A Paris, le plan vélo pédale dans la semoule

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Transports80 kilomètres de pistes cyclables, 10.000 places de stationnement... Le plan vélo dévoilé en 2015 par la mairie de Paris avait tout pour plaire. Problème, deux années ont passé et les chantiers sont au point mort. L’association Paris en selle fait le point grâce à une carte interactive.
Véhicules indélicats stationnés sur les bandes cyclables, portières ouvertes à la volée, coups de klaxon et bouffées de gaz d’échappement... Pédaler à Paris n’est pas de tout repos. Et la situation ne s’améliore que très lentement, a alerté l’association Paris en selle à l’occasion du lancement de son Observatoire du plan vélo, jeudi 16 février. Selon cette carte interactive où l’on peut suivre en temps réel l’avancement des chantiers, seuls 4 % des aménagements cyclables promis par la Mairie de Paris en avril 2015 ont été réalisés. Les conséquences sur la motivation des Parisiens sont implacables : seuls 5 % des trajets sont faits à bicyclette, contre 15,2 % à Grenoble ou 16 % à Strasbourg !
- La carte interactive de l’Observatoire du plan vélo montre l’avancement des travaux
Le plan vélo 2015-2020, dévoilé le 14 avril 2015 par le Conseil de Paris, prévoit un investissement de 150 millions d’euros pour faire de Paris « la capitale du vélo 2020 » et tripler le nombre de déplacements à vélo, avec un objectif de part modale de 15 %.
Premier objectif du plan, multiplier les infrastructures cyclables. Un « réseau express vélo » (REVe) devrait voir le jour, composé d’un axe nord-sud, d’un axe est-ouest et des deux quais hauts de la Seine. Plus de 80 kilomètres de nouvelles pistes cyclables sont prévus. Le plan projette également de généraliser les zones où la circulation automobile est limitée à 30 km/h (sauf sur les « grands axes routiers » qui resteraient limités à 50 km/h), les double-sens cyclables dans les rues à sens unique et les cédez-le-passage cyclistes aux feux. 7.000 « sas vélo » devraient être dessinés sur la chaussée au niveau des carrefours à feux, où les cyclistes pourraient se placer à l’avant des voitures et redémarrer en toute sécurité.
Rien en 2015, rien non plus en 2016
Mais le temps passe, et les cyclistes parisiens continuent à esquiver les taxis pressés sur les voies de bus ou à susciter l’indignation des piétons en zig-zaguant sur les trottoirs. « Il ne s’est rien passé en 2015, ce qui est normal parce qu’il fallait réaliser les études de faisabilité. Mais il ne s’est rien passé en 2016 non plus, alors que ç’aurait dû être l’année du vélo, selon l’adjoint aux transports à la mairie de Paris Christophe Najdovski », observe Charles Maguin.
En février 2017, seules 4 % des pistes cyclables promises avaient été aménagées – et encore, pas toujours de manière satisfaisante. Ainsi, « porte d’Ivry, dans le XIIIe arrondissement de Paris, la piste cyclable s’arrête sur 80 mètres et les vélos ne savent plus où aller », rapporte Simon Labouret, membre de Paris en selle. Qui déplore une « politique du tronçon par tronçon, où l’on oublie les carrefours et ce qui intéresse vraiment les gens – aller d’un point A à un point B avec une logique d’itinéraire ». Pire, le projet de REVe a failli être abandonné au niveau de l’avenue Leclerc, dans le XIVe arrondissement. « Il était question de le remplacer par des couloirs de bus. Heureusement, la mobilisation des cyclistes a permis de sauver la portion. »
Joint au téléphone par Reporterre, l’adjoint aux transports à la mairie de Paris Christophe Najdovski dit « partager ces préoccupations ». « Nous avons pris du retard du fait des discussions avec la préfecture de police de Paris, parce que les aménagements prévus sont sur des grands axes où nous sommes en compétences partagées avec elle, justifie-t-il. Par ailleurs, la préfecture a demandé un moratoire de six mois sur tous les aménagements des berges de Seine, y compris cyclables. Elle ne partage pas la même vision que nous au sujet du vélo et reste attachée au transport motorisé. » Mais 2017 sera bel et bien « l’année de la bicyclette », promet l’adjoint : « Des travaux d’aménagement du REVe vont commencer dès le mois de mars à l’ouest de la capitale et vont se poursuivre tout l’été. »
Des milliers de places de stationnement en projet
- Station Vélib place de la Bastille
Autre point noir du vélo à Paris, le stationnement. Pour épargner aux cyclistes la recherche désespérée d’un panneau de signalisation ou d’un jeune arbre où attacher leurs vélos, le plan prévoit la création de 10.000 nouvelles places de stationnement. Des études sont en cours pour l’installation de « vélos box » sécurisées et résoudre ainsi le casse-tête du stationnement résidentiel – de nombreux Parisiens ne disposent pas de local à vélos dans leurs immeubles et ont peur de se faire voler leurs bicyclettes s’ils les laissent dehors la nuit. « 150 abris d’une dizaine de places devraient être déployés en 2018, et ce ne serait qu’une première phase », assure M. Najdovski. Par ailleurs, deux gros projets de « vélos stations » Gare Montparnasse et Gare de Lyon, pour un total de 4.000 places de stationnement, sont en discussion. « Nous n’avons pas encore défini la date de livraison, mais ce sera pour avant 2020, précise l’adjoint aux transports. Nous travaillons aussi avec la SNCF et le Stif pour l’installation de consignes Véligo dans les gares, mais il s’agit du foncier de la SNCF, donc ça ne dépend pas de nous. »
L’enjeu est de taille, car Paris a plutôt tendance à supprimer des arceaux et accuse un retard important par rapport à d’autres villes françaises et européennes, remarque Charles Maguin : « Il y a quelques jours, Grenoble a inauguré deux silos à vélos près de la gare, qui peuvent accueillir 1.200 bicyclettes en tout. Ça reste faible par rapport aux Pays-Bas, où l’on peut voir des parkings à vélos de 40.000 places ! »
Enfin, les associations regrettent de ne pas être davantage consultées sur le projet de vélos en libre-service Vélib 2, étendu à soixante communes proches de Paris. « Nous avons entendu parler de fortes hausses de tarifs, raconte Simon Labouret. L’augmentation du tarif d’abonnement ne nous dérange pas tant que ça, parce qu’il est actuellement très bas. Mais nous craignons une forte augmentation du tarif journalier, à l’instar de ce qui est fait à Chicago, où le ticket d’entrée à la journée est à dix euros. Comment le Vélib pourrait-il rester compétitif face à un ticket de métro de 1,90 euro ? Cela risque de couper le service de toute une partie de la population, qui prend le Vélib de temps en temps pour profiter du soleil ou se balader. »
Les Parisiens sont de plus en plus séduits par la petite reine
- « On est moins exposé aux particules fines quand on roule sur un couloir séparé »
Un comité technique vélo est prévu le 21 février prochain, l’occasion pour les associations de cyclistes et la mairie de faire le point sur le calendrier de mise en œuvre du plan. Pour Paris en selle, l’heure n’est plus aux atermoiements. « Les Parisiens sont très motivés, constate Charles Maguin. Le trafic a augmenté de 8 % sur les pistes cyclables en 2014. Le projet en piste, encore plus d’aménagements cyclables est arrivé en tête des suffrages à l’occasion du budget participatif 2015, ce qui a débloqué une enveloppe supplémentaire de 8 millions d’euros, et 11 millions d’euros de l’opération #NotreBudget ont été attribués à des projets cyclistes. »
Surtout, circuler à vélo est un moyen concret et facile à mettre en œuvre pour lutter contre la pollution de l’air. Sans que les adeptes du biclou n’aient à craindre pour leurs poumons : « AirParif a équipé des vélos de capteurs. Résultat, quand on roule sur une piste cyclable séparée, on est moins exposé aux particules fines qu’un automobiliste ou qu’un piéton dans le métro », rapporte Simon Labouret. « Evidemment, il ne faut pas pédaler trop fort et surventiler, poursuit Charles Maguin. Mais en ville, à 15 kilomètres/heure en moyenne, on ne se dépense pas beaucoup plus qu’à pied. La culture du Tour de France nous pousse à croire que le vélo est un sport. Mais non, on peut se déplacer à vélo sans souffler ni suer ! »