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Luttes

A Marseille, la cantine populaire de la Belle de Mai affiche complet

Chaque jour, la cantine associative du quartier populaire de la Belle de Mai concocte de bons petits plats grâce à ses deux salariés et ses nombreux bénévoles. Alliant solidarité et écologie, la cantine du midi pratique la cuisine comme un outil de transformation sociale.

- Marseille, correspondance

A l’extérieur, l’association En Chantier affiche son intention, « cuisiner pour provoquer des échanges humains et culturels ». Bienvenue au 36 rue Bernard dans le quartier de la Belle-de-Mai, l’un des plus pauvres de France, dans le troisième arrondissement de Marseille. Le revenu moyen annuel par unité de consommation n’y excède pas 6 300 euros.

En Chantier gère la Cantine du Midi. En semaine on y mange pour une somme modique, huit euros pour un menu complet. Ceux qui cuisinent sont bénévoles à l’exception de Sonia et Cosimo, salariés en contrats aidés qui coordonnent la multitude de projets de l’association. Reporterre s’est immergé dans ce lieu le 17 mars. Comme chaque mardi le service est suivi d’un marché.

Du local à l’échange international

Les produits cuisinés à la cantine sont en majeure partie issus de l’agriculture biologique locale. Le maraîcher qui fournit les légumes vient de la région de Cavaillon et la farine du moulin Saint-Joseph à côté de Salon-de-Provence. Ces produits ont parcouru moins de 80 km avant d’être cuisinés ou revendus ici.

Pour faire vivre l’économie locale et créer des liens dans le quartier, la cantine se fournit également « à pied ». Auprès du poissonnier de la place Cadenat et de la boucherie de la rue Orange. Quelques ingrédients viennent de plus loin. L’huile d’olive, le riz et le fromage d’Italie, et l’équipe souhaite aussi faire venir des produits d’Espagne. Mais pas question de charger des camions.

« On a lancé un covoiturage alimentaire. Ça s’appelle Gnam-Gnam voyageur. L’idée, remplir une voiture dont le trajet est déjà prévu depuis la région où les produits nous intéressent. On achète directement au producteur et on partage les frais du voyage avec le chauffeur. Cela permet un échange entre ces deux personnes », explique Cosimo. Avec une amie skippeuse, il envisage de proposer le service sur des voiliers.

A ceux qui y verraient une contradiction en matière d’écologie, Cosimo répond : « Si l’enjeu est de mettre en avant ce que l’on fait juste pour dire que l’on est green, ça ne m’intéresse pas trop. L’écologie est un moteur important de notre action mais non restrictif. Et puis manger doit rester un plaisir et on a envie de ces produits ».

Cette démarche s’inscrit aussi dans un impératif économique pour garder des prix abordables et pouvoir continuer à s’adresser aux gens du quartier. « L’huile d’olive et le riz produits en Italie sont moins chers », dit Cosimo. Se rencontrer et partager savoir-faire et cultures dans une ambiance conviviale, constituent la priorité de la cantine. Pour Cosimo, originaire de Naples, « si l’on écoute les histoires de chacun en cuisine, c’est plus intéressant que d’ouvrir un manuel de géopolitique ».

Aujourd’hui, c’est Léna qui propose le menu : « Rouleaux de printemps végétariens », brochettes de bœuf vietnamiennes « Bo la lot » ou un plat thaï végétarien et en dessert, « riz gluant au lait de coco et mangue ». Diplômée d’un CAP de cuisine et passionnée de cuisine asiatique, elle a acheté les produits spécifiques à l’épicerie spécialisée du quartier de Noailles.

« Dans la restauration, tu restes derrière la cuisine avec un fonctionnement saoûlant, hiérarchique. Pour être mal payé en plus. Je préfère cuisiner pour avoir un vrai contact avec les gens », confie cette Marseillaise de naissance, sur le retour après avoir « beaucoup bourlingué ». A Sonia, Lyes, Seb, Andrea et Guglielmo elle donne les indications pour mener à bien les recettes du jour.

D’origine kabyle, Lyes vit dans le 18e arrondissement de Paris. Il ne pensait faire que passer mais à l’invitation de Sonia, il s’installe pour couper quelques légumes. « Et ils sont où les Italiens ? D’habitude on est en majorité », s’amusent Andrea et Guglielmo. Sonia est originaire d’Andalousie et Seb de Picardie. Andrea était ingénieur dans le pétrole à Lyon. Il a tout plaqué pour venir s’installer à Marseille et être « en accord avec [ses] valeurs ».

Guglielmo, qui vient de Florence, cherchait « un endroit qui ait de l’allure, où se croisent beaucoup de cultures. J’avais des amis à Marseille et puis j’ai lu Jean-Claude Izzo, le célèbre auteur de polars marseillais. J’avais l’image romantique de la ville en tête ».

Autogestion pour tous

« Anthony » crie Sonia au comptoir avant de s’adresser derrière elle, « un rouleau de printemps sauce soja, s’il vous plaît ». Ici pas de service à table. Anthony et ses amis viennent récupérer leur plat auprès de Sonia. En cuisine comme en salle, les maître-mots sont autogestion et initiatives. Les clients sont priés de disposer eux-mêmes leur table et de venir récupérer leurs assiettes auprès de Sonia.

Elle les accueille et explique le fonctionnement. « Tout le monde peut venir manger et cuisiner ici », affirme-t-elle. La cuisine est ouverte sur la salle et les habitués y viennent claquer la bise à l’équipe. La salle est bondée jusqu’à 14h30, laissant un court répit pour le déjeuner de nos cuisiniers du jour avant le marché.

Solidarité

A 15h30 débute le marché. A un euros le kilo, la foule ne se fait pas attendre pour acheter les mêmes légumes que ceux cuisinés en ce lieu. A ce prix, « on revend parfois à perte. C’est pour que les gens du quartier puissent avoir accès à ce genre de produits. Va leur dire de payer sur un an comme dans une AMAP ! C’est impossible », argumente Cosimo.

Pour rentrer dans ses frais, la cantine se rattrape sur le pain, vendu 2,5 euros le kilo. « On ne l’achète pas, on troque avec le boulanger en échange de services », assure Cosimo. D’autres produits comme la mâche ou l’ail, sont vendus 4 ou 5 euros le kilo. Autour des cageots on échange sur l’art d’accommoder topinambour et courge. Chacun fait ses emplettes et se présente à Andrea pour la pesée avant de payer.

Chez elle et hors-les-murs, En Chantier exprime sa solidarité. D’autres associations peuvent venir cuisiner au 36 rue Bernard. Le lundi, ce sont les femmes de Mots-à-mots qui font à manger et les bénéfices permettent à des femmes de financer leur permis de conduire.

Régulièrement l’association sort pour soutenir. Le 13 mars l’équipe assurait la restauration de la soirée en faveur du mensuel régional Le Ravi, organisée aux Docks des Suds. Elle organise également des ateliers de cuisine. Avec Emmaüs Saint-Marcel, elle propose un atelier régulier à destination des compagnons et des habitants du quartier avec le même objectif, « transmettre le plaisir de cuisiner et de manger » rappelle Cosimo.

Préservation des terres agricoles et autonomie

Sonia, Cosimo et la quinzaine de bénévoles du noyau dur ne s’arrêtent jamais de proposer de nouveaux projets. Avec la cantine de la Casa Consolat, autre lieu associatif du quartier des Réformés, ils projettent de cultiver eux-mêmes pour s’approvisionner. « Terre en vue » se définit comme « un groupe de recherche-action en maraîchage collectif » qui souhaite « reprendre en main la production de nos nourritures, apprendre ensemble, créer des espaces d’autonomie et d’émancipation, mettre en culture des terrains publics, empêcher qu’ils ne disparaissent sous le béton ».

Avec le printemps, le collectif s’apprête à mettre en culture deux terrains dans les quartiers nord de Marseille. Sonia s’enthousiasme, « c’est un projet qui se base sur une réflexion pour gagner en autonomie pour nous qui vivons en ville. On n’est pas obligé d’aller à la campagne pour trouver d’autres façons de vivre et de consommer ».

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