Avec les biens communs, les citoyens reprennent la main

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Les « communs » sont l’air, l’eau, les sols, les forêts, la Terre, les connaissances, la culture... Des espaces ouverts à tous aujourd’hui menacés par l’extension des domaines du marché et de l’État. La féconde réflexion qu’ils nourrissent dote les citoyens de nouveaux outils pour reprendre le pouvoir. Reporterre en fait le thème de sa Rencontre, ce mardi soir, à Paris.
Qui a déjà entendu parler des « biens communs » ? Pour certains observateurs, ces derniers seraient de « retour » et constitueraient « un espoir fort de transformation sociale ». Pour d’autres, il ne s’agirait, ni plus ni moins, que d’une « renaissance » : les biens communs apporteraient « une réponse aux multiples crises, économique, sociales et environnementale, que connaît notre société actuelle ». Pour d’autres penseurs encore, ils constitueraient « le terme central de l’alternative politique au néolibéralisme pour le XXIe siècle ».
Mais qu’est-ce qu’un bien commun – appelé souvent, plus simplement, « commun » (de l’anglais common) ? Pour la journaliste Alice Le Roy, « c’est l’air, c’est l’eau, ce sont les sols, ce sont les poissons des océans. Ils sont importants pour la planète mais on les surexploite parce qu’on cherche, les uns et les autres, à maximiser notre intérêt individuel aux dépens de l’intérêt collectif ». Plus généralement, « c’est un ensemble de ressources gérées par une communauté qui se donne ses propres règles », fait savoir Frédéric Sultan, qui anime le Réseau francophone des biens communs.
Très « pratiqués » dans l’Europe du Moyen-Âge
En ce début de XXIe siècle, les communs – pris dans leur acception la plus large – prennent des formes multiples et variées, qu’il s’agisse de ressources naturelles (l’eau, l’air, les forêts, les semences, les poissons, la Terre, le climat, etc.) ou de ressources culturelles (les logiciels libres, les connaissances, les modes de vie traditionnels, la culture, l’information, etc.).
Concept redécouvert en 2009, à la faveur de l’attribution du prix Nobel d’économie à la politologue étasunienne Elinor Ostrom, les biens communs trouveraient leur origine historique – sous la forme d’un droit coutumier – au temps de l’Empire romain, voire de l’Égypte antique, selon le chercheur indépendant et militant étasunien David Bollier.

Longtemps ignorés, ils sont pourtant très « pratiqués » dans l’Europe du Moyen-Âge, et notamment en Angleterre, à partir des Xe-XIe siècles. À cet époque, il s’agissait, pour les commoners, de participer au bon usage des terres (common lands) et des forêts du royaume. Or, aux XVIIe-XVIIIe siècles, avec la révolution industrielle et la montée du capitalisme, s’est imposé le mouvement dit des « enclosures » (ou inclosure en anglais), qui a remis en cause le principe même du commun en privatisant des espaces jusqu’alors ouverts à tous. C’est l’apparition récente de « nouvelles enclosures », par les pouvoirs publics mais surtout par les entreprises privées (la privatisation de l’eau, l’accaparement des terres, les brevets, les logiciels propriétaires, etc.) qui redonne aujourd’hui au seconde vie aux communs.
« Un choix politique, une lutte »
Ni biens privés ni biens publics, les biens communs dessinent une troisième voie entre le marché et l’État. Appartenant à tous – donc à personne –, ils sont considérés comme inappropriables. Et, pour certains « théoriciens » comme pour certains « praticiens », tout l’enjeu à l’heure actuelle consiste précisément à « instituer l’inappropriable », c’est-à-dire à mettre en place une « politique des communs », comme l’appellent de leurs vœux, par exemple, Christian Laval et Pierre Dardot. Pour le sociologue et le philosophe, cet inappropriable « résulte d’un choix politique, d’une lutte ». « Une société, au fond, doit décider de ce qu’elle met en commun. Et c’est cette décision qui détermine la dimension inappropriable d’un bien, d’un espace, du résultat d’une activité », écrivent-ils.
Pour Philippe Cacciabue, fondateur et directeur de la Foncière Terre de liens, la théorie des communs représente « un nouveau paradigme qui répond à plein de questions que l’on se pose sur l’absence de l’État, la force excessive du marché, la place du citoyen, de la société civile, etc. » [1] Silvère Mercier, cofondateur du collectif SavoirsCom1, y voit [« une brèche, un nouvel imaginaire qui s’ouvre et qui permet de réinterroger notre rapport au politique, au droit et à l’économie ».
Cela ne va pas de soi
Toutefois, la mise en œuvre d’une « politique des communs » ne voit pas de soi. Certains obstacles doivent encore être surmontés et des questions restent toujours sans réponse. Ainsi, les blocages psychologiques individuels restent encore nombreux. Le chercheur indépendant Pablo Servigne en dénombre pas moins de six, sans oublier « l’insondable complexité des comportements humains comme des institutions ». « La seule manière de démêler les incompréhensions est d’aller voir au plus profond de nos croyances et de nos imaginaires politiques », conseille-t-il.
En outre, le marché et l’État n’ont-ils réellement aucun rôle à jouer – même de façon transitoire – dans l’avènement des « nouveaux communs » ? Que penser d’initiatives comme Uber ou Airbnb ? Comment éviter absolument que ne se produise une « tragédie des biens communs » (la surexploitation d’une ressource commune autogérée selon des règles collectives) ? etc.
Autant de questions – et d’autres – qui seront abordées lors de la Rencontre de Reporterre consacrée aux biens communs – ce mardi 10 novembre, à 19h30 au Lieu-Dit, à Paris, 6 rue Sorbier, dans le 20e arrondissement.
Reporterre organise mardi 10 novembre à Paris une rencontre autour des biens communs. Vous êtes bienvenu(e)s ! Entrée libre.
