À Saclay, on détruit des terres agricoles sous prétexte de compensation environnementale

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Le projet de « cluster » scientifique et technologique Paris-Saclay dévore les terres exceptionnellement fertiles du plateau de Saclay. Une étape supplémentaire vient d’être franchie : la construction de bassins pour compenser la destruction de mares et de zones humides.
C’est ce qu’on appelle un paradoxe. Et la preuve, par l’exemple, de l’absurdité du principe de compensation environnementale, maintes fois dénoncé par les écologistes comme un permis de « détruire la nature » et un moyen d’écoblanchir les projets bétonneurs.
À Saclay (Essonne), le grand projet de « cluster » scientifique et technologique Paris-Saclay menace les terres agricoles depuis des années. Riche de plus de 2.000 hectares, le plateau voit son foncier grignoté par les travaux du campus — bureaux, habitats, routes, un métro est même annoncé d’ici à 2024 — depuis que le projet a été classé « opération d’intérêt national » (OIN) par l’État, en 2006.
Un mitage qui a pris une nouvelle ampleur ces dernières semaines, avec la construction de deux bassins de rétention en face du bâtiment EDF, sur la zone d’aménagement concerté (ZAC) dite de Polytechnique. Mais cette fois, il ne s’agit pas d’urbanisation à proprement parler, mais plutôt d’une de ses conséquences : les bassins seraient une mesure de « compensation environnementale », comme y est désormais obligé légalement le maître d’ouvrage dans le cadre du « éviter, réduire et compenser ». Sauf que les deux premières étapes auraient été vite expédiées : « Il n’y a jamais d’alternative étudiée, dénonce Claudine Parayre, membre du Costif (la Coordination pour la solidarité des territoires d’Île-de-France et contre le Grand Paris), qui s’oppose à l’aménagement de Paris Sacaly. On est tout de suite dans la compensation sans avoir cherché à éviter ni à réduire. »
« Recréer des milieux humides artificiels »
Contacté par Reporterre, l’établissement public d’aménagement Paris-Saclay (Epaps) ne s’est pas montré disert, confirmant la nature des travaux sans plus de détails. Lanceuse d’alerte sur ce sujet, l’Amap des Jardins de Cérès complète l’histoire : « Pour réaliser les travaux du campus, ils ont détruit des mares et des zones humides qui contenaient des espèces biologiques rares pour lesquelles ils doivent recréer des milieux humides artificiels », explique Édith Louvier, vice-présidente de l’association.

Parmi ces espèces, le triton crêté, le campagnol amphibie ou l’étoile d’eau, une plante dont l’Epaps se vante, dans son document officiel L’Abécédaire de la biodiversité, d’avoir « mis en œuvre des mesures pour (…) compenser les zones impactées » [1].
Problème : cette compensation s’effectue sur des champs agricoles jusqu’alors cultivés par la ferme de la Martinière. L’installation, principalement céréalière et qui entreprend une reconversion vers le bio, a déjà été expropriée de plusieurs dizaines d’hectares pour les travaux. Les bassins de compensation lui prennent 20 ha supplémentaires. En dédommagement, la ferme a récupéré un bail précaire
d’exploitation d’autres surfaces, plus éloignées et de moins bonne qualité. Une mauvaise compensation à la compensation, en somme.
Car les terres agricoles de Saclay sont connues pour être particulièrement fertiles : « Les limons du plateau sont un matériel exceptionnel. Du fait de l’argile qui est à quatre mètres environ sous les limons, l’eau est conservée très longtemps dans les sols. C’est ce qu’on appelle une nappe perchée, qui procure une réserve hydrique au sol tout à fait exceptionnelle, permettant de faire pousser du maïs sans irrigation, même par temps de canicule, comme en 2003, sans baisse de rendement », décrit Édith Louvier.
« La source des fontaines du château de Versailles »
Une qualité atypique qui fait d’ailleurs la réputation du plateau de Saclay : « C’est une région humide qui a tiré profit de la fertilité de son sol grâce à son réseau hydraulique, rapporte Michel Meunier, des Amis de la vallée de la Bièvre. Par son ingénieux système de rigoles et d’acqueducs, le plateau était devenu, au XVIIe siècle, la source des fontaines du château de Versailles. »

Mais, qui dit région humide, dit risque d’inondation, un risque accru par l’urbanisation en cours sur le plateau. D’ailleurs, l’avis d’attribution du marché public semble indiquer que la première destination du bassin est la rétention des eaux pluviales afin de prévenir les crues. Cité à la fin, « la réalisation de la mare de compensation » est qualifiée de travaux connexes.
« Ils font d’une pierre deux coups, analyse Laurent Sainte Fare Garnot, gérant de Terres fertiles, une SCI qui a réuni en trois mois plus de 1.200 participations permettant d’acquérir 20 ha sur le plateau pour les maintenir en agriculture. Ils peuvent se targuer de faire de la compensation et de respecter leur cahier des charges environnemental, mais ils en profitent surtout pour stocker les eaux de ruissellement et lutter contre les inondations, car l’on atteint des niveaux très importants d’imperméabilisation. »
Autrement dit, la destruction des terres agricoles par l’urbanisation nécessite d’en détruire de supplémentaires pour prévenir les risques induits par cette urbanisation. Au nom de la « compensation environnementale ». C’est ce qu’on appelle le comble du paradoxe.
