Aller en festival à vélo, le nouveau défi des fêtards écolos

Justine à son arrivée au festival Pluies de juillet après une trentaine de kilomètres parcourus à vélo, le vendredi 7 juillet. - © Quentin Vernault / Reporterre
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Alternatives TransportsAfin de réduire leur empreinte écologique, des fêtards ont rejoint à vélo le festival normand les Pluies de juillet. Un voyage soutenu par ses organisateurs, dont les transports constituent la majeure partie des émissions de CO₂.
Le Val-Saint-Père et Le Tanu (Manche), reportage
« C’est ici, on est arrivés ! » L’église du Val-Saint-Père sonne les 19h, jeudi 6 juillet, quand un peloton atypique débarque dans ce village normand. Baignés de sueur et du soleil de fin de journée, une dizaine de cyclistes terminent leur étape derrière les jardins potagers d’une ferme, où ils plantent les tentes pour la nuit.
Le lendemain, l’escadron remontera en selle pour franchir les 21 kilomètres le séparant de la ligne d’arrivée : le festival Pluies de juillet, dans la commune du Tanu, où ils passeront leur weekend à écouter musiques actuelles et conférences autour de l’écologie.

Si l’équipe organisatrice de Pluies de juillet a lancé son Challenge vélo cette année, c’est que « de plus en plus de festivaliers venaient à vélo lors des précédentes éditions, explique à Reporterre Mathilde Lamotte d’Argy, cofondatrice avec son père du jeune festival. Cette année, on a décidé d’accompagner ceux qui en avaient l’envie sans forcément savoir comment s’organiser. »
80 km à vélo
La plupart des cyclistes sont venus depuis Paris en train jusqu’à la gare de Vire (Calvados), avant d’emprunter à deux roues les 80 kilomètres de voie cyclable menant à la ferme du Val-Saint-Père. Adèle, étudiante à Bordeaux, a voyagé en train avec son vélo depuis la Gironde. Léna, elle, a appliqué la même formule depuis Quimper (Finistère).

Toutes et tous ont environ la vingtaine et des vélos équipés de sacoches, même si pour une bonne partie d’entre eux, « tout est emprunté à des amis ». Chacun à leur manière, ils sont déjà engagés écologiquement. Une fois les bécanes couchées dans l’herbe, les discussions vont bon train, jeudi soir, dans la grange qui sert d’auberge.
« J’adore le vélo et les festivals, donc c’était logique pour moi de concilier les deux », explique Nina. À 26 ans, la fondatrice du média numérique Green up se sent l’âme d’une pionnière : « On ouvre le bal, en quelque sorte. Lors des prochaines éditions, on pourrait avoir beaucoup plus d’impact si on est plus nombreux ! »

C’est aussi ce qu’espère l’organisatrice : « Nous sommes un petit “festival-laboratoire”, mais il y a un enjeu énorme dans la diffusion de nouveaux récits, dit Mathilde Lamotte d’Argy. Si nous parvenons à donner envie à de plus gros festivals, ça peut vraiment faire la différence. »
« Il faudrait complètement repenser notre rapport au temps »
« Pour l’instant, ce que l’on fait s’apparente plus à de la sensibilisation qu’à une vraie solution, tempère Pablo, un cycliste parisien qui exerce en tant que community manager. Il aurait fallu faire tout le trajet depuis Paris, mais, pour cela, il faudrait complètement repenser notre rapport au temps. » Avec Adèle, ils s’accordent sur leur envie de voir émerger une société différente, « libérée, au moins un peu, des contraintes de temps ».
Lui suggère le télétravail pour pouvoir pédaler quelques heures par jour sans quitter son boulot ; elle propose la réduction du temps travaillé pour pouvoir voyager autrement. « Ce trajet, c’est aussi une manière de se rendre compte que d’autres manières de vivre sont possibles », ajoute la jeune femme. Après dîner, la petite bande s’endort entre serres et légumes, bercée par le ronronnement lointain de l’autoroute.

Le vendredi matin, après un déjeuner solide et une toilette sommaire, le groupe est prêt à repartir. La dernière étape s’annonce plus ardue que prévu. Sur la route départementale, l’ombre se fait rare et le bitume renvoie la chaleur. À l’heure du déjeuner, pas facile de trouver de quoi se sustenter. Le supermarché le plus proche oblige à un détour de plusieurs kilomètres. « Comment font les gens qui habitent ici ? – Ils ont une voiture. »
Ces menues déconvenues ne découragent pas Élisa, future étudiante en journalisme : « Il y a un effet de groupe très motivant, se réjouit la jeune femme. Seule, c’est sûr, je n’aurais pas autant avancé. »

Alice et Léna, qui n’en sont pas à leur coup d’essai après leur participation au Relais jeunes, expliquent : « Il y a dans ces deux expériences la volonté de vivre de manière plus collective. Et bien sûr, de questionner ensemble le rapport de nos sociétés aux énergies fossiles. »
Un lien social primordial, selon l’organisatrice du festival et Jeanne Heintz, responsable du challenge, qui ont tout imaginé : « Le festival est organisé autour des rencontres et de l’intérêt pour les questions écologiques, donc on voulait que le challenge soit dans la même veine. »

Et le défi est de taille : difficile d’atteindre les Pluies de juillet sans mouiller le maillot. La vitesse et le vent offrent un peu de répit dans les descentes, mais les jambes peinent à franchir les côtes. Plus que dix kilomètres, puis huit, et enfin cinq… un panneau finit par indiquer « Le Tanu – 1,5 » !
Arrivée sous les hourras
Le peloton entend la musique d’ici. Elle guide le petit groupe jusqu’à l’entrée du festival. L’arrivée sous les hourras de l’équipe d’organisation ravit les courageux cyclistes, qui retrouvent immédiatement le sourire et posent pour la postérité.
Pour Élisa, l’aventure s’est arrêtée un peu avant l’arrivée : sa monture, trop chargée et en piètre état, lui a donné « l’impression de reculer dans les montées ». « Vu l’état de ce vélo, c’est déjà un exploit d’être arrivée jusque-là ! » dit en souriant le bénévole qui l’a ramenée en navette sur les derniers kilomètres.

« Ce challenge vélo nous tient particulièrement à cœur pour plusieurs raisons, explique Mathilde Lamotte d’Argy, après avoir félicité les arrivants. D’abord, il permet de réduire un peu notre empreinte. Quand nous avons fait notre bilan carbone, il y a deux ans, nous nous sommes rendu compte que les déplacements jusqu’à nous [festivaliers, artistes et équipes] représentaient environ 80 % de nos émissions, comme pour les autres festivals. »
Si cette année, elle dénombre un peu moins de 200 vélos au total sur le parking du festival, « dans les rêves » de l’organisatrice, « des groupes de cinquante personnes partent de toutes les villes » pour rejoindre la jauge volontairement restreinte de l’évènement, entre 3 000 et 4 000 personnes pour cette sixième édition. « Cette année, beaucoup plus de gens sont venus en train, en covoiturage ou en stop. J’ai l’impression que le challenge vélo a aussi un effet “fenêtre d’Overton”. »

Pour le retour, tout le monde va prendre le train. Renouveler l’expérience ? le groupe est mitigé. Certains, comme Lise ou Corentin, comptent bien remonter en selle à l’occasion de prochains évènements, et même pousser leurs amis à les suivre dans de plus longs voyages.
Mais Élisa optera pour la voiture. « Parfois, on a beaucoup de matériel : des tentes, une tonnelle, des réchauds… En vélo, c’est impossible », justifie-t-elle. « C’est intéressant de voyager en bus ou en train pour aller en festival, mais assez souvent, les horaires ne conviennent pas, ou le dernier train part trop tôt. » Pour l’instant, il reste à chacun une tente à planter, une douche à prendre. Et place à la fête.
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