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Monde

Une gigantesque décharge de pneus est en flammes près de Madrid

La plus grande décharge de pneus d’Europe est en feu. L’incendie, d’origine probablement criminelle, s’est déclaré dans la nuit de jeudi à vendredi dans la localité de Valdemoro, au sud de Madrid. Déclarée illégale depuis 2003, la décharge aurait déjà due être évacuée.

-  Valence (Espagne), correspondance

Sans doute viendra le temps de la colère. Pour l’heure, les sentiments oscillent entre la consternation et l’impuissance. «   C’est une catastrophe plus qu’annoncée  », déclare à Reporterre Alejandro Sánchez, député Equo (les Verts espagnols) – Podemos de la communauté autonome de Madrid et docteur en biologie à l’université Complutense. Dans la nuit de jeudi 12 à vendredi 13 mai, l’alerte est en effet donnée qu’un incendie se propage dans la plus grande décharge de pneus d’Europe, à cheval sur la communauté autonome de Castilla-La Mancha (environ 70 % de sa surface) et sur celle de Madrid (environ 30 %). Entre 70.000 et 100.000 tonnes de pneus (soit environ cinq millions de roues) s’y accumulent sur au moins dix hectares.

L’imprécision de ces chiffres n’est en rien un hasard. Ouverte dans les années 1990 sur le territoire de la commune de Seseña (21.000 habitants, dans la province de Toledo), cette décharge s’est peu à peu étendue sur la commune voisine de Valdemoro (communauté autonome de Madrid). Totalement hors de contrôle, la situation est le fruit d’une gestion catastrophique de bout en bout, caractérisée par l’appât du gain, le sentiment d’impunité, le mépris de l’environnement et de la population.

«   Une catastrophe de proportions énormes   »

«  Il s’agit d’une catastrophe environnementale de proportions énormes, probablement la plus importante jamais connue dans cette province   », se désole Alejandro Sánchez. «   Il va falloir suivre la santé humaine et la pollution à long terme maintenant   », abonde Miguel Ángel Hernández, porte-parole en Castilla-La Mancha de l’association Ecologistas en acción, l’une des plus importantes du pays en matière de protection de l’environnement. «   La zone n’est pas imperméabilisée, le sol va donc être très pollué, de même que l’air, sur plusieurs dizaines de kilomètres   ; et deux rivières importantes passent à proximité : le Jarama et le Tage   », poursuit M. Hernández.

Ce qui se déroule est d’autant plus rageant que l’incendie n’est que le point final d’un long chemin constitué d’actes individuels crapuleux et d’imprudences de la part des collectivités locales et de l’État. L’inquiétude avait même gagné la Commission européenne, qui a lancé une information préalable à l’ouverture d’une procédure contentieuse (un «   Pilot  »), quelques jours avant le désastre. Le quotidien El País, qui a pu consulter le document, a révélé vendredi que celui-ci faisait notamment état du risque… d’incendie. Et demandait à l’Espagne quelles mesures elle comptait prendre pour remédier au problème.

Créée en 1990 et administrée depuis 1999 par Disfilt S.A., une entreprise supposée procéder au recyclage des pneus, la décharge n’a en réalité jamais servi qu’à les entreposer. Le porte-parole d’Ecologistas en acción affirme même que l’entreprise à ainsi pu toucher pendant des années de l’argent en échange de ces pneus, en partie tiré d’une taxe pour le recyclage prélevée sur les achats des consommateurs.

Les affaires de corruption pleuvent sur l’Espagne

Dès 2001, la Guardia Civil lance une première procédure judiciaire contre l’entreprise. En 2003, le maire socialiste de Seseña lui accorde pourtant un permis d’exploitation. En 2008, le dirigeant de la société, Victorino Villadangos, est condamné à trois mois de prison, et à des centaines de milliers d’euros d’amende. «   Ils se sont déclarés insolvables et n’ont jamais fait face aux amendes et à l’obligation de se débarrasser des pneus  », explique cependant Miguel Ángel Hernández.

Les déchets ont donc continué de s’accumuler, au moins jusqu’en 2009. «  À partir de 2011, nous avons demandé à l’administration d’agir pour résoudre le problème, puisqu’il y avait un danger. Cinq ans ont passé, il y a bien eu un plan de dépollution, mais il n’était pas financé  », poursuit-il. Le budget était de trois millions d’euros : 2,5 millions pour la Castilla-La Mancha et un demi-million pour la communauté de Madrid, moins concernée. Un nouveau plan d’évacuation des déchets était, selon El País, sur le point d’être adopté, cette fois-ci avec le concours financier du ministère de l’Agriculture, de l’alimentation et de l’environnement, avec l’aide du Fonds européen de développement régional (Feder).

«  Je suppose qu’avec les coupes budgétaires, la crise, l’argent a été mis autre part   », suggère le député de Madrid. Une somme à mettre en regard avec les millions détournés dans les affaires de corruption qui pleuvent sur l’Espagne depuis 2008. Par ailleurs, pour Miguel Ángel Hernández, «   s’il y avait une caution pour ce genre d’activités, nous aurions au moins quelque chose   » pour financer la décontamination.

9.000 personnes évacuées

Le quartier d’El Pocero a été évacué

«  En dehors de l’entreprise responsable, et de la mairie qui a donné l’autorisation, la faute incombe d’abord à la communauté autonome de Castilla-La Mancha   », affirme-t-il. Même constat du côté d’Alejandro Sánchez, le député Equo : «   Il y a une négligence de l’administration. Les véritables coupables dans cette affaire sont les gouvernements successifs du Parti populaire (PP) et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) des deux communautés autonomes, davantage que la municipalité [PP] qui en est plutôt la victime.  »

Victimes, les habitants de la zone n’ont pas fini de l’être. Les trois quarts de la décharge ont déjà brûlé et l’incendie devrait durer – au mieux – plusieurs jours. Vendredi après-midi, le quartier d’El Pocero (environ 9.000 personnes), le plus proche de la décharge, a été évacué, noyé dans les fumées toxiques. Le niveau d’alerte a été élevé au niveau 2 en Castilla-La Mancha en raison de ces fumées.

La communauté autonome de Madrid a pour sa part fait l’annonce étonnante que la qualité de l’air n’était pas affectée (l’alerte de pollution atmosphérique a cependant été portée au niveau 1). Il est conseillé aux habitants de laisser portes et fenêtres fermées. «   Avec cet incendie, la situation à radicalement changé : il faudra procéder à une grande dépollution  », prévoit Miguel Ángel Hernández. Pour Alejandro Sánchez, il faut désormais penser à «   un vrai changement dans la gestion des déchets, pour les recycler de manière professionnelle et éradiquer ces décharges illégales ».


Complément d’infos : Vidéos de l’incendie :

-  El Pais

-  Comunidad de Madrid

https://www.youtube.com/user/112cmadrid/videos?sort=dd&shelf_id=2&view=0

-  Et aussi (entre autres) :

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