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ReportageSivens

Au Testet, la police stimule la croissance en coupant les arbres

Lundi 1 septembre, le déboisement de la zone humide du Testet, dans le Tarn, a commencé sous haute protection policière. Mais les opposants sont plus unis que jamais pour sauver les trente-huit hectares de forêt visés par la destruction.


-  L’Isle-sur-le-Tarn, reportage

Aux abords de la forêt de Sivens, ils sont tous debout depuis huit heures du matin. L’assaut est imminent, on a vu partir le convoi de gendarmes et gardes mobiles depuis Albi. La question est simple : où attaqueront-ils ? Une info circule : ils arrivent par la D999, à l’ouest de la zone. Avec des collègues journalistes, nous traversons les trois kilomètres qui nous en séparent en nous arrêtant à chaque barrage pour changer de véhicule. Nous arrivons à l’entrée de la zone humide, près du campement de la bouillonnante, centre de la résistance.

À quelques dizaines de mètres, le pont sur le Tescou est infranchissable depuis qu’on y a installé un tracteur, une herse et bloqué l’ensemble. De l’autre côté de la barricade, un jeune opposant manie le tamaru, petit tambour à ficelle népalais, donnant le tempo.

Face à lui, trente véhicules et deux cents gendarmes, casqués et armés de lance-grenade assourdissante, lacrymogènes et de flashballs. Ils tournent avant le pot sur un petit chemin, déplacent un des tracteurs et se dirigent dans le champ suivis d’une dizaine de bûcherons.

Ces derniers sont mandatés par l’entreprise Sebso, bien que beaucoup pensent qu’ils soient des sous-traitants. Nous les suivons, autorisé par un gradé, au grand dam de son propre supérieur hiérarchique, qui nous lance un peu plus loin avec délicatesse : « J’avais pourtant demandé à ce que Reporterre ne passe pas ». Mais on passe quand même.

Les premiers coups de tronçonneuses

En quelques dizaines de minutes, les policiers se déploient dans le grand champ et escortent les bucherons à la lisière de la forêt, à l’extrémité sud de la zone. L’opposition surgit alors de toute part. Conformément au choix collectif de privilégier la non-violence, les clowns sont en première ligne pour ralentir les gendarmes. Qui n’hésitent pas à les saisir et à les jeter littéralement en l’air pour les écarter de leur passage.

Cette entrée en matière donne le ton de la journée. Les dernières interventions sont encore dans les mémoires, en particulier la violence subie par Manon, zadiste littéralement tabassée par les policiers la semaine dernière. Les lacrymos fusent peu à peu, en direction des opposants et de la rivière pourtant inoccupée. Le ciel blanchit et les opposants reculent peu à peu jusqu’à une cabane située plus loin. C’est là que la ligne de front s’installe pour toute la journée, tandis que les bûcherons entament leur sinistre besogne en surplomb. Vers 9 heures 30, les premiers arbres tombent avec ce bruit si caractéristique qui résonnera jusqu’au soir accompagné du bruit intermittent des tronçonneuses.

Arbres tranchés et opposants blessés

La tension ambiante n’empêche pas quelques facétieux de jouer un petit air de musique et les clowns toujours enthousiastes entament aussitôt une ronde sous le regard des policiers interloqués. Selon les groupes, les moyens d’actions sont divers : flatterie, insultes, jets de projectiles ou simple silence et regard éloquent. Mais devant la violence froide du projet de barrage, occupants des bouilles et zadistes d’un côté, collectif Testet et riverains de l’autre sont unis et agissent en complémentarité.

Les plus téméraires tentent de franchir les lignes pour aller protéger les arbres des tronçonneuses vrombissantes. Ils sont aussitôt arrêtés par les gendarmes de manière assez violente. D’autres, plus organisés, tentent une percée en groupe en contournant le dispositif répressif par la forêt. Mais les gendarmes les suivent et le peu de visibilité ambiante les rend nerveux et plus incontrôlables.

Nous tombons sur une personne blessée à la jambe par une grenade assourdissante. Plus loin l’équipe de secours prend en charge plusieurs dizaines de blessés dont une personne touchée par un tir tendu de flashballs au niveau de la nuque. Un nouvel exemple de l’usage excessif de cette arme qui ne doit pourtant légalement jamais être utilisée pour viser quelqu’un.

Un policier casse volontairement une fenêtre de la cabane située au milieu de ligne de front, renverse le garde-manger et condamne l’intérieur par des lacrymogènes. Un excès reconnu officiellement par un huissier comme une violation caractérisée de domicile, le lieu étant l’habitation principale de quelques opposants.

À quelques pas, Christian Conrad, naturaliste et membre de l’association Apifera assiste au triste spectacle de l’abattage et a du mal à retenir ses larmes. Un demi hectare de forêt a été détruite, déjà trop pour lui qui connaît la valeur des vieux chênes et aulnes qui peuplent ce bois ancien. Il s’éloigne. L’amertume se lit sur les visages : « c’est la mort de la nature », « incompréhensible », « un énorme gâchis » souffle-t-on tour à tour, au milieu d’une pause repas improvisée.

Nous décidons de nous éloigner et de retourner à l’autre bout de la zone. Une grue s’apprêterait à pénétrer sur la zone. Sans savoir où et quand, la rumeur enfle et déconcerte nombre d’opposants. À l’arrière, on s’organise pour faire face au déficit en sérum physiologique pour calmer les irritations des gaz lacrymogènes. Une navette est mise en place d’un bout à l’autre de la zone pour transférer des blessés. « On se croirait en état de guerre » lance un infirmier de fortune, particulièrement choqué.

Beaucoup sont ici stupéfaits de l’état de siège que subit la zone pour un projet qu’ils considèrent comme totalement inutile. Plus loin, à l’embranchement avec le hameau de Barat, ce sont des voisins, des « locaux » comme on dit, qui reviennent sur les lieux après avoir assisté au rassemblement de la veille. Des personnes âgées plutôt révoltées mais qui ne se sentent pas en état d’aller directement au devant des cordons de gardes mobiles.

Caty, du collectif Testet, nous raconte une discussion en revenant du Conseil général (voir encadré ci-dessous) avec une femme, la soixantaine, qui lui confie « avoir passé sa vie à suivre la légalité, conformiste » et pour qui « la journée d’hier a été un bouleversement, j’ai l’impression d‘être pour la première fois réveillée. Depuis, j’ai le devoir de me positionner ».

Personne ne s’avance à remettre en cause l’action des zadistes, « qui ont déjà permis de retarder les travaux », « qui sont des jeunes courageux », « qui ne sont pas violents mais qui ne se laissent pas faire ». On est loin de l’image télévisuelle qui colle à la peau des opposants. Et même concernant les cocktails Molotov artisanaux, parfois utilisés pour faire reculer les cordons policiers, Caty répond : « Plus il y aura de monde du coin et pacifiste, moins il y aura de confrontation ».

Une bataille perdue, mais pas la guerre

Cette nouvelle journée d’affrontement est un revers pour les opposants, mais leur détermination a permis pour l’heure d’empêcher une destruction massive de la zone, qui s’étend sur plus de trente huit hectares.

En dehors de la présence physique sur le terrain, les opposants ont d’autres atouts : la grève de la faim se poursuit et multiplie les soutiens et les apparitions médiatiques, un recours juridique doit être examiné d’ici deux semaines par le tribunal administratif de Toulouse.

Et puis, élément nouveau, c’est cette fois l’Inspection du Travail qui a été saisie en urgence devant les conditions d’exercice des employés de l’entreprise de déboisement. En effet, casqués et équipés de lunettes de protection, ces salariés n’avaient pourtant rien pour se protéger des grenades lacrymogènes qui fusèrent toute la journée et qui les mettent en danger. Si l’employeur se retrouvait ainsi en faute, le chantier pourrait être suspendu.

À 17 heures, les tronçonneuses s’arrêtent, les policiers libèrent la zone. La journée se termine avec une incompréhension généralisée devant l’absence totale de dialogue avec le Conseil Général, la préfecture et l’Etat. Sept personnes ont été arrêtées au fil des assauts policiers, trois d’entre elles seront relâchées dans la soirée.

Tout le monde se prépare maintenant pour le lendemain, les uns dans les arbres, les autres pour la logistique, la cuisine pour tout le monde. Une audience se tiendra dès 10 heures à Albi pour évaluer la légalité de la réoccupation de la Bouillonnante, un nouvel épisode du feuilleton juridique.

Cette journée a montré une fois de plus les liens qui existent entre zadistes, habitants locaux, militants écologistes, agriculteurs engagés et opposants de toute sorte. Le temps est compté, l’objectif est à tout prix d’empêcher la construction de la digue principale. Mais la mobilisation s’amplifie et commence à dépasser les réseaux militants traditionnels. Tous et toutes sont fins prêts à agir ensemble pour faire barrage au barrage.


PENDANT CE TEMPS A ALBI

Dès l’entrée des bucherons et des gendarmes sur la zone, le collectif Testet décide de lancer un appel à toutes les personnes à l’extérieur de la zone pour se retrouver dans l’après midi à Albi devant les portes du Conseil Général. Près de soixante-dix personnes se rassemblent ainsi en quelques heures, preuve de l’appui local croissant à la cause des opposants au barrage.

Assistent également au rassemblement l’ex-vice président du Parlement Européen et député européen EELV Gérard Onesta, des représentants de la Confédération Paysanne et toujours Roland Foissac, cet élu communiste du conseil général qui réclame sans relâche l’ouverture de discussions apaisées sur le projet.

Au Conseil Général, personne n’est disponible. À force de prises de paroles et de slogans, la directrice de cabinet du président finit par accepter de recevoir une délégation. Mais de dialogue, il n’y a pas.

Françoise, militante écologiste, nous raconte ainsi : « Ils nous ont parlé de la tenue des occupants de la ZAD. » Mais sur l’intervention policière, rien : « Pour eux, elle est entièrement légale, les recours juridiques n’étant pas suspensifs. » Elle résume : « Vous voyez ce mur ? Et bien la même chose, nous sommes face à un mur. Nous constatons qu’ils durcissent encore plus leur discours. »

Une quarantaine de manifestants se décident alors à aller demander des comptes à la Préfecture du Tarn. Mais là encore, porte close, aucun dialogue, aucun débat. Juste des interpellations au micro du tout nouveau préfet, qui prenant ses fonctions dans le département est déjà sourd aux revendications. Pas de quoi entamer l’énergie de Françoise qui espère que « petit à petit la mobilisation fasse tâche d’huile ».

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