À Monaco, les riches défendent leurs yachts : « Par rapport à l’automobile, ce n’est rien du tout »

Au Monaco Yacht Show, le greenwashing est omniprésent. - © Laurent Carré / Reporterre
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Yachts électriques, produits d’entretien « véganes »... Le « Salon international de superyachts » de Monaco verdit son image, à l’heure où le nautisme de luxe est pointé du doigt.
Monaco (Alpes Maritimes), reportage
Au Monaco Yacht Show, une visite commence toujours par le franchissement d’une passerelle. Pour atteindre « l’endroit préféré des clients » du catamaran de marque Sunreef, il faut encore grimper les marches jusqu’au pont supérieur. Cette spacieuse terrasse ombragée domine les flots. D’ici, on admire l’étendue de la mer ou on dîne entre amis. Mais pas la tête sous les étoiles. Le pont supérieur est recouvert d’un toit incorporant des panneaux solaires.
Intégrés dans la coque, les 200 m² de cellules photovoltaïques alimentent le yacht pour sa navigation et pour sa vie à bord. La cuve de diesel ne vient qu’en renfort. « La plaisance de luxe en version responsable, ça existe, affirme Artur Poloczanski, de la société franco-polonaise Sunreef. Ici, on est les seuls à proposer des panneaux solaires dans les courbes. »
Le Monaco Yacht Show, qui se termine le 30 septembre, expose le fleuron de la plaisance de luxe. Dans le port, 117 bateaux sont amarrés. Parmi eux, 45 ont été livrés sur l’eau cette année, soit un tiers de la nouvelle flotte mondiale. Ce « salon international de superyachts » aligne sur ses quais abondance et éclat. Il y a un sous-marin à acheter à l’entrée. Il y a des hélicoptères posés sur les ponts. On peut aménager son intérieur de moquette italienne ou s’équiper d’un stabilisateur de billard, pour jouer même quand la Méditerranée est démontée.
Une surenchère qui a un coût écologique. Selon Yacht CO2 tracker, qui repère ces géants des mers, le dixième plus grand superyacht au monde, Opera, brûle 2 800 litres de diesel par heure, soit 7,6 tonnes de CO2. « Avec 2 tonnes par an d’objectif pour un climat vivable pour tous, le propriétaire a cramé son quota le 1er janvier à 0 h 15 min », explique le collectif.

Le Horizons 3, lui, brûle dans l’année 500 tonnes de CO2. Mais, au Monaco Yacht Show, les commerciaux essaient de « limiter un peu » : ils distribuent leurs cartes de visite en dématérialisé.
« Ça fume, ça pue »
Posée sur le quai, la tente du « sustainability hub » est le quartier écolo du salon. On peut aussi bien acheter des toilettes « avec petite ou grande chasse d’eau » qu’une moquette en filet de pêche recyclé. Ou opter pour un produit d’entretien « végane » et « non toxique » : « C’est bon pour le milieu, vante allégrement Renata Prado, de l’entreprise croate Nature Safe Marine. C’est un sachet, comme le thé vert, mais c’est pour le nettoyage green. »
Nina Dimitrova déambule dans les allées. Elle a déboursé 600 euros pour son ticket d’entrée. Cette influenceuse a déjà visité deux yachts : elle rêve d’un 50 mètres moderne. Et l’écologie ? « Nous avons une voiture électrique en Bulgarie, dit-elle. Mais je veux un yacht pour profiter et partager sur Instagram. Le climat change, il fait chaud. Donc oui, je culpabilise un peu. Mais je serai tranquille sur mon bateau. »
Elle passe devant le stand Xeamos sans s’arrêter. L’entreprise propose un système de traitement des gaz d’échappement avec un filtre à particules. « Les yachts n’ont pour l’instant aucune obligation. Ça fume, ça pue, ce n’est pas normal, pointe le commercial pour le sud de la France Olivier Krafft. Les propriétaires sont dans l’attente de la technologie du futur. Mais c’est une illusion d’attendre l’hydrogène. Des solutions existent déjà. » Il mise sur la « vieille méthode » de filtres et de catalyseurs. Un aménagement à « quelques dizaines de milliers d’euros ». Reste à trouver la place dans la salle des machines.

Sunreef est pionnier. L’entreprise a lancé en 2003 le premier catamaran haut de gamme. « Avant, personne ne voulait monter à bord. Le catamaran, c’était soit pour la course, soit pour la plaisance avec la qualité d’un camping-car, rapporte Artur Poloczanski, pieds nus sur le tek. On a démarré sur ce principe car la traînée est plus faible. Donc c’est plus écologique qu’un monocoque. »
Il y a trois ans, l’électrique a embarqué chez Sunreef. L’entreprise a fait breveter ses panneaux solaires enroulés autour du mât. À 8 nœuds, le yacht peut naviguer huit heures en autonomie. Les pilotes automobiles Fernando Alonso et Nico Rosberg sont devenus propriétaires. Le tennisman Rafael Nadal a préféré le modèle thermique. Avec les moteurs électriques, les batteries et les panneaux solaires, le prix du bateau est relevé de 10 à 15 %, sur un budget d’achat de 10 millions d’euros. En vingt ans, Sunreef a sorti 240 catamarans d’usine. Une quarantaine est en cours de production.

« Environ 50 % des demandes aujourd’hui se font sur un bateau électrique ou hybride. Il y a une évolution au niveau de la prise de conscience, poursuit Artur Poloczanski. Quand vous regardez la scène du superyacht, avec les gros monocoques qui consomment quantité de fuel, ce n’est plus trop défendable. Notre mission c’est de dire : vous aimez la plaisance, vous avez des alternatives. »
Dans leurs choix sur-mesure, certains clients choisissent le tek réutilisé, les tables en fibre de lin, les coussins en feuille d’ananas. Sunreef envisage des revêtements en liège. Mais les baies vitrées sont grandes ouvertes alors que la climatisation est allumée. Les jet-skis et l’annexe ne sont pas électriques. « Ça arrive bientôt », assure-t-on.
« Virage technologique »
Jean-Marc et Pauline sont commerciaux dans les revêtements antifouling, cette peinture qui protège la coque. Ils possèdent eux-mêmes des bateaux. Leur analyse : la clientèle serait « de plus en plus sensible » depuis trois ou quatre ans. « L’écologie dans notre secteur va prendre du temps, reconnait Jean-Marc. Mais certaines choses sont mieux gérées qu’à terre. » Il cite le tri des déchets avec « pas seulement trois poubelles », mais des « bleues, vertes, jaunes, roses ».
Pour Pauline, « tout est une question de proportion. On est dans le yachtisme, pas dans la plaisance. Les yachts c’est voyant, c’est ostentatoire. Donc stigmatisés, estime-t-elle. Il faut reconsidérer ça à l’échelle de la planète : par rapport à l’automobile, ce n’est rien du tout ».

Les militants d’Attac mènent régulièrement des actions pour pointer le mode de vie des ultrariches, « déconnectés des enjeux du dérèglement climatique ». C’était le cas pendant le Festival de Cannes, en mai dernier. « On ne prétend pas qu’il suffirait d’interdire les yachts et les jets pour résoudre le dérèglement climatique. Mais si tout le monde en avait, notre planète serait invivable, explique le militant Raphaël Pradeau. Ce sont des personnes qui représentent des symboles de réussite. Or ils donnent à voir au reste de la population une consommation irresponsable. »

Un yacht est un « hôtel mobile », rappelle le directeur de Rolls-Royce Solutions France, Laurent Thiébaut. L’activité majeure, c’est l’hébergement, et non le transport. Mais la pollution sur le temps de navigation peut être réduite. L’entreprise Rolls-Royce « accompagne les chantiers navals » en proposant un système hybride : un moteur thermique couplé à un générateur électrique. « Par le passé, les solutions n’existaient pas, commente Laurent Thiébaut. On est à un virage technologique, industriel et écologique. C’est un long chemin mais on avance. » Avec des clients friands d’innovations.
Pendant ce temps, sur le yacht de Sunreef, on voit encore plus grand. L’entreprise entre dans le monde du superyacht avec la construction de deux catamarans de 43 mètres. Du haut de son pont supérieur, Artur Poloczanski fait remarquer un confort de l’écologie qui n’a pas de prix : le calme. « Avec l’électrique, on n’entend rien du tout, assure-t-il. Il n’y a pas de bruit, pas de vibration, pas de fumée. Le silence, tout le monde en profite. » Surtout au large des côtes.