Au Chili, une nouvelle Constitution pour plus de justice et d’écologie

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Monde PolitiqueLes Chiliens viennent d’approuver par référendum le principe d’une nouvelle Constitution, qui devra être écrite par une Assemblée citoyenne. Une avancée historique pour ce pays, qui a mis un terme à la dictature militaire mais pas encore au néolibéralisme. Le droit à l’eau, la place des peuples indigènes et l’éducation font partie des enjeux cruciaux du processus démocratique qui s’ouvre.
- Valparaiso (Chili), correspondance
À peine sortis de quatre longs mois hivernaux confinés, les Chiliens ont vécu un tournant historique de leur vie démocratique depuis la fin de la dictature de Pinochet en 1990. Malgré une pandémie du Coronavirus encore vive, le 25 octobre 2020, 50,9 % des électeurs — le plus haut taux de participation depuis dix ans — se sont déplacés aux urnes pour approuver à 78 % l’écriture d’une nouvelle Constitution. Dès le lendemain, tous les secteurs de la société ont mis le pied à l’étrier pour enclencher le processus constitutionnel.
Un an après la révolution sociale qui a bousculé le pays en octobre 2019, le peuple chilien a donc approuvé le principe de l’écriture d’une nouvelle Constitution par une Assemblée constituante. Les électeurs avaient deux bulletins de vote à remplir. Le premier pour approuver ou rejeter l’écriture d’une nouvelle Constitution et le second qui proposait deux options : « Assemblée constituante » composée uniquement de citoyens ou « Assemblée mixte » composée de parlementaires et de citoyens. C’est la constituante qui l’a emporté haut la main avec 79 % des votes. « Les résultats du vote sont clairs : nous voulons un changement structurel et nous voulons qu’il se définisse sans les parlementaires et sans l’élite politique de ces 30 dernières années », confie à Reporterre Sara Larrain, directrice de l’ONG Chile sustentable.

En 1988, après quinze années de dictature, des manifestations massives avaient contraint le général Pinochet à organiser un référendum pour décider de la prolongation de son mandat présidentiel jusqu’en 1997. La victoire du « non » à 55,99 % marqua la fin de son régime autoritaire, mais pas celle de la Constitution très conservatrice de l’époque. Cela n’est pas sans rappeler la délicate position de l’actuel président milliardaire du Chili, Sebastian Piñera, qui a été forcé de signer les « Accords pour la paix sociale » le 15 novembre 2019 après un mois d’affrontements massifs. Malgré une répression terrible — 34 morts, 352 lésions oculaires, et une dénonciation de violation des droits humains par l’ONU —, le gouvernement n’a pas eu d’autres choix que de répondre à la demande principale de la rue : une nouvelle Constitution.

« Le cœur du projet de la dictature de Pinochet, c’est la Constitution de 1980. Les réformes constitutionnelles qui ont eu lieu, en 1989 et 2005, n’ont pas réussi à la transformer. Certains aspects ont été modifiés pour la rendre compatible avec des institutions démocratiques et non plus dictatoriales, comme la durée du mandat du président, le rôle du Sénat ou du ministère public mais ces réformes n’ont jamais intégré les demandes populaires, à savoir des droits fondamentaux comme le droit à la santé, à l’éducation, au travail ou à l’environnement. », explique à Reporterre, Jaime Bassa, avocat et professeur de droit constitutionnel à l’Université de Valparaiso.
Quelle place pour les peuples originaires ?
En finir avec la Constitution héritée de l’époque dictatoriale et partir d’une page blanche pour rebâtir les fondements de la démocratie chilienne est l’enjeu des deux prochaines années. En avril 2021, les représentants de l’Assemblée constituante seront élus. Ils auront douze mois pour écrire la nouvelle Constitution, période à l’issue de laquelle un nouveau référendum sera organisé. Le calendrier est clair mais les règles d’élection et de fonctionnement de l’Assemblée rédactrice restent, elles, à définir. Manuela Royo, avocate des communautés Mapuche, peuple indigène du sud du pays, confirme qu’« il y a beaucoup de flous qui constituent des obstacles à la participation des citoyens. Pour les peuples originaires, par exemple, nous avions obtenu en août qu’ils soient parties prenantes mais on ne sait pas encore comment et les élections sont dans quatre mois ! Mais cela ne nous surprend pas : le Chili est le seul pays avec l’Uruguay qui ne reconnaît pas constitutionnellement ses peuples originaires. » Le 29 octobre, le Parlement a proposé que 26 sièges soient réservés dans la Constituante aux peuples originaires. Le débat doit se poursuivre et les Mapuche, Rapa Nui, Aymara et autres peuples doivent attendre pour savoir comment ils participeront.
Les députés constituants devaient être 155 — et peut-être 181 avec les peuples originaires. Ils seront à parité, avec 50 % d’hommes et 50 % de femmes, ce qui constituera une première mondiale. Cette victoire est d’autant plus à souligner dans un pays où le Parlement ne compte que 20 % de femmes et où l’avortement n’est toujours pas libre et gratuit. Le 8 mars dernier, avant que le Covid-19 ne sonne le glas des manifestations, quatre millions de femmes s’étaient réunies dans plus de quarante-cinq villes chiliennes.

« Sortir de la logique de ségrégation sociale de la Constitution de 1980 et construire des espaces de cohésion et d’intégration sociale est notre grand défi. Prenons l’éducation par exemple : elle n’est pas considérée constitutionnellement comme un droit fondamental mais comme un bien privé qui plus est reproduit les inégalités sociales grandissantes », déplore l’avocat Jaime Bassa. Selon l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le Chili est le troisième pays au monde où l’offre d’éducation publique est la plus faible : seulement 37,5 %. Le système éducatif chilien est ainsi l’un des plus privatisés au monde. Une situation très inégalitaire face à laquelle des organisations comme le Centre pour l’éducation inclusive ne propose pas moins qu’un changement de paradigme.
Mais il n’y a pas que l’éducation qui est privatisée et qui mérite une métamorphose juridique et sociale. La santé, les retraites et même l’eau. Selon le World Institute Research, le Chili est le 16e pays au monde où le stress hydrique est le plus élevé. Le pays andin vit une mégasécheresse depuis dix ans. Particulièrement affecté par les effets du dérèglement climatique en raison de sa géographie et de ses climats extrêmes — 4.600 km de côte Pacifique, la cordillère des Andes à l’est, le désert d’Atacama, le plus aride du monde, au nord, la Patagonie glacière au sud, les phénomènes El Niño et La Niña — le Chili doit relever le défi de l’eau. Comme le dit Sara Larrain : « La priorité est d’établir que l’eau est un bien commun contrairement à la Constitution de 1980 qui lui confère des droits de propriété. Ensuite, un accès à l’eau potable pour tous les Chiliens doit être garanti par l’État. C’est le minimum qui doit être inscrit dans la nouvelle Constitution. »