Barricades à Rennes : « Si on bloque pas, on n’arrivera à rien »

À Rennes, le matin du 20 mars 2023. - © Quentin Vernault / Reporterre
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« Opération ville morte » : à Rennes, des centaines de personnes ont installé des barricades et bloqué le périphérique à 6 heures du matin contre la réforme des retraites.
Rennes (Ille-et-Vilaine), reportage
« Si on bloque pas, on n’arrivera à rien. C’est notre dernier recours ! » s’exclame Henri [*], un infirmier psychiatrique syndiqué à SUD Santé Sociaux. Il est à peine 6 h, et le quarantenaire est l’un des premiers arrivés au lieu de rendez-vous.
Dans quelques heures, il devra prendre son poste à l’hôpital Guillaume Régnier, mais pour l’instant, il est déterminé à participer au blocage, le deuxième de sa vie. « Possible qu’on arrive en retard au travail », lâche-t-il en jetant un coup d’œil à sa collègue, qui rétorque : « Moi, j’ai prévenu personne que j’étais ici, sauf mon mari quand même, histoire qu’il sache pourquoi je quitte le lit à 4 h du matin… »

Le petit groupe est soudain rejoint par une flopée de jeunes qui sortent de la station de métro La Poterie. La plupart sont encagoulés, d’autres portent des masques et des lunettes de piscine pour se protéger des gaz lacrymogènes. Malgré tout leur attirail, on reconnaît les visages des membres de la Maison du Peuple (MDP) : une organisation autonome de lutte contre la réforme des retraites.
Multiples blocages pour rocade à l’arrêt
C’est elle qui coordonne les différents blocages à Rennes ce lundi matin. Objectif : stopper la circulation sur la rocade rennaise, pour empêcher les entrées et les livraisons. À la Poterie, environ 200 personnes ont répondu à l’appel de la MDP : des étudiants, mais aussi des travailleurs et travailleuses, et des syndicats, comme la CFDT cheminots.

Vers 6 h 15, les opposants se scindent en plusieurs groupes pour bloquer chacune des entrées du rond-point à l’aide de barricades faites de poubelles, de branchages et de palettes. En moins de cinq minutes, les voitures et les camions s’entassent, et bientôt d’immenses files lumineuses s’étirent sur plusieurs kilomètres autour du giratoire.
Pour mettre un peu d’ambiance, une DJ au look punk balance du son, et des torches rouges éclairent la nuit. Il y a même une distribution de café et de pains au chocolat : « Ça réchauffe », sourit Anouk, un gobelet à la main.

Étudiante en troisième année de médecine, cette femme de vingt ans a rejoint la lutte il y a peu : « J’ai fait mes premières manifs en janvier, au début du mouvement contre la réforme des retraites. » Depuis, elle participe toutes les semaines aux manifestations. « J’ai eu le déclic quand j’ai compris tout ce que Macron est en train de démanteler : d’abord les services publics et maintenant nos retraites. »
« C’est plus important d’avoir des droits que des bons résultats ! »
Future médecin urgentiste, elle se sent particulièrement concernée par « la casse de notre système social ». Pour ces raisons, elle préfère passer du temps à militer plutôt qu’à réviser parce que « c’est plus important d’avoir des droits que des bons résultats ! »
Anouk garde toutefois le souvenir cuisant d’une interpellation musclée lors de la dernière manifestation à laquelle elle a participé. Aussi, elle se fige en voyant les premiers gyrophares bleus arriver : « Oui, ça me fait peur, mais j’essaye de me raisonner, sinon, on arrête de lutter. »

Les camions bleu marine de la gendarmerie se dirigent vers la rocade, d’où s’élèvent de hauts panaches de fumée noire. Des barricades en feu bloquent complètement la circulation.
Vu du pont, au-dessus du périphérique, l’effet est impressionnant : « Pour une première fois, c’est réussi ! » se félicite Benoît [*], 36 ans, qui n’avait jamais participé à une manifestation, ni à aucun blocage avant ça.

Ce matin pourtant, le jeune commercial aux cheveux longs était l’un des premiers à enflammer les barricades : « Le 49.3, c’était vraiment la goutte de trop. Maintenant, les pancartes, ça ne suffit plus, on doit agir, comme l’ont fait les générations d’avant. » Mais il a à peine le temps de finir sa phrase que les gendarmes chargent, obligeant les bloqueurs à reculer jusqu’au rond-point.

« On reste ensemble ! » hurlent-ils, en se faufilant entre les voitures à l’arrêt. Repoussés à coups de lacrymogènes, les opposants sont forcés d’abandonner le rond-point, laissant derrière eux des barricades en feu. Il est 7 h 30, et plusieurs autres points de blocage tiennent encore autour de la ville : « Et la rocade elle est à qui ? Elle est à nous ! » scandent les militants, foulant le périphérique rennais.
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