Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageÉnergie

Au Kosovo, le gouvernement ne jure que par le charbon

Prishtina, la capitale du Kosovo, est l’une des villes les plus polluées au monde à cause de deux centrales au lignite héritées de l’époque yougoslave. Malgré les conséquences sanitaires et environnementales, le gouvernement compte bien poursuivre dans cette voie en construisant une nouvelle centrale… au charbon.

  • Obiliq et Prishtina (Kosovo), reportage

Des flocons grisâtres tombent sur Obiliq. Il est 16 heures, et les derniers rayons du soleil hivernal ont bien du mal à percer le brouillard qui recouvre cette ville de 21.000 habitants située aux portes de Prishtina, la capitale du Kosovo. Malgré l’odeur âcre du charbon, c’est au pas de course que Ditver se rend au terrain de sport. « Il y a deux centrales thermiques au Kosovo et les deux se situent chez nous, à Obiliq, ironise le jeune homme de 18 ans. Regarde ! Là, il y a Kosovo A et là-bas, Kosovo B… et nous, nous sommes au milieu. » D’un côté et de l’autre de la route principale, les épaisses fumées des deux centrales encerclent la petite ville.

« Entre nous, on en parle souvent comme d’une bombe atomique, poursuit le jeune sportif. L’air que nous respirons ici est la cause de tant de problèmes de santé... » Construites dans les années 1960 et 1970 du temps de la Yougoslavie communiste de Tito (1892-1980), les deux centrales au lignite d’Obiliq produisent 98 % de l’électricité de ce pays de moins de deux millions de personnes. Comme beaucoup d’habitants de la ville, le père de Ditver travaille à la centrale Kosovo B. « Heureusement, mon père n’a pas de problème de santé mais son travail à la centrale est très dangereux, explique Ditver. Les machines, les moteurs, les turbines… le matériel n’a jamais été remplacé… Il n’y a pas eu d’investissement dans des équipements modernes et tout le personnel doit travailler dans ces conditions. »

« La situation s’est aggravée ces dernières années » 

Les habitants d’Obiliq n’ont pas tous la chance du père de Ditver. Et pour cause : dans un rapport de la Banque mondiale, la centrale Kosovo A est décrite comme « la pire source d’émission de pollution en Europe ». Derrière son comptoir, la pharmacienne du centre-ville en constate chaque jour les conséquences sur la santé publique. « Beaucoup de nos clients ont des soucis à cause de la pollution de l’air, se désespère-t-elle. Comme l’air est très chargé en poussière de charbon, cela provoque de nombreuses allergies. La situation s’est aggravée ces dernières années, c’est bien pire qu’avant. » Son chef entre dans la pharmacie, elle arrête la discussion. À Obiliq, tout le monde est relié d’une manière ou d’une autre aux centrales et dans un pays où le taux de chômage est de 35 %, y travailler est souvent perçu comme une chance.

Les habitants d’Obiliq habitent au pied des cheminées des centrales au lignite.

À dix kilomètres de là, les hauteurs de Prishtina sont comme enveloppées par les nuages blanc-gris venus d’Obiliq. Dès l’automne et durant tout l’hiver, les fumées toxiques des centrales se font particulièrement sentir dans la capitale kosovare. C’est le thème de la conférence où intervient Drita Zogaj, qui travaille à l’Institut national de santé publique. « À Prishtina, nous avons recensé de nombreux cas d’hospitalisation dus à des maladies cardio-vasculaires, surtout chez les adultes de plus de 30 ans. Et en hiver, les services de pédiatrie reçoivent un nombre plus important d’enfants. »

Les particules fines font régulièrement polémique au Kosovo. Pourtant, les liens entre la santé publique et les vieilles centrales au charbon d’Obiliq ne sont étudiés que depuis quelques années. Si, depuis 2016, le consulat étasunien de Prishtina rend public son propre indice de qualité de l’air, les données fiables font encore défaut. Drita Zogaj préfère rester prudente : « Nous observons également une augmentation du nombre de cancers mais pour l’instant les données que nous avons ne nous permettent pas d’établir des liens avec les centrales. »

Fatigués de voir le problème rester sans réponse, des dizaines de citoyens manifestent régulièrement pour défendre la santé publique. Masque sur le visage, le journaliste Vullnet Krasiniqi est l’un des organisateurs : « Prishtina a enregistré des records mondiaux de pollution ! L’air que nous respirons est extrêmement dangereux. L’État a failli dans ses missions de service public et, au contraire, il a même réussi à détruire tout l’écosystème du pays. » Selon l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), 3.700 personnes meurent de manière prématurée au Kosovo. Un chiffre en constante augmentation alors que l’espérance de vie des Kosovars est déjà la plus faible d’Europe.

« Il faut sécuriser nos sources d’énergie » 

Dix ans après l’indépendance du pays, l’environnement n’est pas vraiment la priorité de l’État kosovar, plus occupé à faire reconnaître des frontières encore contestées. Mais Bashkim Musliu, représentant du ministère de l’Environnement, assure que les autorités essaient d’améliorer la situation. « Je crois que pour Prishtina, le gouvernement a fait un important travail, ce qu’on appelle la “cogénération”, la valorisation de la chaleur de la génération électrique de la centrale d’Obiliq pour chauffer Prishtina. Cela participe beaucoup à réduire les pollutions. » Ces mesures sont « superficielles », selon Vullnet Krasiniqi, qui souligne le manque de transparence et l’urbanisation chaotique de la capitale.

Loin de renoncer au charbon, le gouvernement de Prishtina compte bien poursuivre l’exploitation des principales ressources de ce territoire grand comme deux départements français : les mines de lignite. Depuis plus de dix ans, il rêve d’autosuffisance énergétique avec le projet Kosovo nouveau (Kosova e Re) : la construction d’une centrale au charbon d’une capacité de 500 MW. « Il y a des groupes d’intérêts qui contestent la construction de cette nouvelle centrale thermique, explique Bashkim Musliu, du ministère de l’Environnement. C’est leur droit de contester. Mais il faut sécuriser nos sources d’énergie. Et, cela a été dit publiquement à la télévision, la nouvelle centrale sera équipée de filtres modernes qui minimiseront les pollutions de l’environnement. Je suis persuadé que c’est vrai. »

Dans le centre de Prishtina, une publicité gouvernementale pour le projet de nouvelle centrale au charbon.

Surnommé Kosovo C par ses détracteurs, le projet n’obtiendra finalement pas les financements de la Banque mondiale qui, après l’avoir soutenu pendant de longues années, l’estime aujourd’hui plus coûteux que les énergies renouvelables. Un retrait qui est synonyme de victoire pour les opposants de la première heure comme Visar Azemi, directeur de la Balkan Green Foundation. Pour lui, cette décision de la Banque mondiale devrait pousser les autorités à revoir leur politique énergétique. « Jamais nous n’avons calculé les coûts externes du charbon, nous ne savons pas quelle est la facture réelle que payent la population et l’État kosovar avec ces énergies fossiles et leurs conséquences sur l’environnement et la santé. Les alternatives existent et le gouvernement doit d’urgence se retirer de cet investissement et se concentrer sur le réinvestissement dans les sources d’énergies renouvelables. »

Alors que le pays est candidat à l’adhésion à l’Union européenne (UE), le gouvernement kosovar semble peu pressé de suivre ces recommandations et d’abandonner son projet de nouvelle centrale. C’est aujourd’hui du côté de l’administration Trump qu’il espère obtenir un soutien financier. Le chantier pourrait démarrer dès 2019.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende