À Besançon, des procès dédiés aux délits environnementaux

Une fromagerie a été condamnée à 70 000 euros d'amende pour avoir pollué un affluent de la Loue, rivière née dans le Doubs - CC BY-SA 4.0 / Arnaud 25 / Wikimedia Commons
Une fromagerie a été condamnée à 70 000 euros d'amende pour avoir pollué un affluent de la Loue, rivière née dans le Doubs - CC BY-SA 4.0 / Arnaud 25 / Wikimedia Commons
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Dans le Doubs, le tribunal correctionnel dédie désormais des audiences à la délinquance environnementale. Cette bonne initiative gagnerait à disposer de plus de moyens et à être généralisée.
Besançon (Doubs), reportage
« Il suffit d’une gentiane de Koch et vous y passez : c’est la peine de mort ! » Effet de manche à l’appui, Charles Lagier ne craint pas l’exagération. Devant le tribunal correctionnel de Besançon, l’avocat assurait la défense du Syndicat mixte du Mont d’Or. La structure qui exploite le domaine skiable de Métabief, dans le Doubs, était prévenue de deux infractions : la destruction de l’habitat de trois espèces végétales protégées — dont la fameuse gentiane de Koch — et le dépôt de remblais sur une zone visée par un arrêté préfectoral de protection de biotope.
Les faits, des travaux d’aménagement d’une retenue collinaire destinée à alimenter des canons à neige, remontent à 2013. « Ce qui a été fait a sauvé la station, son avenir, ses emplois », a plaidé Me Lagier, en relativisant les atteintes à la biodiversité.

Loin de la peine capitale brandie par l’avocat, la représentante du ministère public a requis une amende de 5 000 €, la restauration du site dans les deux ans et la diffusion de la décision du tribunal par voie de presse et d’affichage. Claire Keller accuse le Syndicat mixte d’avoir « fait primer l’intérêt financier sur l’intérêt écologique ».
L’affaire, dont le jugement sera mis en délibéré, était examinée ce 1ᵉʳ février lors d’une audience correctionnelle d’une demi-journée entièrement dédiée aux infractions écologiques. Une initiative du tribunal de Besançon, née de la mise en place du pôle régional environnemental (PRE).

Cette juridiction spécialisée a été créée dans chaque ressort de cour d’appel par la loi du 24 décembre 2020 afin de remédier à l’inefficacité de la justice dénoncée de longue date par les défenseurs de l’environnement. Elle s’avère trop souvent impuissante à sévir contre les pollutions de l’eau, de l’air ou des sols, le non-respect des réglementations ou les destructions d’espèces et d’habitats naturels.
Radars écologiques
« Le pôle régional environnemental (PRE) nous permet de nous préoccuper de ces problématiques qui étaient traitées accessoirement, après les violences et les trafics de stupéfiants, admet Étienne Manteaux, procureur de la République de Besançon. Quand ils parvenaient à l’audience, les dossiers étaient sabotés car les mis en cause, notamment des chefs d’entreprise et des élus locaux, pouvaient financer des défenses efficaces face à des magistrats peu au fait de ces questions. » But affiché par l’institution : sanctionner de manière cohérente et transparente, acculturer les juges au droit de l’environnement, nourrir la jurisprudence. Et mettre fin à une trop fréquente impunité.
Les PRE sont composés de magistrats censés bénéficier de formations et d’assistants. Mais la mise en œuvre de cette nouvelle politique pénale s’effectue à moyens constants. À Besançon, Claire Keller, la substitut du procureur référente du pôle, compense avec beaucoup d’énergie et la conviction que, comme pour la sécurité routière, « il faut des radars écologiques, c’est ce qu’attendent les citoyens ».

Assistée d’un juriste quelques heures par semaine, la magistrate s’est saisie d’un contentieux technique et complexe : « Fragmentée entre droit pénal et administratif, la matière environnementale concerne 15 000 infractions, issues de 15 codes. » Elle a dû acquérir des connaissances scientifiques et se déplacer sur le terrain avec les agents de l’Office français de la biodiversité, les policiers de l’environnement. « Avant, ils faisaient beaucoup d’avertissements et de rappels à loi qui ne donnaient pas lieu à des poursuites. Mon premier travail a été de les former juridiquement à la procédure pénale. »
En 2022, dans le Doubs, le parquet dit avoir traité près de 500 affaires environnementales (contre 200 en 2019) et assure que le montant des amendes a été multiplié par deux. Quand l’infraction est caractérisée, dans 80 % des cas, une alternative au procès est proposée, sous forme d’une amende et d’une obligation de réparation. Mais pour des faits graves, niés par les mis en cause, « le renvoi devant le tribunal, dans une audience dédiée, c’est ce qui fait tenir l’édifice », indique la substitut.
Fromageries condamnées
La première audience environnementale, en juin 2022, a marqué cette volonté. Prévenus pour des délits de pollution de l’eau, deux patrons de fromagerie, un éleveur de porcs et un maire ont été condamnés. La peine la plus lourde — 77 000 € dont 40 000 € avec sursis — a été infligée à une laiterie où est fabriqué le comté, la première appellation fromagère de France souvent accusée de participer à la dégradation de la qualité des rivières comtoises.
Malgré trois mises en demeure, l’entreprise Monnin avait rejeté pendant plusieurs années ses déchets dans un ruisseau. La préfecture, plus attentive à la prospérité d’une filière agricole florissante qu’à la mortalité des poissons, n’avait jamais réclamé au pollueur le paiement des astreintes dues. « Le préfet doit composer avec des enjeux économiques et des pressions politiques qui ne sont pas les miens », commente diplomatiquement Claire Keller.

Après « ces condamnations emblématiques, supports de toute une politique pénale » dixit le procureur, le message judiciaire semble avoir été entendu. Alors que depuis la fin des années 1990, pêcheurs et naturalistes signalent des rejets d’eaux usées dans le milieu naturel, pour la première fois, fin janvier, la préfecture du Doubs a annoncé avoir mis en demeure quatorze fromageries de mettre en conformité leurs installations de traitement des effluents. Des astreintes ont même été prononcées, jusqu’à 1 500 € par jour.
« Le parquet de Besançon a bien identifié cette problématique de pollution. Il a compris qu’on ne pouvait pas justifier les atteintes répétées à l’environnement au nom d’une activité économique quand la filière du comté a les moyens d’investir dans des stations d’épuration », analyse Cédric Guillaume, salarié de la Commission de protection des eaux.
Cette association, partie civile dans plusieurs dizaines de contentieux en Franche-Comté, voit d’un bon œil l’organisation des audiences spécialisées : « Les magistrats peuvent vraiment se plonger dans le détail technique des procédures. Sinon, nos dossiers passent toujours après le reste. »

Or l’organisation d’une seule audience par semestre ne permet pas, selon la Commission de protection des eaux, de raccourcir des délais beaucoup trop longs. Le 1ᵉʳ février, deux affaires ont été renvoyées, dont celle impliquant une autre fromagerie.
La pollution d’un cours d’eau constatée en juin 2022 sera jugée, au mieux, en septembre prochain. « Le temps joue contre nous en matière de sanction. Plus elle est éloignée de la date de commission des faits, moins elle est efficiente », souligne Cédric Guillaume.
« Procès verts »
Si l’initiative du tribunal de Besançon est encore isolée, la généralisation des « procès verts » a été préconisée, en décembre 2022, dans le rapport d’un groupe de travail présidé par François Molins, procureur général près la Cour de cassation, « afin d’assurer la qualité, la célérité et la visibilité du traitement du contentieux environnemental ».
Ce document comporte treize recommandations pour rendre plus effectif le droit pénal de l’environnement. Sa conclusion relève deux « écueils flagrants » : l’insuffisance des moyens, matériels et humains, pour accompagner la mise en œuvre des réformes ainsi que « le manque d’ambition globale et de traduction dans les faits des politiques affichées, qui seules permettront d’améliorer concrètement le traitement pénal de ce contentieux spécifique ».