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ReportageOGM

A La Haye, les crimes de Monsanto sont jugés par un tribunal citoyen

Monsanto, le géant de l’agro-chimie, est convoqué à la barre du tribunal international à La Haye aux Pays-Bas. Les discussions ont commencé vendredi 14 octobre. Accaparement des terres, cancers, privatisation du vivant... Les charges qui pèsent sur le champion des OGM et du glyphosate sont extrêmement lourdes.

-  La Haye, reportage

« La nourriture est une célébration. Notre combat est une lutte pour la vie, contre la colonisation des grandes entreprises. » C’est presque si Nnimmo Bassey, architecte nigérian et activiste environnemental, a le poing levé en prononçant ces paroles. Dans la salle comble du Bazaar, dans le centre-ville de La Haye, l’attention est maximale. L’intervention s’achève sous le tonnerre d’applaudissements d’activistes venus du monde entier.

Cette plaidoirie contre l’agrochimie n’a pas lieu dans le cadre de la Cour internationale de justice. « Pas encore », glissent les activistes les plus motivés. Elle ouvre trois jours de mobilisation citoyenne contre Mosanto. L’Assemblée des peuples, qui a débuté vendredi 14 octobre à 11 h et s’achèvera dimanche 16 octobre à 18 h 30, doit « permettre aux victimes, témoins, experts et activistes de la lutte contre les pesticides et les OGM, qui poursuivent le même objectif mais ne se connaissent pas forcément, de travailler ensemble dans le cadre d’ateliers thématiques », explique Emilie Gaillard, chercheuse en droit et membre du comité d’organisation de l’événement.

La conférence d’ouverture de l’Assemblée des peuples et du tribunal contre Monsanto.

Samedi et dimanche se tiendra également le Tribunal international contre Monsanto, à l’Institut des études sociales de La Haye. « C’est un tribunal formel au sein une trentaine de témoins – experts, avocats, choisis en fonction de la qualité de leurs recherches et de leur témoignage – partageront leur expertise sur les pollutions et les dommages causés par les pesticides et les OGM », poursuit Mme Gaillard. Ils seront entendus par cinq juges de renommée internationale, comme l’argentine Eleonora Lamm, directrice des droits de l’homme à la Cour suprême de justice de Mendoza, le mexicain Jorge Abraham Fernandez Souza, qui a été orateur au tribunal Russell sur la répression en Amérique latine, et la sénégalaise Dior Fall Sow, consultante pour la Cour pénale internationale et ex-avocate générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

« Inspirer, plus tard, de véritables décisions de justice »

Des activistes dans la salle d’accueil.

Pourquoi faire, juger et condamner Monsanto ? « Rendre un jugement symbolique ne servirait à rien, explique Emilie Gaillard. L’objectif est plutôt d’aboutir à un avis consultatif qui sera rendu le 10 décembre prochain. Il faut que ce raisonnement juridique soit suffisamment bien tissé pour qu’il puisse inspirer, plus tard, de véritables décisions de justice. Et donner à voir que le concept juridique d’écocide a une réalité et peut être mis en application. » L’époque semble propice : le mois dernier, la Cour pénale internationale a déclaré qu’elle allait envisager de poursuivre les crimes d’accaparement des terres et de crimes contre l’environnement avec la même sévérité que les crimes contre l’humanité.

Monsanto peut servir de cas d’école pour aboutir à la construction d’une telle législation internationale, estime le comité d’organisation composé entre autres de l’activiste indienne Vandana Shiva, de l’avocate française Corinne Lepage, de l’ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation Olivier De Schutter ou encore de Ronnie Cummins, directeur international de l’organisation de consommateurs américaine Organic Consumers Association (OCA).

Vandana Shiva est membre du Tribunal jugeant Monsanto.

Car les charges qui pèsent contre le géant de l’agrobusiness sont très lourdes, comme en témoignent les premières session de l’Assemblée des peuples, vendredi après-midi. Lors de la première conférence, consacrée à la question de la brevetabilité du vivant, Percy Schmeiser, fermier canadien, a raconté le calvaire enduré alors qu’il était traîné au tribunal par Monsanto, au motif qu’il aurait utilisé des semences de colza OGM sans avoir acheté de licence. « La société a commencé par nous réclamer 100.000 dollars en échange de l’abandon des poursuites, se souvient le vieil homme, son épouse à ses côtés. Ils espionnaient ma femme quand elle travaillait aux champs. Elle cherchait à savoir comment nous financions notre défense et a essayé de saisir notre maison, nos comptes bancaires. Elle a essayé de nous détruire ! » Finalement, la Cour suprême de justice a donné raison au couple. Mais Monsanto faisait régner la terreur chez les agriculteurs. « Le groupe disposait de sa propre force de police, 35 hommes pour l’Ouest canadien. Il publiait des communiqués dans la presse : "Si vous pensez que votre voisin utilise des OGM sans avoir signé de contrat avec nous, dénoncez-le, vous recevrez un cadeau en échange" – des pesticides ou un blouson en cuir floqué de la marque... »

Percy Schmeiser et son épouse : « Monsanto a essayé de nous détruire ».

Fernando Calabeiro, de Nature of Rights Argentina, connaît bien la puissance juridique de Monsanto. En 2012, la justice de son pays a accordé un brevet au groupe pour la mise au point d’une molécule ADN recombinante, malgré une législation sur les brevets assez sévère – les plantes ne peuvent pas faire l’objet d’un brevet, ni les produits biologiques, ni les produits nocifs pour la santé ou l’environnement. Le bureau des brevets argentin a fait appel de cette décision, et l’activiste travaille à la formation d’une coalition citoyenne pour contrecarrer cette appropriation du vivant.

Monsanto, lui, aiguise ses arguments : « Il dit que cette modification génétique est une nécessité pour l’agro-industrie, qu’il est nécessaire de créer des plantes plus résistantes au glyphosate, rapporte M. Calabeiro, accablé. En réalité, il essaie de répondre à ses propres besoins en prétendant régler un problème qu’il a lui-même créé. »

Fernando Cabaleiro : « Monsanto prétend régler un problème qu’il a lui-même créé. »

Lors de la session suivante, consacrée aux dommages des pesticides sur la santé, le président de la Fédération internationale pour les mouvements d’agriculture biologique (IFOAM), André Leu, lance l’alerte : « Le glyphosate passe par le placenta et atteint le fœtus. On le retrouve dans la plupart des aliments, la bière, les vaccins qui sont produits avec des œufs qui sont issues de poules nourries aux grains traités. » Avec pour conséquences, « des maladies comme l’autisme, Alzheimer et les démences qui explosent, ainsi que les cancers, l’obésité, le diabète de type 2 ». Marcelo Firpo, chercheur au Brésil, a constaté les dégâts dans son pays : « Le ministre de la Santé estime que plus de 400.000 personnes sont contaminées par les pesticides chaque année. 62.000 personnes ont été victimes d’empoisonnements aigus rien qu’en 1999. Mais on peut penser que les chiffres réels sont 50 fois plus importants. » La France n’est pas épargnée : l’organisation Générations futures, présidée par François Veillerette, a testé une journée de repas ordinaires, du petit-déjeuner au dîner. Bilan : « Trente-six pesticides différents. Nous avons trouvé quatre pesticides et jusqu’à dix résidus dans nos salades. Dans le raisin de table, plus de huit résidus. »

Les petits paysans voient leur activité traditionnelle gravement menacée par le développement de l’agro-chimie. Farida Akhter, militante environnementale au Bangladesh, raconte les effets dramatiques de la privatisation des variétés d’aubergine dans son pays. « Nos fermiers se sont endettés pour acheter de plus en plus de pesticides. L’eau a commencé à être polluée. » La perte culturelle est immense, estime la militante : « Nous avions à peu près 248 variétés d’aubergines, que nous cuisinons de manière différente, que nous faisions pousser dans des paysages différents. Par exemple, un légume qui s’appelait "étoile des yeux" – un nom magnifique. Les entreprises ont récupéré ces variétés, les ont manipulées génétiquement et les ont renommées avec des noms affreux formés de lettres et de chiffres. J’ai honte de ce qui est en train de se passer. »

Pourtant, il n’y a pas de fatalité. « Quand je suis allé en Afrique gérer un problème de nuisibles, se rappelle Hans Herren, la première action, en 1979, avait été d’utiliser des pesticides systémiques de la pire manière qui soit : on les mettait dans le sol, le manioc en était imprégné et les insectes mourraient en l’attaquant. Mais les gens mangent aussi de la racine du manioc, tous les jours ! »

Hans Herren : « Il faut voter avec nos porte-monnaies. »

M. Herren, entomologiste suisse à l’IAASTD et à l’Institut Biovision, également agriculteur et spécialiste du développement, a mis alors au point un contrôle biologique grâce auquel « on a réussi, en 12 années et avec seulement 20.000 dollars, à régler le problème de manière permanente sans utiliser une seule goutte de produit ». Au consommateur de poursuivre le mouvement : « Ma conclusion, c’est que les agriculteurs vont faire pousser ce que les gens achètent. Il faut voter avec nos portes-monnaies. »

-  A suivre : lundi, Reporterre racontera le déroulement du procès de ce week-end.

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