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ÉditoGrands projets inutiles

Audrey Pulvar, il est temps d’être vraiment écologiste

Audrey Pulvar, ancienne présidente de la Fondation pour la nature et l’Homme, adjointe à la maire de Paris pour l’agriculture, tête de liste socialiste aux régionales en Île-de-France, doit prendre une position claire contre l’artificialisation des sols et contre la gare du triangle de Gonesse.

C’est un drôle de truc, la politique. Un jour, au long d’une brillante carrière, la lumière de l’écologie s’abat sur vous. Vous devenez écologiste. Et comme vous n’êtes pas n’importe qui, zou ! vous voilà présidente de la Fondation pour la nature et l’Homme, fondée par Nicolas Hulot. Vous êtes convaincue ! « Je vous confirme que je suis antinucléaire, antiglyphosate, anti-OGM, anti-exonération du kérosène, anti-augmentation du réseau routier, anti-artificialisation des sols, anti-éradication de la biodive », twittez-vous, et qu’on se le tienne pour dit. M. Hulot quitte son ministère, vous lui rendez, loyale, sa place.

En deux ans, vous êtes devenue très compétente sur les différents thèmes environnementaux. Par exemple, l’artificialisation des sols : vous faites l’introduction d’un colloque sur l’objectif « zéro artificialisation » à Nantes en juin 2019. Vous êtes d’ailleurs une des vedettes de l’agence de communication Premium, qui propose vos interventions sur l’artificialisation des sols ou l’écologie. Vos positions écologistes vous ont fait remarquer, et voilà qu’Anne Hidalgo vous propose de la rejoindre sur sa liste pour les municipales. Vous êtes élue en 2020. Au regard de vos convictions, la maire vous nomme adjointe à la maire de Paris chargée de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts. Vous êtes si brillante que l’on vous retrouve en Île-de-France aux élections régionales à la tête de la liste du parti socialiste. L’autosuffisance alimentaire de la région sera une de vos priorités, comme vous l’expliquez en février 2021 à La Tribune : « Pour atteindre les nouveaux objectifs fixés par la maire de Paris, il nous faudra donc développer une offre de proximité beaucoup plus importante que celle dont nous disposons dans la région Île-de-France, qui sera notre principal bassin de fournisseurs. »

Le lobby du béton ne lâche jamais 

Il ne fait donc pas de doute que vous allez défendre bec et ongles les terres agricoles encore préservées aux portes de Paris, et lutter contre l’artificialisation qui menace encore partout. Sur le triangle de Gonesse, notamment. Depuis une dizaine d’années, des militantes et militants tenaces et courageux se battent contre l’urbanisation de ces 700 hectares de terre limoneuse, très fertile, situés juste au sud de l’aéroport de Roissy. Ils ont réussi à faire annuler un projet absurde de mégacomplexe commercial et de loisir, et proposent un magnifique projet alternatif d’agriculture urbaine et sociale, dit Carma. Mais le lobby du béton ne lâche jamais. Le projet prévoyait une gare au beau milieu du triangle, pour desservir le fameux complexe commercial. Il n’y a plus de complexe mais… on maintient le projet de gare. Au milieu des champs ? Non, elle sera de facto le noyau d’un projet d’urbanisation que ses promoteurs ne cachent pas. Au composteur, les rêveries d’écolos et d’agriculture locale !

La bataille reprend, une Zad occupe un bout du territoire. Allez-vous prendre parti, vous qui pourfendez dans Le Point la loi Climat — « une vaste blague » — notamment parce qu’elle manque « d’ambition ! ». Le projet de loi, expliquez-vous, « promet une division par deux de l’artificialisation des sols, mais à aucun moment il n’est indiqué que cette mesure doit être inscrite dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalités des territoires, à aucun moment il n’est dit qu’elle doive être imposée dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) ; qui sont des documents contraignants ». Comment douter une seconde qu’une critique aussi vigoureuse de la mollesse écologique du gouvernement Macron va prendre fait et cause pour les opposants à la gare du triangle de Gonesse ?

« Pour la gare ». « Elle l’a dit très explicitement » 

Eh bien non ! Le 11 février, lors d’une réunion d’Île-de-France Mobilités, un important organisme de gestion des transports, la question de l’évacuation de la Zad et de la réalisation de la gare viennent sur le tapis. Et là, indique la lettre d’informations Mobilettre dans son édition du 12 février, vous affirmez que vous êtes « pour la gare ». Quoi ? Reporterre vous sollicite plusieurs fois pour savoir si vous infirmez ce propos. Sans réponse. Nous interrogeons par ailleurs un élu ayant participé à cette réunion, qui nous confirme votre propos « pour la gare ». « Elle l’a dit très explicitement », précise-t-il, « avec mon collaborateur, on était étonné : elle aurait juste pu dire, “je m’abstiens” ».

Pardonnez-moi d’avoir été long. Mais l’affaire mérite attention.

D’abord, parce qu’il faut être cohérent. Ce qui dégoûte les gens de la politique, c’est l’incapacité de certains élus à respecter leurs engagements. Si l’on est contre l’artificialisation et pour l’agriculture de proximité, il y a un moment où cela doit se traduire dans les actes. L’acte, pour vous, maintenant, il est là : affirmer que la gare du triangle de Gonesse ne doit pas se faire, parce qu’elle entrainerait une nouvelle urbanisation.

Ensuite, parce que l’affaire du triangle de Gonesse n’est pas anecdotique. De la même manière que Notre-Dame-des-Landes en son temps, elle représente un tournant. Soit on laisse la vague d’artificialisation se poursuivre sous les mêmes éternels prétextes toujours démentis — l’emploi, le développement —, soit on prend au sérieux la menace climatique, la biodiversité, l’autonomie alimentaire, et on dit : stop.

Enfin, nous sommes à un moment périlleux où l’extrême droite et la droite autoritaire rivalisent pour imposer au pays leur vision xénophobe. Face à cela, la seule réponse est celle qui allie écologie et justice sociale. Elle suppose une alliance des forces écologistes et de gauche. Sur le dossier important du triangle de Gonesse, Europe Écologie-Les Verts avec Julien Bayou et la France insoumise avec Clémentine Autain ont pris position nette : contre la gare, contre l’urbanisation, pour l’alternative agricole. Il faut que le Parti socialiste, que vous représentez ici, rejoigne cette position. Ce sera bien pour l’écologie, bien pour la politique, bien pour l’union des forces émancipatrices.

Vous m’avez répondu lundi 1 mars, Audrey Pulvar, par texto, que « vous reviendrez » vers moi « dans quelques jours » au sujet de la gare du triangle de Gonesse. Je l’attends avec espoir, et Reporterre sera ravi d’annoncer que vous prenez la voie de l’écologie et du progrès — « contre la gare ».

Unie, cette équipe pourrait gagner : de gauche à droite, Clémentine Autain, Julien Bayou, Éric Piolle, Audrey Pulvar et Mathieu Orphelin. Ici en mars 2020, à Grenoble.

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