Reportage — Notre-Dame-des-Landes
Zad de Notre-Dame-des-Landes : une attente inquiète mais déterminée

Durée de lecture : 9 minutes
Notre-Dame-des-LandesAlors que l’Etat a fixé un ultimatum ce soir aux habitants « illégaux » de la Zad, laissant présager une nouvelle intervention militaire, la Zad et ses soutiens se préparent : avec une lassitude rageuse mais une ferme détermination à résister.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
La fin de semaine aura été marquée par une attente pesante de reprise imminente des hostilités. Une fois l’ultimatum de lundi soir passé, tout le monde s’attend à une nouvelle offensive. Mardi matin, mercredi ? « On parle d’une quinzaine de cabanes à détruire, ça va être du costaud... Autant dire que ça va durer... Destructions, reconstructions et ainsi de suite, il peut y en avoir pour des mois, voire plus. Imagine, deux ans d’occupation militaire ! », soupire une habitante implantée depuis quelques années, en poussant son vélo au dessus d’un talus pour contourner une série de barricades. L’atmosphère de veillée d’armes a un air de déjà vu.
Samedi matin 12 mai, les premières personnes croisées au coin de route de La Pruche ont des regards hagards. Les gendarmes ont mené leur harcèlement la veille, en fin d’après midi, puis à nouveau la nuit, à deux heures du matin, à quatre heures, gazant au petit matin. « Pour nous empêcher de dormir, sans doute », lâche une zadiste, la mine fatiguée. Le calme enchanteur du printemps frétillant, plein de chants d’oiseaux dans ce bocage préservé, est à nouveau confronté à la violence d’État déployée sans raison apparente.
Au carrefour de La Saulce, une quinzaine de personnes s’entraîne tranquillement sur la route au maniement de frondes, s’interrompant pour laisser passer les rares voitures qui se sont aventurées au cœur de la zone. Dans les voitures, les conducteurs font mine de ne pas être impressionnés. « C’est de l’autodéfense, explique un gars en parka kaki délavé. On est attaqué, faut bien se défendre. »
- Les asphodèles.
Aux Fosses Noires, le rendez-vous pour la balade naturaliste traîne, laissant un groupe en attente. Finalement, la découverte de plantes sauvages printanières, « comestibles ou pas, médicinales ou pas, jolies ou pas » n’aura pas lieu, faute de guide. Les bordures de chemins, les fossés, où pointent asphodèles, nombrils de Vénus et digitales attendront une autre opportunité. Chacun part pour sa propre balade, à pied, à vélo. « Au début, avec l’abandon du projet, je trouvais que c’était une issue intéressante, entre adultes, en somme. Et puis quand on démarré les expulsions, c’est devenu n’importe quoi, je ne comprends rien », lâche un de ces naturalistes en herbe.
Au bout du chemin, à cent mètres de la fameuse D 281 désormais débarrassée de ses chicanes, le blindé bleu des gendarmes a reculé ses yeux allumés en plein jour comme un animal-machine de science-fiction. Les phares disparus, le véhicule aussi, il ne reste qu’un cordon de gendarmes, casques à la ceinture. Devant eux, personne. La Zad est en sous-effectif, sur ses gardes, entre deux feux.
Les trois cantines prévoient des milliers de portions
A Bellevue, sous la charpente du hangar de l’avenir, un groupe d’une dizaine de personnes prépare des « arm locks », manchons de plastique des techniques d’opposition non-violente. Au sol, on dirait de petits bazookas portatifs.
- L’atelier des « arm-locks » (bras verrouillé).
« On a peut-être vu large » explique un de ces activistes. Y aura-t-il assez de monde pour s’enchaîner en engageant ses bras dans ces tubes de PVC gris ? La meuleuse érode les arrêts des boulons extérieurs. Sur une table, on prépare un pochoir « action non violente ». Une autre équipe réalise le câblage de structures autoportantes de bambous et câbles qui porteront une expo photo mobile devant la préfecture ce lundi matin.
Les ondées sous le ciel gris sombre jouent au chat et à la souris avec les éclaircies. Dans le corps de ferme, les gens qui arrivent improvisent une cantine. « Et toi t’es d’où ? Moi je viens de Palaiseau ». « Moi d’Amiens. » Des caisses d’avocats récupérés sur un marché feront un grand guacamole. Avec oignons ou pas ? « On peut en faire sans ail, aussi ? » demande un retraitée. « Et les noyaux, on en fait quoi ? ». « Garde-les, ça peut faire de bons projectiles... ». Mais évidemment, chacun se dit que « des avocats, des vrais, on va en avoir sacrément besoin dans les jours qui viennent ». Les trois cantines, celle-ci à Bellevue, les autres à la Wardine et aux Fosses noires, se préparent à des portions par centaines et par milliers. Un camping de 800 places s’ouvre à côté du champ de bâtons qui jouxte la ferme de Bellevue.
Dimanche, à Bellevue, les préposés à l’accueil reconnaissent des têtes connues, déjà vues les semaines passées, venues de Brest, de la région parisienne. « Alors vous revoilà. Hé bien, bienvenue. On a besoin de monde ». Le matériel médical de premier secours est en libre service. Les tentes remplissent un peu plus l’espace du camping. Autour des billes de bois séchant à l’air libre et des planches débitées posées sur des tasseaux, les dômes géodésiques, ces triangulations de bois formant un sphère parfaite, attendent d’être amenés, dans la semaine, face à l’ennemi « - enfin les affreux, les bleus, les forces du désordre, quoi ... »
Un comité de soutien avec Vandana Shiva et de Jean Ziegler
- La barricade des lascars.
Les appels se multiplient vers des personnalités comme ce comité de noms connus apportant leur soutien à l’avenir collectif de la Zad, qui regroupe déjà l’écologiste indienne Vandana Shiva, l’agronome Marc Dufumier, ou le sociologue suisse Jean Ziegler, ancien rapporteur auprès des Nations unies sur le droit à l’alimentation. D’autres personnalités de la recherche et de l’écologie complètent cette liste de 43 personnes volontaires pour animer un comité de suivi tout en proposant concrètement des formations, l’envoi de semences, des conseils vétérinaires et de soins des animaux d’élevage, mais aussi des expertises pour la gestion des forêts, des études sur la viabilité de « micro-fermes »... L’enjeu est d’éclairer le devenir de la Zad et de crédibiliser ces projets « face aux désinformations et à la volonté gouvernementale d’écrasement qui apparaît avec les expulsions et destructions d’habitats ».
Le soutien des syndicalistes
En attendant, il faut préparer les jours qui arrivent, parer au plus pressé, éviter l’anéantissement. « Tous les modes d’actions ont leur place, rappelle un zadiste, dans un affrontement direct, ou par des actions non violentes. » Voire une présence affichée de militants syndicalistes, reconnaissables à leur chasubles ou à leurs drapeaux. Jusqu’ici, les syndicalistes se sont faits plutôt discrets, n’apparaissant pas comme tels, même s’ils et elles étaient bien là. Les assemblées du mouvement avaient aussi tenu à éviter la récupération en demandant aux militants politiques et syndicaux de respecter cette réserve. La deuxième salve de l’offensive fait tomber ces retenues.
Pour préparer l’apparition publique de syndicalistes, sont là une douzaine de cégétistes à mener un chantier de bardage bois d’un local d’accueil, jouxtant le hangar de l’avenir, auquel s’adjoint un comptoir dédié aux syndicalistes, sous une pancarte peinte « Bourse du travail (et fines z’herbes). L’interzadicale ». « Des syndicalistes, on en croise souvent sur la Zad, mais qui viennent individuellement, en tant que citoyens. On souhaite que ceux qui viennent en soutien ces jours-ci n’oublient pas ce qu’ils et elles sont, histoire aussi de faire le relais avec le monde du travail. Ce qui se passe sur la Zad nous concerne tous. On est pour l’abolition du salariat... Or ici, des gens travaillent sans patrons, et sont heureux de le faire... C’est ça qu’on soutient, dans la logique de nos engagements syndicaux », explique un cégétiste nantais.
En posant leurs outils pour passer à table, ils et elles apprennent que les pourparlers avec la préfecture dévoilent quelques évolutions possibles. Telle qu’elle s’exprime aujourd’hui, la vision des autorités passerait par le démantèlement des cabanes isolées, en plein champ, dans les bois ou au creux des haies, pour ne tolérer que les habitats rassemblés auprès des maisons en dur déjà existantes. Ceci sous réserve d’approbation par les maires des environs, lors de la révision du plan local d’urbanisme intercommunal qui doit débuter dans les semaines à venir.
Pour le rassemblement devant la préfecture, à Nantes, ce lundi 14 mai, l’Acipa s’est jointe à l’appel « Pour un avenir commun dans le bocage ». Un retour au soutien de la Zad, après le flottement qui a agité l’association citoyenne aux lendemains de l’abandon du projet d’aéroport. Le texte d’appel relayé par l’Acipa redit : « Nous voulons toujours un territoire vivant et partagé, qui laisse la place à des manières de l’habiter qui ne soient pas qu’agricoles et à diverses formes d’expérimentation sociale. Il faut que le temps nécessaire soit laissé pour un dialogue réel autour de l’avenir du bocage de Notre-Dame-des-Landes. Ceci implique un calendrier crédible et des délais tenables et la fin des ultimatums et des menaces. »
En attendant chacun se fait son agenda de la semaine : lundi devant la préfecture pour le comité de suivi, mardi ou mercredi pour la reprise des hostilités, samedi pour une manifestation à Nantes, et dimanche gros rassemblement sur la Zad...
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