Reportage — Notre-Dame-des-Landes
Allo, Vinci-AGO ? Le promoteur de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne répond pas

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Notre-Dame-des-LandesPour expulser la Zad, il faut respecter la loi... sur les expulsions. Qui suppose que les personnes à expulser soient averties préalablement. Cela n’est pas le cas, observent les zadistes. Leurs avocats vont demander à ce que le droit soit respecté. Pour cela, il faudrait qu’AGO, la filiale de Vinci qui veut construire l’aéroport et chasser les habitants, réponde. Mais malgré les efforts de Reporterre, sa chargée de communication est restée muette.
- Nantes (Loire-Atlantique), reportage
« Nous n’avons pas vu d’huissiers. Nous ne nous considérons pas comme expulsables légalement », annoncent les habitants de la ZAD plantés devant le palais de justice de Nantes. Entourés de leurs avocats, une dizaine de zadistes tiennent conférence de presse ce lundi 26 septembre. Ils expliquent leur situation ubuesque. Les rumeurs d’une évacuation prochaine ne cessent d’enfler à l’approche de la trêve hivernale, qui débute le 1er novembre. Pourtant, une partie des occupants de Notre-Dame-des-Landes ne se sont pas vu notifier d’avis d’expulsion, comme la loi l’exige.
« Sur la soixantaine de lieux de vie existants que compte la ZAD, une quinzaine s’est déclarée auprès d’Aéroports du Grand Ouest (AGO), le propriétaire des terrains. Cela représente une soixantaine de personnes, qui auraient dû faire l’objet d’une procédure d’expulsion nominative, mais elles n’ont rien reçu », affirme Camille (prénom changé). « Pourtant, de nombreuses procédures ont été lancées sans que l’on ait connaissance des décisions », explique Stéphane Vallée, l’avocat nantais des occupants. Le risque existe donc qu’Aéroports du Grand Ouest, la filiale de Vinci, ait demandé à la justice des ordonnances d’expulsion sur requêtes, c’est-à-dire des procédures anonymes, normalement utilisées lorsque le propriétaire se trouve dans l’incapacité d’identifier les occupants.

Ces procédures expéditives posent problème, selon Me Vallée : « Elles ne donnent pas la possibilité de donner des réponses contradictoires, de se défendre dans un tribunal et d’obtenir des délais. » « C’est du jamais vu », observe Vincent Lesimple, coprésident de l’association Droit au logement 44, qui apporte son soutien aux occupants de la ZAD. Vincent Lesimple ne s’est jamais retrouvé face à un cas d’ordonnance sur requête alors que les occupants s’étaient auparavant signalés auprès des propriétaires. « On a l’impression que l’État et AGO veulent passer à la hussarde, comme si la ZAD ne relevait pas du droit commun, mais ce n’est pas une zone d’exception », déclare-t-il.
Les avocats des occupants de la ZAD vont donc officiellement demander à AGO et à la justice de rendre publiques ces éventuelles procédures : « On veut de la transparence », dit Me Vallée.
Chercher à obtenir des réponses sur ces procédures d’expulsions tient effectivement du parcours du combattant. Reporterre s’y est essayé. D’abord auprès du premier concerné : Aéroports du Grand Ouest, la société chargée de la construction et de l’exploitation du futur aéroport. Elle est détenue à 85 % par Vinci Concession (voir la fiche de la société AGO). Son siège social est situé à l’aéroport de Nantes-Atlantique.
Nous demandons à l’accueil de l’aéroport nantais de rencontrer la chargée de communication d’AGO, Virginie Herrouët. « Ce n’est pas possible de se rendre comme ça dans les locaux d’AGO », indique l’hôtesse d’accueil, qui décroche son combiné pour appeler la société. Nous pouvons parler à une employée de celle-ci. « La responsable de la communication est en “conf call” [conférence téléphonique], elle est indisponible pour le moment », nous dit-elle. Impossible de monter dans les locaux d’AGO, situés pourtant à quelques mètres au-dessus de nos têtes.

La question que nous voulons poser est simple : y-a-t-il ou non des procédures d’expulsion des occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes sous forme d’ordonnance sur requête ? « Je fais part du caractère urgent de votre demande et on vous recontactera », poursuit cette même employée.
Une exploration rapide de l’aéroport permet de localiser les bureaux d’Aéroports du Grand Ouest. Situé à l’étage du Hall 1, le siège de la filiale de Vinci n’est signalée que par un panneau discret. La porte verrouillée est gardée par un interphone et un clavier codé à l’entrée. AGO ne semble pas porté vers la communication. Comme son site internet, toujours inachevé.

Du coté des tribunaux, la démarche n’est pas plus fructueuse. D’abord dans ce même tribunal de Nantes, devant lequel les occupants de la ZAD ont organisé leur conférence de presse et où « Camille » part à la chasse aux informations. L’habitant de la ZAD s’est déclaré auprès d’AGO en 2012 et cherche à savoir si une procédure d’expulsion est engagée à son encontre. Il reçoit une fin de non-recevoir à l’accueil du greffe. « Il nous faut un nom pour trouver les décisions », lui explique-t-on. « Si j’étais mentionné dans une procédure d’expulsion nominative, je n’aurai pas besoin de venir ici pour le savoir, j’en serais averti, répond-il. C’est le serpent qui se mord la queue. »
Impossible également d’en savoir plus auprès du tribunal de grande instance de Saint-Nazaire, juridiction dont dépend la moitié de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. À l’accueil du palais de justice, installé dans un bâtiment art déco, on esquisse un sourire amusé à l’évocation de ces procédures d’expulsion. Avant de nous renvoyer vers la procureure, qui assure que le parquet n’en est pas saisi.

« On se doute pourtant qu’il y a eu des décisions, assure Me Vallée. Et s’il y a eu des ordonnances sur requête, nous demanderons la rétractation », poursuit-il. Ce qui permettrait aux occupants de se replacer dans des procédures d’expulsions nominatives et de se défendre. « Il y aura ainsi des débats. Charge ensuite à la justice de se prononcer ou pas en faveur des expulsions », conclut l’avocat. Ce changement de procédure permettrait aux zadistes de demander des délais, qui pourraient aller jusqu’à trois ans.
Dans l’après-midi, nous reposons notre question à la chargée de communication d’AGO. Impossible de lui parler. Elle finit par nous envoyer un courriel laconique : « La société Aéroports du Grand Ouest a pour principe de ne pas commenter d’éventuelles procédures judiciaires et ne souhaite donc pas se prononcer concernant les propos lors de la conférence de presse sur l’emprise de la concession du futur aéroport », écrit-elle. On ne vous demande pas un commentaire, mais une information. Qui restera donc secrète.