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ReportageNotre-Dame-des-Landes

À Notre-Dame-des-Landes, l’Acipa se saborde tristement

La principale association opposée au projet d’aéroport a remporté la victoire : l’abandon du projet. Mais elle s’est dissoute sans joie, samedi 30 juin, faute d’accord pour accompagner la Zad dans la lutte pour la terre.

  • Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage

En nombre et en capacité de mobilisation, l’Acipa (Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes), principale association mobilisée contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, a voté ce samedi 30 juin sa dissolution. La structure militante fondée en l’an 2000 était forte de quelque 2.300 adhérents « à jour de cotisation » comme on dit quand on est à un moment crucial où chacun relit les statuts pour verrouiller toute contestation.

Il aura fallu deux heures et demie d’échanges sous une chaleur étouffante dans la salle municipale qui a entendu tant de prises de parole, d’arguments, d’engueulades et de réparties depuis plus de quinze ans. On pourra refaire le décompte des voix pour cette ultime assemblée générale : 941 votes exprimés : 531 favorables à la dissolution, 389 contre (41,34 % de non), 15 bulletins blancs et 6 nuls. Mais le débat est ailleurs.

« En fait, ce n’est pas vraiment un événement politique, souligne Olivier Tric, qui a, quant à lui, voté pour la dissolution. Dans la salle, on était tous déterminés à continuer la lutte. Ça n’a rien d’une fin. Insistant sur le désir de profiter de la notoriété du nom “Acipa”, connu partout, les partisans du maintien ont un argument plutôt sentimental. J’ai défendu l’idée que l’Acipa est portée à bout de bras depuis des années par des gens qui sont épuisés. La dissolution a été leur moyen pour que d’autres repartent avec une autre structure. Il doit y avoir un renouvellement, de nouveaux objectifs, élargis à l’environnement, à la maîtrise des terres. J’ai même ajouté qu’on pouvait y intégrer des zadistes, mais là, j’ai senti comme un blanc... Oui c’est vrai, il y a des partisans de l’ordre et du légalisme dans l’association, chez certains agriculteurs aussi, mais mes copains paysans étaient eux, tous pour continuer l’Acipa, en fait pour continuer la lutte. »

La dissolution de l’Acipa n’est donc pas une reddition en rase campagne. La transmission des contacts et réseaux de l’association qui en font une précieuse boîte à outils politique et militante ? « C’est pas un vrai problème, il y a plein de moyens de le faire », note un adhérent de longue date.

L’association a provisionné un budget pour assurer les honoraires des avocats chargés de suivre les recours juridiques qui ne sont pas encore purgés, notamment sur les compensations environnementales. Ils travailleront avec un comité de liquidation, composé des administrateurs, hormis Dominique Fresneau, le dernier co-président de l’Acipa, qui préfère se retirer après avoir évoqué les divergences au sein du conseil d’administration empêchant l’Acipa de « parler d’une seule voix », tout en récusant l’idée émise dans l’assemblée, d’avoir subi des pressions de la préfecture.

« Si quelques-uns des articles de l’“objet” de l’Acipa (selon les statuts) ouvrent des perspectives d’élargissement, la réorientation d’une association après atteinte de son objectif principal (sinon exclusif) se révèle rarement une bonne solution », écrit Geneviève Coiffard, une des figures de la composition entre les divers courants du mouvement contre l’aéroport et son monde. Elle a prôné la dissolution et « la poursuite de la lutte entre ceux qui le souhaitent », sans pour autant éluder les dissensions : « Après 2012, j’ai pu voir et regretter, entre l’Acipa et la Zad en particulier, le manque de confiance réciproque et jusqu’à la crainte de la trahison, dans une cohabitation/confrontation difficile sur le terrain de la lutte. Ceci a laissé des traces : d’une part de la Zad vis-à-vis de l’Acipa dans une vision largement fantasmée — ah ! les “citoyennistes”, les “légalistes”... — ; d’autre part de l’Acipa vis-à-vis de la Zad, parfois confondue avec “certains de la Zad”, dans une volonté récurrente de distinguer les “bons” des “mauvais”, distinction impossible à porter politiquement par les habitants. (...) Face à ce passif, mieux vaut me semble-t-il essayer de repartir sur de nouveaux cadres ou de nouvelles structures. »

Elle s’inscrit aussi dans les enjeux de l’automne prochain, espérant que de nouvelles conventions d’occupation précaire soient contractualisées pour de nouveaux projets, que les conventions déjà signées soient renouvelées, que les acquisition collectives de terres soient possibles.

D’autres partisans de l’arrêt de l’Acipa ont considéré que l’objectif était atteint. Le projet d’aéroport enterré, il n’y aurait plus de raison de rester mobilisé. Pensant que l’association était un outil très utile, et que sa force militante et politique ne méritait pas d’être balancée aux orties, Ariel, administrateur hostile à la dissolution, donne sa vision : « Une partie du conseil d’administration de l’Acipa a considéré que le projet annulé, c’était fini. On leur a dit OK, si vous voulez partir, on continue sans vous. Mais leur réponse a été de dire que s’il partaient, l’Acipa s’arrêtait avec. Pas question de laisser leur bébé à d’autres. On a discuté un mois pour se mettre d’accord sur une assemblée extraordinaire, pour que les militants participent au débat. Hier, 90 % de la salle était pour continuer l’Acipa. Mais avec tous ces pouvoirs qui ont été pris en compte... »

L’acte de dissolution s’apparenterait même, pour certains, à un sabordage : « Ils ne veulent pas de changement de société », a dit une adhérente. D’autres usent du mot « suicide », soulignant que pour cet « acte macabre », « tout était secrètement préparé et des administrateurs en avaient plein des poches de ces “bons pour pouvoir” qu’ils étaient allé glaner auprès de gens qui ne disent rien et qu’on en voit jamais. Et le pire, c’est que c’était légal. Tout était inscrit dans les statuts. Je suis dans le deuil et je pleure une mort que j’aurais aimé éviter », déplore un militant.

Mais les lendemains de l’abandon du projet en février dernier ont produit des clivages dans toutes les composantes. Les dissensions sont nées pour des raisons parfois différentes. Sur la pertinence de composer avec l’Etat et sur des questions de pouvoir au sein des zadistes. Sur le légalisme et les normes à respecter chez certains paysans. Sur ce qu’on entend par l’aéroport et son monde, l’anticapitalisme n’étant pas une évidence complètement partagée...

« Il peut y avoir dans l’Acipa une crispation sur la propriété foncière qui serait seule légitime, note Ariel. Et pourtant dans ce département, il me semble que les paysans louaient plutôt leurs terres sans en être propriétaire foncier. Bernard Lambert [auteur de Les paysans dans la lutte de classes et fondateur du mouvement des paysans-travailleurs] doit se retourner dans sa tombe. Michel Tarin [militant paysan historique de Notre-Dame-des-Landes, décédé en 2015] aussi, qui était contre l’idée de propriétaire terrien, se considérant un “passeur de terres”. »

Dans son argumentaire contre la dissolution, un administrateur s’est inquiété des lendemains de l’été : « Des projets ont été élaborés, des noms donnés, quinze conventions d’occupation précaire signées à ce jour. Rien n’est pérenne. Qu’adviendra-t-il au 31 décembre [date de l’échéance de ces autorisation très temporaires d’exercer une activité agricole] ? Si comme annoncé, le département récupère 800 à 900 hectares de la Zad, comment pourra-t-on empêcher que certains agriculteurs, candidats à l’agrandissement et aux pratiques irrespectueuses de l’environnement, se portent acquéreurs ? Plus que jamais notre soutien et notre présence restent indispensables aux habitants de la Zad. Il n’est pas envisageable de voir s’écrouler une telle expérience. L’Acipa doit continuer de jouer son rôle d’accompagnement des projets auprès des instances de l’Etat. »

Les statuts de l’association comportent une bizarrerie : ils prévoient de limiter à deux le nombre de procurations détenues par un adhérent lors d’un vote, mais cette limitation ne s’applique pas aux administrateurs. Qui peuvent donc se constituer un portefeuille illimité de pouvoirs. « Quand et pourquoi l’association a-t-elle décidé une telle mesure anti-démocratique ? Surtout qu’on a entendu dans l’AG que certains avaient fait du porte à porte pour récupérer des pouvoirs... J’étais un peu écœuré, dit Olivier Tric. Cela m’a choqué de voir qu’on était 314 dans la salle, mais qu’on a compté 941 votes, avec tous ces pouvoirs. C’est énorme la différence, presque trois fois plus ! »

« Après près de vingt ans à lutter ensemble, on ne pensait pas qu’on verrait entre nous des trucs pareils, soupire Ariel. Ce n’est pas l’assemblée qui a décidé. C’est une victoire amère pour les partisans de la dissolution, qui n’ont pas eu l’air non plus de s’en sentir très fiers. Et personne n’a applaudi. Il y avait un pot en fin d’AG, il n’y avait pas foule à rester. Mais on va digérer ça et se relancer. Pas question de laisser la zone à la FNSEA, au département, aux agriculteurs productivistes qui veulent s’agrandir. »

Consignés dans les statuts, les buts de l’association sont larges : les premiers des treize points en sont certes centrés sur l’opposition à une création d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, mais visent aussi à maintenir et développer toutes les composantes économiques et sociales (agriculteurs, artisans, etc.) et à agir dans le domaine de l’environnement et de l’aménagement harmonieux du territoire.

On retrouvera sans doute les déçus de la dissolution dans un nouveau collectif citoyen. Mais aussi au sein des structures existantes, l’assemblée des usages débattant du quotidien et du futur de la Zad, ou l’AACB, Association pour un avenir commun dans le bocage, créée en mars dernier, entité issue du mouvement supposé le représenter auprès des autorités. Tous ces groupes sont en première ligne de l’avenir immédiat faisant toujours de la Zad une utopie à enraciner.

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