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ReportageClimat

Après les tempêtes, une reconstruction sans fin dans les Alpes-Maritimes

Saint-Martin-Vésubie a vécu sa deuxième tempête dévastatrice en trois ans. Alors que les chantiers tournent à nouveau à plein régime dans les Alpes-Maritimes, les riverains dénoncent un « rafistolage ».

Saint-Martin-Vésubie (Alpes-Maritimes), reportage

Le cabas est posé sur la boue. À l’intérieur, « les courses pour la journée » et « le pain pour la voisine », liste Marie-France Charbonneau, qui a ajouté son manteau à la pile. Cette habitante de Saint-Martin-Vésubie s’impose une pause. Elle reprendra la marche : trente minutes pour rejoindre sa maison. Au passage de la tempête Aline, le 20 octobre, la route au nord du village s’est affaissée. Une nouvelle fois.

La première, c’était lors de la tempête Alex, en octobre 2020. « Ce n’est pas acceptable, déplore Marie-France Charbonneau. Les travaux auraient dû être terminés. Si ça recommence tous les trois ans, ce n’est pas possible. » Des ponts et des routes n’ont pas tenu face à la crue. À Saint-Martin-Vésubie, les habitants ont l’impression d’un retour en arrière.

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Cette route a rouvert dans la soirée du 25 octobre pour les véhicules légers, après cinq jours de coupure. Même s’il faut encore rouler sur des passages en terre. Pour se relever vite, le préfet des Alpes-Maritimes a signé le 25 octobre un arrêté « inédit » portant sur la « reconnaissance du caractère d’urgence des travaux de reconstruction des vallées impactées ».

La route menant au village de Venanson, à gauche en sortant du pont, a été emportée par la tempête Aline. © Laurent Carré / Reporterre

Des chantiers seront menés « pour désenclaver immédiatement les communes et habitations isolées » et pour « anticiper les futurs épisodes de fortes précipitations ». Cinq entreprises de travaux sont réquisitionnées. Priorités : l’enlèvement des embâcles, des troncs, des débris et l’autorisation des ouvrages de protection. Dans le même temps, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a promis « un conseil de la reconstruction ». Dans le lit du Boréon et de la Vésubie, les pelleteuses sont déjà à l’ouvrage.

Des engins de chantier travaillent dans le lit de la Vésubie. © Laurent Carré / Reporterre

« Au mieux de l’incompétence, au pire de la punition »

La tempête Aline réveille les souvenirs de la tempête Alex. En 2020, Marie-France Charbonneau avait tout perdu. Les eaux emportaient sa maison entière et suspendaient sa voiture en l’air. Alors, le 20 octobre dernier, quand elle a entendu « alerte rouge » et « écoles fermées », elle a pris « la poudre d’escampette ».

Cette dirigeante d’une association culturelle est partie à l’hôtel. Elle venait de réemménager à Saint-Martin-Vésubie et d’arrêter un traitement contre l’anxiété. « Quand il pleuvra, ça recommencera, anticipe-t-elle. Je n’ai jamais voté, je ne fais pas de politique. Mais je n’en peux plus. C’est du grand n’importe quoi. Pourquoi avoir arrêté les travaux ? »

Pour Josette, « c’est un découragement, une lassitude ». © Laurent Carré / Reporterre

Comme beaucoup d’habitants, elle déplore la lenteur d’un chantier presque à l’arrêt. « On n’entendait plus les pelleteuses », affirment nombre d’habitants. Ce jour-là, le vice-président de la commission Transports et mobilités de la Métropole, Gaël Nofri, a fait le déplacement. Il croise Marie-France Charbonneau avec son cabas. Et répond : « On a des difficultés qui sont liées à l’environnement et surtout à la réglementation. Nous n’étions pas propriétaires de la totalité des parcelles. Et on ne peut pas intervenir chez les gens en violation du droit de propriété. Il y a aussi une zone boisée et il faut changer le PLU [plan local d’urbanisme]. Ça prend du temps. »

Une pause « temporaire » dans les travaux également liée à l’enquête judiciaire sur des soupçons de détournement de fonds publics lors des chantiers de reconstruction. Des marchés de l’ordre de plusieurs millions d’euros.

La route devient sentier. Ici, marchent aussi une professeure qui donne des cours privés, un mécanicien qui utilise un gyropode, une infirmière qui visite ses patients. « Les habitants de Saint-Martin-Vésubie ont besoin de parler, d’être écoutés, a-t-elle remarqué, de retour de sa tournée. Le tonnerre les empêche de dormir. Ce qui revient souvent, c’est la peur de la pluie et de l’orage. » Et les « travaux définitifs » qui se font attendre.

Yves (à g.), un habitant excédé, échange avec Gaël Nofri de la Métropole. © Laurent Carré / Reporterre

Avec son sac à dos de rando, Yves grommelle. Le 20 octobre, il a trouvé l’oreille de Gaël Nofri. « On est punis. On est dans le provisoire depuis trois ans. Depuis quand on voit des gabions [grillages remplis de terre ou de pierres] qui ne sont pas protégés ? Au mieux de l’incompétence, au pire, de la punition. » Réponse de l’élu : « On était contents quand même d’avoir du provisoire. La volonté, c’était de rouvrir très vite. Tout le monde au niveau local a essayé de faire de son mieux. Je suis d’accord avec vous, il faut aller vers le définitif de suite. »

Selon Christophe Béchu, « 80 % de ce qui avait été promis en termes de reconstruction a été fait de manière définitive ». La « quasi-totalité » a tenu. « Le dérèglement climatique, avec une Méditerranée chaude, augmente la probabilité d’avoir des épisodes comme celui qu’on a connu. On a donc le risque d’avoir devant nous des épisodes comme ça qui se reproduisent, estime le ministre. C’est la raison pour laquelle il faut à la fois qu’on finalise ce qui a été prévu en termes de reconstruction et qu’on s’interroge sur le bon dimensionnement de ce qui nous reste à faire. »

Du « rafistolage », des « freins »

Saint-Martin-Vésubie est surnommée la « Petite Suisse ». Quand on s’éloigne des coquettes maisons de village, les chalets sont éparpillés sur les flancs de la vallée. En haut s’étirent les cimes du Mercantour. Au milieu coulent les rivières. Avec les 200 mm de pluie du 20 octobre, le Boréon et la Vésubie sont devenus torrents boueux et fougueux. Le lit des rivières creuse. Le moral des 1 300 habitants aussi.

« C’est un découragement, une lassitude », dit Josette. Elle aussi réside au-delà de la route qui s’est affaissée. À la tempête de 2020, sa maison avait été emportée : « Tout avait disparu. Il ne restait pas un bout de cheminée. » Elle a déménagé. À la deuxième tempête, elle a encore été évacuée, « encordée par les pompiers ». Elle se dit « résignée ». Josette constate que « c’est du rafistolage », des « lenteurs administratives », des « freins ».

Elle remonte le chemin. Le maire suit les affaires de près. « Le provisoire dure, mais on y était. On avait les plans des ponts. On allait les poser début 2024, affirme Ivan Mottet. Il faut prévoir ces tempêtes. Il y aura d’autres pluies violentes. À chaque nouvelle alerte, on met en place un poste de commandement. » La tempête Aline n’a pas fait de victime. Toutes les maisons sont debout. C’est déjà une première victoire pour l’élu.

La route face à cet habitant s’est effondrée. © Laurent Carré / Reporterre

Jusqu’au mercredi 25 octobre, Redhouane Khalfaoui marchait lui aussi : trente-cinq minutes chaque matin pour rejoindre le bar-tabac qu’il tient dans le centre. « Ça nous remet à nouveau dans le doute sur l’avenir économique, dit-il. À l’extérieur, l’image de Saint-Martin-Vésubie, c’est quoi ? Un village dévasté par la tempête ? » Il a l’impression d’une « douche froide » : « On s’est battus pendant trois ans. Les mêmes craintes, les mêmes questions reviennent. On se dit que tout ça aurait pu être évité. » Devant son comptoir, on joue au Loto, on achète des Marlboro. Et on râle sur les travaux.

Et puis, il y a les résignés. Devant la mairie, Christine raconte sa nuit du 20 octobre. Elle n’a pas dormi. Elle a surveillé les eaux « sur le qui-vive ». Et puis, finalement, l’évacuation. « Oui, on repart de zéro. Mais je n’ai pas de sentiment particulier, expose cette employée de la déchetterie. On habite à la montagne. La rivière reprend le dessus. C’est aussi ça, la nature. »

Les habitants restent marqués par les tempêtes. « Inconsciemment », Christine a toujours un ballot prêt à la maison : une paire de chaussures, des litres d’eau et les photos de famille. À la déchetterie, elle a remarqué que les habitants n’avaient pas encore terminé d’apporter leurs affaires détruites par la première tempête.


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