 19 octobre, date du départ de la première étape à Barcelone, une quinzaine de navigateurs-trices ont embarqué sur les deux navires de la flottille. En 48 heures de mer, ils/elles ont déjà essuyé une tempête en arrivant de Barcelone : « Ça a tout de suite créé des liens forts, surtout pour des novices ! » rigole Jeanne, qui a très vite été emballée par le projet. La Seyne-sur-Mer est la deuxième escale de la traversée, avant Porto Torrès, en Sardaigne, Tunis, Alger et Oran, en Algérie, et enfin Tanger, au Maroc.
Pour Moncef, membre de la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR) et co-initiateur du voyage [1], « l’idée est partie de la rencontre de différents mouvements, autour de problématiques communes en Méditerranée, comme le gaz de schiste ou les migrations. On a besoin de solutions concrètes et collectives parce que, face au problème climatique, il y a pas 10.000 solutions : soit c’est la guerre, soit c’est la construction ».
Décloisonner les mouvements pour proposer des solutions concrètes, c’est la devise de cette Odyssée des alternatives. Les questions de la transition écologique, de l’environnement et de la justice sociale sont au centre des discussions et des activités organisées à chaque étape. Les migrations constituent un fil rouge de ce voyage en mer Méditerranée, dans laquelle tant de personnes perdent la vie au quotidien. Victor, un militant parisien, explique qu’« aujourd’hui, tous les conflits du monde tournent autour des ressources naturelles. Et les réfugiés climatiques sont de plus en plus nombreux. Si on sauve l’environnement, on sauve les migrants ».
« Une grande marche, à la fin de la COP »
Une fois à Tanger, la quarantaine de membres de l’Odyssée prendront leurs quartiers dans la « Zone verte » dédiée à la société civile et à l’innovation du village Ighli, à côté du lieu où se tiendront les négociations officielles. Sur place, les marges de manœuvre pour mener des actions de désobéissance civile seront étroites. « La seule action un peu “radicale” qu’on va faire, c’est une grande marche, à la fin de la COP, mais ce n’est pas évident », glisse un organisateur.

Un militant d’Alternatiba, l’une des organisations à l’initiative de l’Odyssée, déplore aussi les faiblesses de la coalition marocaine : « Ils n’ont pas l’habitude d’organiser ce genre d’événements et puis, ils n’ont pas assez de financement. Dans les COP, les pays du Sud n’ont pas les mêmes armées de diplomates et les mêmes moyens techniques et financiers qu’en France ou en Allemagne. Donc, nous, on va les aider comme on peut. » Quelqu’un rappelle quand même que des associations marocaines ont contribué à une hauteur considérable au financement de l’Odyssée des alternatives et que, dans la Coalition climat de la COP21, à Paris, « c’était autant au moins le bordel que cette année ».
Financer l’Odyssée des alternatives n’a d’ailleurs pas été facile. « Heureusement que Goldman Sachs a mis la main à la poche ! plaisante Tosca, une océanographe italienne militante. Non, en vérité, ce n’était pas évident. » La fondation Lush, la fondation Un monde par tous, le CCFD-Terre solidaire et le FCTR ont contribué, en plus des deniers personnels de certains participants et du financement participatif en cours.
« Décloisonner les luttes et favoriser une vraie convergence »
À l’heure de larguer les amarres, la rade de La Seyne-sur-Mer résonne des rythmes de la batucada venue accompagner le départ des voiliers. Sur le quai, l’ambiance est à la fête : « Rigolez, rigolez, vous ferez moins les malins dans dix heures dans la tempête ! » Prochaine destination : la Sardaigne, après 36 heures de traversée, pour une rencontre avec des associations locales sur le thème de l’agroécologie.

La suite de la journée sur la terre ferme se déroule tranquillement, entre discussions, forum citoyen, pauses au thé 1336 des Fralibos. Marc Vuillemot, maire de La Seyne-sur-Mer, déambule au milieu des stands, cigarette à la bouche. Seule commune PS du Var, la ville a mis des locaux à disposition des marins, contrairement à Marseille, où le caractère « apolitique » du mouvement n’a pas convaincu tout le monde.
Le matin, dans ce haut lieu du syndicalisme de l’époque des chantiers navals et malgré un tissu associatif très dense, seule une centaine de personnes sont venues souhaiter bon vent aux voiliers. Les membres d’Attac et de la LDH ont posé leurs stands, mais un Seynois familier de la vie politique locale nous dit : « C’est toujours les mêmes ! » Et les journalistes marseillais n’étaient pas vraiment au rendez-vous : « Ils sont coincés à Marseille par un double homicide dans les quartiers Nord », dit une organisatrice, déçue. Heureusement, les femmes de la cité des Berthes et leur restaurant d’insertion Le Petit Prince sont venues vendre leurs plats.

Parmi les militants de l’Odyssée, certains reconnaissent en aparté que « l’entre-soi militant est souvent fatigant. Il y a vraiment besoin de décloisonner les luttes et de favoriser une vraie convergence ». Ce décloisonnement, c’est aussi l’objectif des militant-e-s de la coordination Pas sans nous, venue distribuer ses tracts grâce à une dizaine de représentants. Ce mouvement, né en 2014, lutte pour une reconnaissance de l’urgence des problématiques des quartiers populaires en France. Lyonnais d’origine, Mounir tient le stand de la coordination dont il a été le délégué fédéral. Avant ce matin, ce jeune trentenaire ne connaissait pas Alternatiba : « Ça a l’air intéressant, ça parle de justice sociale, et nous aussi, c’est ça qu’on défend depuis les quartiers. Je suis déjà allé voir ce qu’il se passait à Nuit debout ou dans les Zad, mais j’ai arrêté d’aller aux manifs, parce qu’à chaque fois, avec la police, c’est moi qui prends. »
« Respect mutuel et reconnaissance de nos combats respectifs »
La coordination Pas sans nous est elle aussi en pleine traversée... terrestre, et en France : partie de Marseille le 24 septembre, la tournée « Urgence pour les quartiers » entend faire remonter la parole et les priorités des habitant-e-s à travers le pays. Le climat, a expliqué Fatima, ne représente pas une priorité pour elle, « mais, si on veut la convergence, c’est maintenant ou jamais et même avec des gens qui sont pas des mêmes milieux que nous ». Si l’expérience mitigée de la Nuit debout dans un quartier de Marseille en a fait déchanter plus d’un-e sur les possibilités d’une convergence entre les mouvements écologistes et les mouvements de quartiers, la coordination Pas sans nous a quand même voulu retenter le coup : « Cette fois, on sent qu’il y a pas de politique derrière, il n’y a que des convaincus. Alors, bien sûr, il y a toujours des choses qui sont dites ici qui sont déconnectées de certaines réalités et elles sont exprimées par des gens qui ont une vie plutôt confortable : les gens dans les quartiers s’intéressent très peu à l’écologie, ils n’ont pas une consommation saine, mais parce qu’ils sont pauvres ! »

En filigrane, c’est bien la question des conditions d’une convergence qui est posée : tout le monde peut-il se sentir concerné par les questions environnementales ? Interpeller les gouvernements et les médias sur la question climatique, oui, mais de quel point de vue, pour qui, et selon quelles priorités ? Pour Fatima, « ça commence par le respect mutuel et la reconnaissance de nos combats respectifs. Ce qu’on va voir maintenant, c’est, si, nous, on fait un truc, est-ce que ces gens viendront ? »
Dans les doutes et les incertitudes, des discussions informelles s’engagent autour d’une crêpe à la harissa et une salade bio. Le lien se fait alors que les voiliers filent vers la tempête.