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80 km/h, écotaxe, péage urbain... ces mesures dites « antisociales » le sont-elles vraiment ?

Défendre la justice sociale dans le secteur de la mobilité ne consiste pas seulement à rechercher le meilleur coût pour les plus modestes, expliquent les auteurs de cette tribune. Pour préserver leur intérêt à long terme, il faut réduire la dépendance automobile au profit de modes de mobilité écologiques et économes.

Bruno Gazeau et Jean Sivardière sont président et vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut).


La récente campagne électorale a mis en évidence la volonté de concilier écologie et justice sociale. Cela ne va pas toujours de soi, comme dans le domaine de la mobilité. Le transport public doit répondre aux besoins de tous les usagers, motorisés ou non. Il doit s’adapter aux horaires de travail décalés (secteurs de la santé, du nettoyage, de l’agroalimentaire, de la logistique…) et desservir tous les lieux de travail (weekends et 1er mai compris).

Mais certains arguments prétendument sociaux n’ont rien de social : ils instrumentalisent les ménages modestes, qui servent d’alibi pour justifier des choix démagogiques ou s’opposer à des mesures utiles à tous, citadins et ruraux, usagers des transports publics, cyclistes et automobilistes. La Fnaut préconise au contraire une politique écologique bénéfique pour tous.

La limitation à 80 km/h

Dans une interview à Libération, le sociologue Matthieu Grossetête critique la limitation à 80 km/h sur les routes départementales : « Les conducteurs ruraux les plus pauvres sont les premiers verbalisés, le 80 km/h conduit moins à réduire la mortalité routière qu’à pénaliser les milieux populaires. »

Or le 80 km/h améliore la sécurité de tous, y compris celle des automobilistes modestes : il devait éviter plusieurs centaines de tués par an avant son « assouplissement ».

De plus, il permet d’économiser du carburant et des émissions de CO2. Pour la Fnaut, le code de la route doit rester national, la sécurité routière est une responsabilité de l’État, non des présidents de conseils départementaux, comme le gouvernement d’Édouard Philippe l’a décidé, en leur accordant la possibilité de déroger à la limitation à 80 km/h.

La gratuité des transports

Selon ses promoteurs, la gratuité des transports urbains est une garantie du droit à la mobilité. Mais une tarification solidaire au quotient familial — voire la gratuité en l’absence de tout revenu — atteint aussi cet objectif, sans paupériser le transport public. Ce que fait la gratuité, en se privant des recettes de ceux qui peuvent payer : ainsi à Grenoble, si elle était mise en place, il faudrait trouver 61 millions d’euros par an pour la financer, l’équivalent de trois kilomètres de tramway.

Les ménages défavorisés, non motorisés, sont bénéficiaires de la gratuité à court terme, mais en deviennent ensuite les premières victimes car elle oblige à abandonner les gros investissements et à maintenir une offre médiocre : c’est la principale raison de son abandon à Bologne, en Italie, où elle a été en vigueur dans les années 1970 — la fréquentation du réseau commençait à baisser. Elle accentue une double fracture : entre les petites villes, où la voiture reste dominante, et les métropoles, où sa part modale se réduit peu à peu ; entre les zones périurbaines, où le transport reste payant, et les centres.

L’écotaxe

Une écotaxe sur les camions — un projet phare du Grenelle de l’environnement car son produit devait être affecté aux investissements de transport public — a été présentée par les Bonnets rouges [1] comme une mesure antisociale qui augmenterait le prix des biens de consommation courante (en réalité de moins de 1 % selon une évaluation de la FNAUT).

Son abandon en 2014, une catastrophe pour les petits et grands projets ferroviaires, a renforcé la dépendance automobile dont souffrent tous les habitants des zones périphériques.

Le péage urbain

Le péage urbain est souvent considéré comme une mesure antisociale : il pénaliserait les ménages pauvres qui ne pourraient plus circuler en ville, tandis que les riches l’acquitteraient aisément et rouleraient librement. Ainsi Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 millions d’automobilistes, dénonce « une insupportable sélection par le fric ».

Le péage urbain provoque une chute de la circulation : jusqu’à 38 % à Milan.

Or le péage urbain provoque une chute de la circulation (20 % environ à Stockholm et jusqu’à 38 % à Milan), donc des nuisances routières auxquelles les plus démunis sont les plus exposés – les loyers sont moins élevés au bord des axes bruyants. Par ailleurs, son produit permet de financer les investissements de transport public et d’étoffer l’offre, dont les plus pauvres, non motorisés, bénéficient.

Quant à l’automobiliste modeste habitant en zone périurbaine, il peut se rabattre sur un parking relais proche d’une gare TER ou d’un terminus de tramway, et limiter ainsi son trajet en voiture, puis accéder librement à la ville, donc faire des économies – le péage urbain n’est évidemment envisageable que si le transport collectif est déjà bien développé ou s’il est renforcé.

La concurrence ferroviaire

La concurrence entre opérateurs ferroviaires ferait, selon ses détracteurs, augmenter le prix du train au profit des actionnaires des exploitants. Mais si elle est régulée dans le cadre de délégations de service public, c’est l’autorité organisatrice (la région) qui fixe les tarifs. En Allemagne, on constate que la concurrence n’a que des effets bénéfiques : offre renforcée, fréquentation accrue, contribution publique au transport régional en baisse (plus de 1.000 km de lignes régionales ont pu être rouverts).

En Allemagne, la concurrence entre opérateurs ferroviaires n’a que des effets bénéfiques.

La TICPE

Selon le lobby automobile, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pénalise les conducteurs modestes. Or toute taxe environnementale peut être accompagnée d’une aide aux personnes en difficulté financière. La chute spectaculaire du prix du pétrole a provoqué celle du prix des carburants routiers, elle rend donc possible une augmentation de la TICPE.

Selon l’économiste Jean-Marie Beauvais, un seul centime de taxe supplémentaire sur le carburant routier (chiffres 2018) rapporterait 520 millions d’euros par an à l’État, 271 si seul le carburant automobile était taxé. Avec cet argent, on pourrait limiter la dépendance automobile dont souffrent tous les habitants modestes (SNCF Réseau évalue à sept milliards d’euros le coût de la rénovation de l’ensemble des « petites lignes »). Il est légitime que les bénéfices de la baisse du prix du pétrole soient partagés entre automobilistes et usagers des transports.

En conclusion, vouloir la justice sociale dans le secteur des déplacements ne consiste pas seulement à rechercher la protection immédiate des ménages modestes, mais aussi leur intérêt à plus long terme en réduisant la dépendance automobile, donc en favorisant la marche, le vélo et les transports publics, modes écologiques et accessibles à tous.

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