Mathilde Larrère : « Place du Châtelet, le message politique d’Extinction Rebellion n’est pas clair »

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Climat Luttes Extinction RebellionSi elle loue le savoir-faire militant déployé lors du blocage de la place du Châtelet, à Paris, par Extinction Rebellion, l’historienne Mathilde Larrère est déconcertée par l’absence de discours politique. Pourtant, « le problème climatique doit être pensé dans une perspective anticapitaliste ».
Mathilde Larrère est maîtresse de conférence en histoire contemporaine, spécialiste de la citoyenneté, des révolutions, et du maintien de l’ordre. Très investie à Nuit debout, en 2016, elle a passé sa soirée du lundi 7 octobre place du Châtelet, là où les membres d’Extinction Rebellion (XR) se sont installés.
Reporterre — Avez-vous été surprise lundi soir, 7 octobre, lors de votre arrivée place du Châtelet ?
Mathilde Larrère — En arrivant, un touriste m’a demandé s’il s’agissait d’un festival… De fait, il y avait de la musique, des funambules, des circassiens. Ce qui m’a surpris, c’est ce mélange des genres. Ça ne ressemblait pas à un blocage politique.
Ce n’est pas tant le fait que ce soit festif, car les occupations d’usine ont été très festives, avec des concerts, des bals. Cela fait d’ailleurs partie de la bataille de l’opinion, donner une image joyeuse, non violente de la lutte. Mais place du Châtelet lundi soir, ni les slogans, ni les discussions n’étaient politiques. Ça dansait, ça parlait organisation concrète. Bien sûr, il faut laisser du temps au temps : le premier soir de Nuit debout n’était pas non plus très politique. Il est trop tôt pour porter une analyse, seulement, c’était déconcertant, je ne savais pas trop où j’étais. Festival militant ? Occupation de place ?

Lors du blocage du centre commercial Italie 2, le comité Adama, les personnes venues de Hong-Kong et les Gilets jaunes ont apporté, par leur présence, une dimension politique très forte, une convergence des luttes en acte. Lundi soir en revanche, la question sociale était complètement absente. Je n’ai pas vu non plus de discours anticapitalistes, plutôt des messages décroissants ou anti-consuméristes. Or le problème climatique doit être pensé avec le social, et dans une perspective anticapitaliste. Je ne dis pas que ces questionnements sont absents des réflexions de XR. Quand on s’installe, qu’on monte des tentes, ce n’est pas le meilleur moment pour débattre et réfléchir du fond. Mais au pont au Change, [place du Châtelet], le message politique ne m’a pas paru clair.
J’ai été impressionnée par la communication très efficace vis-à-vis des nouveaux arrivants ou des passants, et par l’extrême organisation : un point médical, un point bagages, une bibliothèque.. L’espace a été pensé pour que l’occupation fonctionne, cela demande une organisation énorme en amont.
Une occupation au cœur de Paris, avec notamment un blocage de la circulation, qui revendique clairement la volonté de toucher le système économique, est-ce inédit ?
C’est relativement nouveau. Dans l’histoire des occupations, ce sont souvent des usines, ou des lieux précis qui sont visés. Le propre de la manifestation, c’est d’occuper la chaussée et de perturber la circulation, mais de manière ponctuelle. Là, c’est comme une manifestation qui s’installerait.

Quels point communs voyez-vous entre les actions de XR et celles d’autres luttes sociales ou écologistes, comme les actions climatiques non-violentes, Nuit debout, les Gilets jaunes, la Zad ?
XR tente de mettre ensemble différents répertoires d’action, en empruntant à toutes ces luttes. Il y a quelque chose d’inédit dans cet assemblage. Cette occupation du pont au Change me fait penser aux usines occupées en 1936. Il y avait alors un souci de l’ordre dans l’usine ; les ouvriers ne le théorisaient pas comme de la non violence, mais de facto, ils veillaient à ne rien dégrader. Et on trouvait déjà cette dimension festive, des gens qui dansaient, chantaient.
Les occupations récentes, à Nuit debout ou à Tolbiac, ont évolué au fil du temps. L’ambiance variait d’un soir à l’autre, d’assemblée à boîte de nuit à ciel ouvert. Il est donc difficile de comparer. Mais on retrouve à Châtelet le savoir-faire militant – les gestes, l’organisation – présent lors de ces précédentes luttes.
Cependant, l’occupation de la place du Châtelet n’en est pas vraiment une car les membres de XR n’ont pas l’intention de la faire durer. L’idée est d’occuper un peu ici, puis un peu là, et de finir tout ça en fin de semaine. [Les activistes espèrent désormais rester dix jours, lire notre article.] Dans une occupation ‘classique’, on reste jusqu’à obtenir ce qu’on a demandé. La stratégie d’XR s’apparente plutôt à celle du moustique qui tourne en permanence autour de l’oreille du pouvoir, jusqu’à ce que ce dernier n’en puisse plus. Mais un moustique, ça s’écrase facilement….

La désobéissance civile non-violente, assumée par XR, fait-elle partie des pratiques révolutionnaires ?
Le débat violence / non-violence a toujours traversé les mouvements révolutionnaires. Au printemps 1848, les républicains sociaux se divisaient tous les jours dans des clubs sur cette question ! Car personne ne veut la violence pour la violence, la question est de savoir quelle est la meilleure tactique. Dans les révolutions, il y a donc souvent une légitimation d’une violence présentée comme nécessaire et inévitable. Les révolutions sont violentes parce qu’elles n’ont pas le choix. Soit parce que la réaction violente des autorités pousse les gens en face à le devenir, en riposte, soit parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens pour changer les choses.
Comment analyser la réponse de l’État, en matière de maintien de l’ordre, vis-à-vis de XR ?
Lundi soir, j’ai été très surprise de la discrétion des forces de l’ordre, en comparaison avec l’évacuation du pont de Sully, ou avec celle des ronds-points. Les autorités ont laissé l’installation se faire, c’est incroyable.
Pourtant, l’espace occupé est très facilement évacuable. Des grands axes, un carrefour, un pont… C’est un des espaces les moins barricadables de la capitale ! C’est d’ailleurs la preuve que l’objectif de XR n’est pas de rester, ils ne sont pas zadistes. De manière générale, l’État adapte son action aux personnes en face, à la situation : il laisse faire tant que ça ne le menace pas. C’est peut-être aussi dû aux vives protestations qu’a provoqué le gazage du pont de Sully et celui de la récente marche climat.
- Propos recueillis par Lorène Lavocat