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Déchets nucléaires

20 députés votent l’engagement du site Cigéo de déchets nucléaires

Entre finale de l’Euro et fête nationale, l’Assemblée nationale a adopté sans réelle discussion le projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires. Le baroud d’honneur des quelques députés écologistes n’a pu entamer le mur de l’accord de tous les autres partis.

-  Paris, Assemblée nationale, reportage

A 20 h précises lundi 11 juillet, le projet de Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires s’est inscrit dans la loi : les députés ont voté la proposition de loi écrite par le Sénat, deux mois plus tôt. Adopté « conforme », selon le jargon législatif, c’est-à-dire dans les mêmes termes et sans aucune modification, le texte est ainsi définitivement entériné. Il définit « les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue ».

Le résultat ne faisait guère de doute après le vote à la quasi-unanimité de la Commission développement durable de l’Assemblée nationale, le mercredi 29 juin. Mais la méthode reste déconcertante : seule une vingtaine de députés – 25 tout au plus – était présente lors des discussions lundi après-midi. Quant à la ministre concernée par le dossier, Ségolène Royal, elle était absente, remplacée par André Vallini, secrétaire d’Etat chargé du… Développement et de la Francophonie. Mme Royal avait plus important à faire : se faire voir avec les footballeurs de l’équipe de France :

La position du gouvernement sur le sujet est depuis longtemps connue. Il a tenté à maintes reprises, depuis deux ans, de faire passer ce projet dans différentes lois : « Le gouvernement soutient pleinement ce texte », a confirmé André Vallini à la tribune. Mais l’absence de la ministre de l’Ecologie n’en reste pas moins symbolique d’un mépris à l’égard des débats de la représentation nationale. « La ministre aurait eu toute sa place à l’hémicycle plutôt que de faire des selfies avec les footballeurs » a lancé au micro la député écologiste Cécile Duflot.

Avec Laurence Abeille, Michèle Bonneton et François-Michel Lambert, les quatre députés de tendance écologiste – ils appartenaient auparavant au même groupe parlementaire issu d’EELV avant que la moitié d’entre eux ne claque la porte – n’ont eu de cesse de dénoncer la « mascarade » d’un débat parlementaire organisé un lundi après-midi, la semaine du 14 juillet, au lendemain de la finale de l’Euro, dans le cadre d’une session extraordinaire. « C’est une mauvaise méthode, pas digne des enjeux », tançait Mme Duflot, citant Aimé Césaire et ses « bâtisseurs de pestilence ». Ironie de l’histoire, un ex-EELV, François de Rugy, s’est retrouvé président de séance, ne pouvant pas ainsi participer au vote.

Le débat était de toute façon pipé, toutes les propositions défendues par les écologistes étant automatiquement rejetées. Ainsi de la motion de rejet préalable de Cécile Duflot ou de la motion de renvoi en commission de Michèle Bonneton, comme des 22 amendements déposés sur les deux articles du texte dont une grande majorité par les députés écologistes. « Il serait temps de voir la loi adoptée conforme », s’impatientait le député socialiste Jean-Louis Dumont. « Une nouvelle navette parlementaire coûterait de l’argent public », osait même le député Les Républicains Julien Aubert, pour justifier l’adoption la plus rapide possible de cette loi qui entérine une phase-pilote évaluée... à près de 6 milliards d’euros.

Les accusations de passage en force ne faisaient pas le poids. « De qui vous moquez-vous ?, haranguait Bertrand Pancher, député UDI de la Meuse. Ce n’est pas une loi en catimini, ça fait 25 ans qu’on travaille sur le sujet, on a fait des lois et des débats publics ! » Farouche défenseur du projet, il a salué dans cette loi « la réconciliation avec une certaine forme d’intelligence collective ». Une référence au large consensus politique qui entoure ce dossier : des communistes aux Républicains, en passant par le centre et le PS, Cigéo casse « les barrières politiques » comme le remarquait Bernard Accoyer (Les Républicains), venu en éclair dans l’hémicycle afin de « saluer le travail et la convergence de vues sur le sujet ».

Les quatre heures du débat parlementaire n’auront servi qu’à ressasser les mêmes arguments, sans véritable interrogation sur les enjeux du projet : « Un souci de responsabilité vis-à-vis des générations futures en ne leur laissant pas les déchets nucléaires comme héritage », selon Jacques Krabal, député PRG, qui voyait dans cette proposition de loi « une nécessité d’intérêt général ». Pour Patrice Carvalho, député communiste, « c’est un état de fait : l’enfouissement est la seule solution possible actuellement », tandis que Anne-Yvonne Le Dain, députée PS, affirmait que Cigéo, « c’est la modernité, c’est l’avenir ».

Difficile, dans ce contexte, de faire entendre une contre-argumentation basée sur les incertitudes techniques, l’impact économique et le manque d’informations sur le sujet : « Ni les coûts ni les risques ne sont portés à notre connaissance », a souligné Cécile Duflot. François-Michel Lambert rappelait qu’il existe d’autres solutions que l’enfouissement souterrain : « Le stockage en sub-surface reste aujourd’hui le meilleur garant de la mémoire des lieux. » Et si le gouvernement se défend de vouloir accélérer le projet de construction de Cigéo – « ce n’est en rien une autorisation », assurait André Vallini, puisque la décision ultime d’exploitation du centre reviendra aux pouvoirs publics, vers...2025 – les écologistes dénoncent la politique du fait accompli et le maquillage du lancement des travaux : « C’est la tactique de l’engrenage, on enclenche un nouveau cran et le retour en arrière devient ensuite impossible », explique Michèle Bonneton.

L’histoire retiendra que c’est dans la plus grande discrétion, un soir de juillet, que le projet Cigéo s’est vu conforter par une vingtaine de députés. Qui n’ont pas assumé publiquement leur vote, qui ne s’est pas fait sous scrutin public : le compte-rendu ne fera pas motion du nombre de votants, ni de leur nom… La procédure imposant la publication des noms des votants « n’est obligatoire que pour quelques textes importants qui demandent des quorums. Pour le reste, il faut la demander. En l’occurrence, aucun groupe politique ne l’a fait… », indique François De Rugy, président de la séance. Tout un symbole.

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