À Mayotte, les militants anti-immigration surfent sur la crise de l’eau

Dans le bidonville de Kaweni, à Mayotte, en mai 2023. - © Louis Witter / Reporterre
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Eau et rivières Écologie et quartiers populairesLa sécheresse inédite qui frappe Mayotte provoque des pénuries d’eau. Une catastrophe pour les habitants des bidonvilles, désignés à tort comme les seuls responsables de cette crise par les militants anti-immigration.
Mayotte, reportage
Un seau, puis deux, puis trois. Les yeux rivés sur le compteur d’eau, un groupe de jeunes remplit attentivement des bidons de plusieurs litres. En ce matin du 5 mai au pied du quartier de Kaweni, « le plus grand bidonville de France », la chaleur est éreintante. L’idée ne viendrait pourtant pas à Danilou, 18 ans, de gaspiller quelques gouttes pour se rafraîchir : « Je remplis chaque seau à fond et je le rapporte à la famille », explique-t-elle. Car en ce moment, l’eau est une ressource en perdition à Mayotte.
À Kaweni, où cohabitent Français, étrangers en situation irrégulière et sans papiers, les rares habitations à bénéficier de l’eau courante subissent des coupures dans un souci d’économie. Le phénomène n’épargne aucun foyer de l’île. Il est amené à se généraliser jusqu’à quatre fois par semaine à partir de mi-juin. Micro fermé, certains acteurs associatifs et institutionnels prédisent même une « pénurie totale » d’ici la fin de l’année.

Principale cause de ce drame : le dérèglement climatique qui, après avoir provoqué un décalage dans la saison des pluies en 2017, entraîne désormais une sécheresse inédite. En cette saison des pluies, où celles-ci n’ont jamais été aussi rares, les réserves des retenues collinaires de l’île ont atteint « des minimums jamais observés », relève le syndicat des eaux de Mayotte. Au 27 avril, celles de Combani et Dzoumogne étaient respectivement remplies à 42,6 % et 27,5 % de leurs capacités.
Un problème de taille de population ?
Une partie de la population mahoraise accuse les habitants des quartiers informels comme celui de Kaweni d’être à l’origine de la pénurie d’eau. « Plus la population augmente et plus l’eau diminue. La population initiale de Mayotte a été dépassée par celle qui est arrivée. Il y a une surpopulation qui entraîne une surconsommation d’eau », affirme Safina Soula, figure de proue du mouvement des Assoiffés du sud durant la dernière crise de l’eau en 2017 et désormais personnalité centrale des Collectifs des citoyens de Mayotte 2018.

Cette galaxie de militants, hyperactive sur tout le territoire, impute aux étrangers tous les maux de l’île : délinquance, précarité et donc… manque d’eau. Relayée par une partie de la classe politique, elle a réclamé et obtenu l’opération policière « Wuambushu » d’expulsion des étrangers en situation irrégulière, de destruction des bidonvilles et de lutte contre la criminalité, lancée mi-avril par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Le collectif proche de l’extrême droite désigne également les immigrés comme responsables de la déforestation, facteur aggravant de la crise de l’eau. Chapeau tricolore sur la tête, Safina Soula, dont la parcelle agricole au nord de l’île est illégalement occupée, tempête : « Cette surpopulation détruit nos forêts. Elle ne possède pas de foncier, donc elle occupe des terrains qui ne lui appartiennent pas ! »

En réalité, de nombreux facteurs sont en cause dans la crise de l’eau mahoraise, qui n’ont pas ou peu de liens avec l’immigration : l’amélioration du niveau de vie qui entraîne une augmentation de la consommation d’eau, des infrastructures défaillantes qui génèrent des fuites d’eau non négligeables, la déforestation et un manque d’anticipation des acteurs privés et gouvernementaux.
Des fontaines payantes
« Dans les bidonvilles, la consommation est évaluée à quinze litres d’eau par jour et par personne », dit Anthony Bulteau, coordinateur terrain de Solidarités International à Mayotte. Six fois moins que la consommation moyenne d’un ménage mahorais qui est de 95 litres par jour et par personne. En amont des bidonvilles, une centaine de bornes fontaines ont été installées par l’Agence régionale de santé ces dernières années pour pallier le manque d’eau potable. Leur consommation est payante, limitée, et faible comparée à celle de l’ensemble du territoire.

Pour le naturaliste Michel Charpentier, impossible aussi de résumer le recul de la forêt par la seule croissance démographique : « L’impact n’est pas nul, mais il y a d’autres facteurs. » Outre l’urbanisation rapide d’un territoire à l’écosystème fragile, l’homme de terrain pointe la destruction d’arbres centenaires « au profit d’une agriculture vivrière ». Un moyen pour les exploitants, quels qu’ils soient, de bénéficier d’un meilleur rendement financier.
Surtout, l’île souffre d’énormes problèmes d’infrastructures. Guito Narayanin, patron de l’entreprise de construction IBS et figure médiatique très présente au sujet de la crise de l’eau, accuse les acteurs institutionnels chargés de la gestion de l’eau, à commencer par ceux chargés de réaliser les aménagements censés répondre à la crise.

Il compare Mayotte à son île d’origine, La Réunion, département français le plus proche et qui parvient à alimenter en eau un million de personnes. Une façon de mettre en relief le manque d’investissement et la précarité des infrastructures mahoraises. « Quelle mascarade ! La population mahoraise, même avec les étrangers, fait environ 400 000 personnes. Les étrangers n’y sont pour rien. »
« Les étrangers n’y sont pour rien »
Parmi les maillons faibles de l’approvisionnement en eau de l’île, Vinci. En août 2022, son usine de dessalement de Petite-Terre, à Pamandzi, produisait péniblement 1 300 m³ d’eau par jour, loin des 4 700 m³ promis au syndicat les Eaux de Mayotte. « Personne n’attaque Vinci sur le volume censé être produit par l’usine de dessalement qu’il a construite. 13 millions d’euros ont été déboursés par l’État ! », s’insurge le chef d’entreprise. Et de qualifier la gestion de l’eau de « système mafieux et pourri ».

Du côté du syndicat des eaux de Mayotte, son DGS Ibrahim Aboubacar reconnaît la nécessité de travaux supplémentaires pour faire fonctionner l’usine en question. « Il n’a pas été réalisé de dispositif de prétraitement de l’eau de mer lors de l’extension en 2017. Les travaux en cours ont pour objet d’adjoindre ce prétraitement d’ici la fin de l’année 2023. »
D’autres solutions existent. « Replanter des arbres » pourrait favoriser l’écoulement des pluies dans les nappes phréatiques et « multiplier les réserves et récupérateurs individuels » sur les toits des bâtiments publics et chez les particuliers permettrait de stocker davantage, estime Michel Charpentier. Sur les toits de son entreprise, Guito Narayanin a décidé d’établir un système de stockage des eaux de pluie. Il s’estime ainsi « largement en autosuffisance pour alimenter ses chantiers et laver les véhicules ».