À Mayotte, la crise de l’eau perdure sur fond de gabegie gouvernementale

Dans l'île, rivières à sec et grandes bassines forment le décor de cette rentrée. - © Grégoire Mérot / Reporterre
Dans l'île, rivières à sec et grandes bassines forment le décor de cette rentrée. - © Grégoire Mérot / Reporterre
Durée de lecture : 5 minutes
Eau et rivièresAlors qu’un planning des coupures d’eau entre en vigueur ce 4 septembre à Mayotte, le ministre Philippe Vigier a promis des actes. Mais promesses non tenues et corruption empêchent depuis des années les solutions.
Bandrélé (Mayotte), reportage
Le musicien change, pas la partition. « Un effort considérable consenti au plus haut sommet », « une mobilisation sans précédent », « une attention de tous les instants »… Cette fois-ci, c’est un « plan Marshall » qui est même évoqué par le ministre délégué aux Outre-mer, Philippe Vigier, pour faire face à la crise de l’eau qui touche Mayotte, dans un concert de promesses aux allures de déjà-vu.
Depuis 2016, le département français de l’océan Indien vit chaque année au rythme des tours d’eau et des discours emphatiques venus de Paris pour « rassurer la population ». Avec à clé, « un plan d’urgence » et quelques dizaines de millions d’euros débloqués ou « consentis » avec autant de célérité. Cette fois-ci, l’enveloppe est d’une trentaine de millions d’euros.
« Ils ont dû oublier qu’on était pauvres »
« Ce ne sont pas des mots, ce sont des actes », a promis le ministre du moment alors que s’entame un calendrier de coupures des plus drastiques : deux jours sur trois dans les villages, seize heures quotidiennes (de 16 h à 8 h) et une coupure de trente-six heures hebdomadaire en zone dense.
Eau qu’il n’est pas conseillé de boire plusieurs heures après la réouverture des vannes. Un cauchemar pour les familles, dont la majorité compte trois enfants ou plus.

Hygiène, cuisine, vaisselle, linge, ménage tout se fait désormais en trimballant des bassines vendues à prix d’or, dans des conditions sanitaires telles que seuls les plus riches peuvent en assurer la qualité. « Il nous faudrait un employé juste pour l’eau ! Mais ils ont dû oublier qu’on était pauvres », ironise une mère de famille dans une franchise locale, deux packs d’eau au bras.
Elle n’a pas eu le temps de faire ses réserves alors elle passe à la caisse : 13 €. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. « Ils nous saignent », lâche-t-elle avec amertume avant d’embarquer ses packs et son humour — l’armure locale : « Au moins ça fait les muscles ! »
Entre 4,50 et 7 euros pour un pack d’eau
Si Jean-François Carenco, le ministre d’alors et Gérald Darmanin avaient promis de l’eau embouteillée « à prix coûtant », il n’en sera finalement rien. Seule la hausse des prix est prohibée et le pack oscille ainsi entre 4,50 et 7 euros. Pour les distributeurs, la crise de l’eau est une aubaine.
Pour Véolia aussi, semble-t-il. L’entreprise s’est vue confier la mise en service d’une mini-usine de dessalement de 1 000 m³/jour — 1/41ᵉ des besoins de l’île — dont les premières productions sont annoncées pour fin novembre.
Mais la facture a déjà gonflé de quelques millions d’euros depuis les premiers échanges : de 8,5 millions d’euros annoncés initialement, elle est aujourd’hui passée à 12 millions d’euros, selon Le journal de Mayotte. Pas de panique, « le ministre s’est engagé à appeler la direction », rapporte le journal.
Un dessalement pas à la hauteur
De son côté, Vinci et sa filiale locale, Mahoraise des eaux, ne sont pas en reste. Délégataire du vétuste réseau territorial, l’entreprise exploite aussi une usine de dessalement ne fonctionnant qu’au rabais (un tiers de ses capacités actuellement) depuis 1997, sans avoir payé de pénalités.
Tous les ans depuis 2016, elle se voit pourtant octroyer de nouveaux fonds à travers les plans d’urgence. Et ne devrait pas s’arrêter là : le démarrage du chantier d’une nouvelle usine de dessalement est annoncé pour fin 2024.
À terme, c’est une troisième retenue collinaire qui devrait également être creusée dans les collines de Mayotte. Deux projets sur lesquels l’État mise pour « anticiper les besoins futurs » tout en gérant la crise. Problème : ils sont repoussés aux calendes grecques depuis plus de dix ans.

Autant d’années durant lesquelles les retenues d’eau (80 % de la production d’eau de l’île en sont tirés) et les usines de dessalement ont vu leur pertinence future contestée face au dérèglement climatique, lequel frappe déjà le territoire avec une sécheresse historique.
Les retenues d’eau rendent l’eau au ciel - par évaporation - et non à la terre quand les usines de dessalement sont énergivores, alors que l’électricité est ici produite par une centrale à fioul, pour une eau de piètre qualité et des rejets néfastes pour le « plus beau lagon du monde ».
Dans le même temps, « en urgence » comme depuis 2016, un vaste chantier de repérage et de colmatage des fuites est annoncé. 40 % de la production est encore perdue ainsi six ans plus tard. De manière générale, hors sécheresse, le système n’est pas en mesure de produire à hauteur des besoins de la population.
Gestion calamiteuse
« Ce n’est pas un problème de ressource mais de capacité de production », expliquait ainsi le syndicat des eaux (Eaux de Mayotte) l’année passée pour justifier les tours d’eau alors mis en place. L’occasion de faire un parallèle avec les ressources financières. Car hors plans d’urgences, « Marshall » cette année, quelque 350 millions d’euros ont été contractualisés entre l’État et Les Eaux de Mayotte en 2022.
La priorité était alors de redresser la trajectoire du syndicat, en plein marasme financier après des années de gestion calamiteuse, voire mafieuse. C’est la Cour des comptes qui a dévoilé le pot-aux-roses, débusquant des détournements de fonds et des emplois de complaisance en fouillant dans les comptes du syndicat.
Le parquet national financier est sur l’affaire et l’ancien président du syndicat mis en examen. Ce qui n’empêche pas, comme le dévoilent des arrêtés préfectoraux, l’équipe actuelle de demander encore des avances sur subvention — accordées — pour ne pas mettre sa santé financière en péril. L’argent ruisselle et les robinets sont à sec. Pour les habitants, qui s’attendent à de nouvelles restrictions, la chanson est trop connue.