Affaire Total en Ouganda, la multinationale face à la justice

Lors de la première audience au tribunal, le 12 decembre 2019. - © Les Amis de la Terre France
Lors de la première audience au tribunal, le 12 decembre 2019. - © Les Amis de la Terre France
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Énergie MondeMercredi 3 novembre, TotalEnergies faisait face à six ONG et à un syndicat devant la Cour de cassation. L’enjeu : déterminer qui doit juger les violations des droits sociaux et environnementaux commises par la multinationale. L’arrêt, qui pourrait faire jurisprudence, sera rendu le 15 décembre.
Au fond de la salle, sous les dorures du plafond de la Cour de cassation à Paris, se massent silencieusement des responsables d’ONG. En face, des dizaines de magistrats prennent des notes ; d’autres écoutent sans bouger. Pour la première fois, la Cour de cassation doit trancher sur un sujet central dans les sept procès en cours intentés contre TotalEnergies (ex-Total), EDF ou encore Casino, pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance. Cette loi unique au monde, adoptée par la France en 2017, oblige les multinationales à respecter un plan de vigilance quant aux violations des droits humains et environnementaux liées à leurs activités — et celles de leurs sous-traitants.
Le hic : le texte de 2017 ne précise pas si c’est au tribunal judiciaire (de droit commun) ou au tribunal de commerce (constitué de responsables d’entreprises élus par leurs pairs) de juger du bon respect de cette obligation. En 2019, six ONG avaient attaqué en justice TotalEnergies pour non-respect du devoir de vigilance dans ses mégaprojets pétroliers en Ouganda et Tanzanie. En première instance, puis en appel, la justice a considéré que cette affaire relevait du tribunal de commerce. Conscientes de l’enjeu pour les procès à venir, les organisations se sont pourvues en cassation.

La crainte d’une « vision trop économique et gestionnaire du plan de vigilance »
À la barre, Guillaume Lécuyer, avocat des ONG, invoque la métaphore footballistique : « Entre un match à domicile et un match à l’extérieur, mieux vaut jouer à la maison. C’est ce qui se trame ici. TotalEnergies aimerait jouer à domicile, au tribunal de commerce, pour s’expliquer devant des pairs attentifs à ses contraintes économiques. » Pour les ONG, la prévention des atteintes à l’environnement et aux droits humains ne relève pas de la gestion interne d’une entreprise, mais bien de l’intérêt général. Hors de question, donc, qu’un tribunal d’exception, éloigné des droits fondamentaux, s’en saisisse. Leur crainte ? « Que le tribunal de commerce ait une vision trop économique et gestionnaire du plan de vigilance », observe l’avocate générale.
L’argument est balayé par Patrice Spinosi, avocat de TotalEnergies : « Les tribunaux de commerce sont des tribunaux comme les autres. Ils ne sont pas en faveur de qui que ce soit. » Pour lui, le discours des ONG « témoigne d’une conception surannée de ce qu’est une entreprise. Nous ne sommes plus au XXe siècle ! Désormais, la gestion d’une entreprise inclut ses impacts sociaux et environnementaux. TotalEnergies en est la première consciente ».
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Ce débat s’est récemment incarné au Parlement. Dans le cadre du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, des sénateurs Les Républicains (LR) ont défendu un amendement pour rendre le tribunal de commerce exclusivement compétent sur le devoir de vigilance. L’amendement a été adopté. Le 21 octobre, la commission mixte paritaire a finalement adopté un article donnant compétence au tribunal judiciaire de Paris en la matière. Le projet de loi doit être voté le 16 novembre.
L’actualité parlementaire n’aura, en théorie, pas d’influence sur l’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Total. Celui-ci sera rendu le 15 décembre. Le temps presse. « Lorsque l’on a assigné Total au tribunal en 2019, on comptait 5 000 personnes déplacées en Ouganda et en Tanzanie. Aujourd’hui, on parle de 100 000 individus », rappelle Juliette Renaud, responsable de la campagne régulation des multinationales pour les Amis de Terre.
Le 15 décembre également, un groupe de députés emmené par Dominique Potier (Parti socialiste, PS) présentera devant l’Assemblée nationale une résolution européenne sur le devoir de vigilance. Objectif : sensibiliser le gouvernement pour que la France, qui présidera le Conseil de l’Union européenne en 2022, tienne une position forte dans le cadre de la directive européenne en préparation sur le sujet.