Cinq idées reçues sur les toilettes sèches

- © Juliette de Montvallon / Reporterre
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Durée de lecture : 8 minutes
Alternatives QuotidienChaque jour, des dizaines de litres d’eau potable partent dans nos toilettes. Pour y remédier, pourquoi ne pas se mettre aux toilettes sèches, alternative crédible au tout-à-l’égout ? Série [1/3]
Vous lisez la première partie de la série « Toilettes sèches : et si on s’y mettait ? ».
« C’est un truc d’arriéré », « ça pue », « ça pollue », « je n’ai pas l’espace pour ça », « je n’ai pas envie de changer mes habitudes »… Et si aucun de ces a priori sur les toilettes sèches n’était vrai ? À entendre les techniciens et chercheurs spécialistes du sujet, la diversité des systèmes disponibles s’adapte aujourd’hui à (presque) toutes les situations.
1 — « C’est un truc d’arriéré »
Au contraire, c’est l’avenir. Haut lieu des projets futuristes, le siège de l’Agence spatiale européenne est d’ailleurs en train de s’équiper de toilettes sèches. Et pour cause : s’il y a un bien un endroit où l’eau est rare et où tout doit être recyclé, c’est dans tous les projets extraterrestres. Mais même sur notre planète bleue, 250 ans après l’invention de la chasse d’eau en Europe, force est de constater que cette dernière est archaïque. Fabien Esculier, chercheur de l’École des Ponts ParisTech au Laboratoire eau, environnement, systèmes urbains (Leesu) relève l’anachronisme de dépenser en moyenne vingt-cinq litres d’eau potable par personne et par jour alors que les sécheresses de plus en plus sévères.
Séparer les excréments des eaux usées est aussi une condition nécessaire à l’économie circulaire. Car tous les nutriments présents dans les aliments se retrouvent dans nos selles, comme l’azote et le phosphore. Les recycler permet de les utiliser en agriculture, avant de les consommer à nouveau. Des résultats récents de l’équipe de recherche du Leesu montrent que les boues des stations d’épuration utilisées en agriculture ne récupèrent que 10 % de l’azote présent dans les urines et fèces humains.

« Avec une séparation à la source, on pourrait valoriser quasiment tout cet azote et être autonome en fertilisation pour un tiers des consommations de protéines des Français, assure Fabien Esculier, coordonnateur du programme de recherche Ocapi sur la valorisation des excréments en agriculture. Avec des régimes alimentaires moins carnés et des pratiques agroécologiques, la séparation à la source permettrait à terme de se passer totalement des engrais minéraux, azotés et phosphorés. » Si l’agriculture s’est détournée des matières fertilisantes organiques, la logique veut donc qu’elle s’y intéresse à nouveau.

2 — « Trop d’habitudes à changer »
« Aujourd’hui, il existe des modèles de toilettes sèches qui permettent de ne rien changer à ses habitudes », explique Anaïs Chesneau, de l’écocentre Pierre et Terre qui teste des toilettes sèches depuis près de quinze ans. Les toilettes sans chasse d’eau sont d’une grande diversité, souvent méconnue, et peuvent s’adapter à de nombreux contextes, comme l’explique la brochure du centre basé dans le Gers : avec ou sans séparation de l’urine et les matières fécales, avec un composteur (une cuve ventilée qui permet le compostage des excréments) sous les toilettes ou à l’extérieur, sans parler des modèles en bois, en faïence, en métal…
« Les toilettes équipées de composteurs sous ou derrière la cuvette permet d’éviter la corvée d’aller vider régulièrement son bac puisque le composteur peut absorber plus d’une année de déjection », explique la connaisseuse. En effet, ce système évite l’utilisation de la sciure, qui représente une grande partie des volumes. Pour être précis, l’écocentre a évalué les volumes produits par une famille. Pour des WC sans composteur, il faut compter deux mètres cube par an environ, à vider régulièrement et à disposer dans un composteur extérieur à proximité, dans le jardin en général. Avec un système de composteur sans sciure intégré, le volume tombe à moins d’un demi mètre cube par an, dans un composteur qui peut contenir quatre fois plus.
Et aucune mauvaise odeur n’est à redouter si les toilettes sont bien conçues, selon les fournisseurs : soit la sciure les absorbe, soit un système de ventilation au niveau du composteur évite que les effluves ne remontent dans la cuvette.
3 — « Encore faut-il avoir un grand jardin »
« Aujourd’hui, il existe des systèmes tout à fait adaptés à l’intérieur des habitations, pour des particuliers ou en habitat collectif », dit Anaïs Chesneau. En France, dix-sept bâtiments collectifs sont en fonctionnement, et tout autant en construction, selon un recensement de 2023. « Et les chiffres augmentent très vite », selon la spécialiste, qui accompagne de plus en plus de projets. Outre les habitats participatifs, des bars, des écoles et même un cinéma se lancent. Des initiatives qui se développent notamment en Île-de-France, grâce à un engagement de l’Agence de l’eau Seine Normandie qui finance jusqu’à 80 % la séparation à la source des urines et/ou matières fécales depuis 2018 dans les habitats collectifs.
Et rien de dégoutant dans le compost qui sort des toilettes, selon Anaïs Chesneau : « C’est un terreau qui n’est pas distinguable de n’importe quel terreau organique. Et ça sent plutôt le sous-bois. » Dans sa présentation, une coopérative d’habitation suisse qui gère un habitat collectif montre, images à l’appui, le compostage accéléré grâce à des vers de terre. Un particulier pourra donc mettre le terreau directement au pied des arbres et des haies. Certaines communes organisent aussi des ramassages de déchets issus de l’utilisation des toilettes sèches.

Pour les habitats collectifs, la séparation puis la concentration des urines permet d’organiser leur acheminement vers des agriculteurs. Aujourd’hui, il est en effet possible de produire des fertilisants concentrés à base d’urine ayant des concentrations en azote se rapprochant de celle des engrais minéraux. Sachant que les trois quarts des nutriments présents dans les excréments sont concentrés dans les urines. Les fèces, moins riches, restent encore « un angle mort de la recherche sur la valorisation », reconnaît Fabien Esculier.
4 - « Rien de mieux que le tout-à-l’égout »
Le tout-à-l’égout et les stations d’épuration sont une « anomalie de l’histoire occidentale alors que la pratique la plus courante à travers les âges et le monde est d’utiliser les excréments pour fertiliser les sols », selon Fabien Esculier. Le chercheur souligne l’absurdité d’usines de production d’engrais azotés polluantes d’un côté et d’usines de traitement des eaux usées qui détruisent l’engrais azoté naturel de nos excréments de l’autre.
Surtout, nos systèmes d’épuration ne sont pas la panacée. Dans un article publié en 2022, l’équipe d’Ocapi montre la difficulté de maintenir la qualité de l’eau de la Seine en Île-de-France. Malgré les traitements mis en place, un tiers de l’azote entrant dans le système d’assainissement continue d’être rejeté dans le fleuve, la qualité de l’eau en aval de Paris ne respectant ainsi pas les seuils fixés. Les chercheurs pointent une autre limite du système d’assainissement urbain classique : son pouvoir d’épuration très limité.
« Ce mode de gestion des excréments ne gère pas spécifiquement les pathogènes : il transfère à l’aval les contaminations fécales dans les rivières », explique l’expert. Une réalité que pêcheurs, conchyliculteurs et ostréiculteurs connaissent bien. Et le chercheur de s’interroger, dans une copublication parue ce printemps dans la revue City and Environment Interactions : « L’égout peut-il être considéré comme un moyen sûr de gestion des matières fécales humaines ? ».
5 — « C’est trop pollué pour l’utiliser comme engrais »
Selon l’Organisation mondiale de la santé, rien ne justifie d’interdire la valorisation des excréments humains en agriculture. Cela dit, des questions sanitaires se posent. D’abord, la présence d’organismes pathogènes dans nos déjections (comme des virus de la gastro-entérite), et qui peuvent aussi contaminer les urines. Mais selon l’instance onusienne, le stockage de l’urine suffit à diminuer les concentrations en micro-organismes pathogènes (1 à 6 mois de stockage selon les cas) pour la rendre prête à l’emploi en agriculture.

Autre risque, la présence de résidus médicamenteux. Aujourd’hui, il n’existe pas de consensus scientifique sur le risque et le besoin ou non d’un traitement de ces résidus. Une étude allemande publiée début 2023, sur les résidus retrouvés dans des choux fertilisés avec des excréments humains, se voulait rassurante. Sur les 310 produits chimiques testés, deux étaient détectées dans les parties comestibles du chou, l’ibuprofène et la carbamazepine, un psychotrope. Mais à des quantités si faibles qu’il faudrait manger un demi-million de choux pour ingérer l’équivalent d’un cachet. L’étude conclut que l’utilisation des fèces et de l’urine permet d’avoir les mêmes rendements qu’avec les fertilisants organiques sur le marché, sans plus de risque sanitaire.
Une autre question est la présence de gènes d’antibiorésistance dans nos excréments, gènes qui pourraient se diffuser dans l’environnement. Dans le cadre du programme Ocapi, l’étude de cinq fertilisants à base d’urine humaine ne montre pas plus de risques que les autres fertilisants d’origine animale ou urbaine, dans la mesure où les gènes d’antibiorésistance sont présents dans tous ces fertilisants à des abondances équivalentes.