À Paris, le blocage d’Extinction Rebellion s’organise pour durer

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Climat Luttes Extinction RebellionCe mercredi matin, les activistes d’Extinction Rebellion, aux parcours très divers, occupaient toujours la place du Châtelet, à Paris. Ravitaillement, toilettes sèches, crèche... Le campement s’organise pour durer.
- Paris, reportage
« Extinction ! Rebellion ! » À 15 h place du Châtelet, bravant la pluie, une dizaine de militants engoncés dans des cirés improvisent une chorégraphie au son de Sweet dreams de Eurythmics. Une manière de se donner du courage après plus de 24 heures d’occupation du centre de Paris. Surtout que le blocage pourrait durer : « Berlin a prévu de retirer son campement samedi ou dimanche, mais nous on n’a aucune intention de lever le camp et si les gens sont motivés, on espère rester dix jours », indique M., un organisateur.
Un peu plus loin, Christophe, 45 ans, surveille les allées et venues sur le pont au Change. « Je suis peace keeper, c’est-à-dire que j’explique aux gens que le pont est bloqué, aux passants ce qu’est Extinction Rebellion et j’essaie d’apaiser les tensions de toute personne présente sur les lieux, afin de ne pas créer de point de crispation », explique-t-il en désignant son gilet orange fluo. Habitant de Montpellier, gérant d’une société de graphisme et père de trois enfants, il a tout lâché pour venir participer au blocage organisé par Extinction Rebellion (XR). « Avant, je me contentais de marches inutiles ou de rassemblements des Gilets jaunes le samedi qui tournaient à la violence, explique-t-il.

Ce qui m’a attiré dans Extinction Rebellion, c’est l’action directe non-violente. Les principes de XR sont : pas de violence physique, pas de violence verbale et pas de dégradation, sauf si elle a été décidée à l’avance et ciblée. Le déclic a été l’action à Londres au moment de Pâques et le blocage du Pont de Sully. » Pour lui, pas de contradiction entre son implication dans le mouvement et son fatalisme : « Je me suis sensibilisé en regardant des vidéos sur la collapsologie, notamment des conférences de Pablo Servigne. Je pense qu’on va droit dans le mur et que la transition se fera dans la douleur. Je m’investis quand même car même si l’humain va morfler et que la démographie va s’effondrer, les choses pourront peut-être redémarrer ensuite et il faut préserver tout ce qui peut l’être dans cette optique. »
« Ça faisait du bien d’y aller à deux parce qu’on peut avoir peur de l’inconnu avant une action de désobéissance civile »
Près du mur anti-émeute installé sur le pont la veille par la police, Rita, 34 ans, Nelsina, 40 ans, et Armelle, 49 ans, se sont réunies sous une bâche pour se protéger de la pluie et déguster une tranche de melon d’eau. Rita et Nelsina en sont déjà à leur deuxième blocage. « J’ai enrôlé Rita à une formation de désobéissance civile organisée par ANV-Cop21 puis on a participé au blocage du pont de Tolbiac après la marche climat de fin septembre, raconte Nelsina. Ça faisait du bien d’y aller à deux parce qu’on peut avoir peur de l’inconnu avant une action de désobéissance civile, surtout que le premier point abordé pendant la formation est le risque encouru. Finalement, tout s’est bien passé même si j’ai eu un peu peur quand des CRS suréquipés sont arrivés à un mètre de nous et auraient pu nous faire tomber d’une pichenette. »

Mais elle est convaincue que le risque en vaut la peine :
On n’en est plus aux petits gestes que je fais depuis dix ans, comme acheter bio, local et de saison, tendre vers le zéro déchet. Mieux consommer est indispensable, mais ça ne suffit pas. Il faut des changements structurels. »
« L’Homme est capable d’aller sur la Lune mais ne sait pas recycler un carton à pizza. Il est temps de changer de priorités », renchérit Armelle.
Autour d’elles, la vie du camp poursuit son cours. Le programme de l’après-midi — témoignage d’un zadiste de Notre-Dame-des-Landes, cours d’aïkido, débats — est affiché au centre de la place, de même qu’un planning pour organiser les covoiturages et la répartition des tâches.

Des organisateurs récupèrent des fruits et légumes à Rungis et les cuisinent dans une base arrière
Animer, membre de Extinction Rebellion depuis juin, est référente toilettes. « Il y a un coin pipi avec des tuyaux reliés à des entonnoirs qui déversent tout dans un égout non relié à la Seine, explique-t-elle en gardant un œil sur les activistes qui se glissent dans les cabines en bâche, pour vérifier que personne n’a besoin de rien. Pour la grosse commission, on a des toilettes sèches fabriquées avec des sacs poubelle et de la sciure. Quelqu’un vient collecter l’ensemble pour un agriculteur dans la Marne. » La structure a été pensée pour être facilement montable et démontable : « Si on s’y met à une dizaine, on en a pour cinq minutes à tout enlever », assure Animer.

Côté ravitaillement, des organisateurs récupèrent des fruits et légumes à Rungis et les cuisinent dans une base arrière du mouvement tenue secrète. Les victuailles sont ensuite conditionnées dans des barquettes en aluminium et emmenées deux fois par jour place du Châtelet par deux activistes à vélo ou en camionnette.
« Ce midi, on a eu des épinards avec du riz, des tomates, des poivrons et des feuilles de vigne », apprécie Nolwenn. La jeune femme est tranquillement assise avec d’autres activistes dans une cabane au sol couvert de paille, devenue épicerie improvisée. « Une personne est arrivée hier avec deux cafetières et a commencé à faire du café pour tout le camp. Et ce matin, on a découvert des tas de provisions, thé, pain, viennoiseries, devant la cabane », raconte Noémie. « Il y a beaucoup d’auto-ravitaillement avec des dons », confirme une organisatrice.
Le matin, Extinction Rebellion avait twitté la liste des besoins urgents en produits et denrées : boissons chaudes, parapluies, cirés et bottes, cordages, sciure, palettes, nourriture, etc.
Je pensais être la seule à me sentir aussi mal face à la déforestation et la disparition des animaux
Même les plus petits ont une tente bien à eux. Marie, venue de Toulouse avec ses deux enfants de deux ans et demi et cinq ans, y anime des ateliers attrape-rêves et maquillage. Sur le sol s’éparpillent perles et petites ficelles. Plusieurs enfants en chaussettes arborent sur leur frimousse la silhouette d’un Glaucopsyche xerces un papillon disparu. « Mes enfants ne sont pas scolarisés et sont tout le temps avec moi. Je les ai emmenés car l’envie d’XR était de recréer un village convivial, et pour moi, un village sans enfants dans les rues, ça n’existe pas, explique la trentenaire, en formation d’herboristerie. Quand on devient parent, soit on ne prend plus aucun risque d’être emprisonné, blessé ou tué pour être présent le plus longtemps possible pour ses enfants ; soit notre vie n’a plus de valeur et tout ce qui compte est de protéger leur environnement, comme le font les activistes environnementaux en Amazonie. C’est ma position. Surtout que je sais qu’avec les amis d’Extinction Rebellion, mes enfants ne seront jamais seuls, même si évidemment j’espère rester auprès d’eux très longtemps. »

L’activisme lui a en outre permis de sortir d’une période difficile.
J’ai dû faire face à une prise de conscience de la crise écologique tellement dévastatrice qu’elle m’a plongée dans la dépression pendant deux ans. Je pensais être la seule à me sentir aussi mal face à la déforestation et la disparition des animaux. Je me disais que j’étais hypersensible. À Extinction Rebellion, j’ai rencontré des gens comme moi. Avec eux, je suis comme en famille. »
« Extinction Rebellion défend une culture régénératrice, qui repose sur le fait de prendre soin les uns des autres »
Cette éco-anxiété, Michaël, 30 ans, éducateur spécialisé et étudiant en psychologie toulousain, la connaît bien. « À la fin de l’été 2018, au moment de la démission de Nicolas Hulot, je me baladais dans une forêt et j’ai réalisé qu’elle était complètement silencieuse. Ça m’a fait un choc. Toutes les informations que j’avais engrangées sur la crise écologique sont passées d’une réalité intellectuelle et cognitive à une réalité sensorielle. Je suis rentré chez moi et j’ai passé trois semaines enfermé à lire, méditer et pleurer. »

Aujourd’hui, le trentenaire voit dans la mobilisation collective le moyen de recréer du lien et de ne plus se sentir impuissant. Notamment à Extinction Rebellion, un mouvement très attentif au care — que l’on pourrait traduire par l’attention à l’autre, en français — et bienveillant. « Extinction Rebellion défend une culture régénératrice, qui repose sur le fait de prendre soin les uns les autres. Par opposition à notre culture européenne et moderne que j’appelle dégénératrice, car elle est basée sur l’exploitation des hommes et de la nature. À Toulouse, j’ai pu m’impliquer dans des groupes de parole, la transformation constructive des conflits et la permaculture, autrement dit le fait de prendre soin à tous les niveaux. »
À la tombée de la nuit, la place se remplissait toujours pour une nouvelle nuit d’occupation. Et ce mercredi matin, 9 octobre, les occupants étaient toujours là.