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Nature

Bâtiments, routes, plastique… Ce que l’humain fabrique pèse désormais plus que tous les êtres vivants

Une étude scientifique indique que la masse anthropique — le poids de ce qui est fabriqué par les humains — dépasse celle des êtres vivants. Premier responsable : le secteur de la construction. Le poids des bâtiments et des infrastructures dépasse même celui des arbres. Et le plastique ? Il pèse deux fois plus que l’ensemble des animaux.

Visualisez deux courbes. L’une est exponentielle, elle représente la masse de ce qui est fabriqué par les humains. L’autre est quasi plate, elle représente la masse des êtres vivants. Elles finissent par se croiser. L’intersection est, justement, en 2020.

La masse de ce qui est fabriqué par les humains dépasse désormais celle des êtres vivants, démontre une étude de scientifiques de l’Institut Weizmann pour la science, publiée ce mercredi 9 décembre dans la revue Nature. En anglais, elle est intitulée Global human-made mass exceeds all living biomass [1]. « L’humanité est devenue une force dominante dans le façonnage de la surface de la Terre », constatent les auteurs. Des résultats qui vont totalement à l’encontre de « l’apparente infinité du monde naturel ».

Les scientifiques font partir leur évaluation de 1900. Ils incluent dans la masse des êtres vivants celle des humains et de leur bétail, en plus, bien sûr, de celle des plantes, bactéries, champignons, animaux, etc. Le fait d’y additionner humains et bétail ne change pas grand-chose au résultat, ils ne représentant qu’une infime partie de la biomasse. « Une récente évaluation de la masse restante des êtres vivants […] a montré que, concernant le poids, les plantes en constituaient la grande majorité (90 %) », indiquent les chercheurs. Ils ont pu calculer que depuis le début du XXe siècle, le poids de la biomasse n’avait pas vraiment changé, et que globalement elle pesait 1,1 tératonne — une tératonne, c’est mille milliards de tonnes.

La courbe de la biomasse, stable, rencontre l’exponentielle de la masse des objets faits par l’Homme en 2020

La masse d’origine anthropique, elle, ne constituait en 1900 que 3 % de cette biomasse, explique l’article. Depuis, elle double tous les vingt ans pour aujourd’hui atteindre, donc, les 100 %, le même poids que la biomasse, 120 ans plus tard.

Le secteur de la construction est le principal responsable de l’augmentation de la masse anthropique

Il est particulièrement intéressant de se plonger dans le détail de ce qui constitue cette masse anthropique, définie comme l’ensemble des « objets solides inanimés fabriqués par l’humain ». Les scientifiques montrent que le béton constitue aujourd’hui plus de la moitié du poids de ce qui est façonné par les humains. Les agrégats (graviers, sables), servant de remblais aux routes, bâtiments et autres infrastructures est la deuxième catégorie en poids. Puis viennent les briques et l’asphalte des routes.

Le secteur de la construction — qui exploite les roches et le sable — est donc, très clairement, le principal responsable de l’augmentation de la masse anthropique. « L’humanité est en train de convertir les dépôts géologiques de surface en constructions socialement utiles, mais avec de larges conséquences pour les habitats naturels, la biodiversité et divers cycles climatiques et biogéochimiques », souligne l’article.

La masse des bâtiments et des infrastructures dépasse d’ailleurs celle des arbres et arbustes poussant sur la planète, d’après les travaux des chercheurs. Le plastique, lui, représente peu face au poids des infrastructures, mais les scientifiques calculent tout de même qu’il pèse au total huit gigatonnes (une gigatonne, c’est un milliard de tonnes), soit deux fois plus que l’ensemble des animaux vivants (quatre gigatonnes).

Comparaison des masses du plastique face aux animaux et des arbres et arbustes face aux bâtiments et infrastructures

« L’évolution de la masse anthropique est liée à des événements mondiaux, notent par ailleurs les auteurs. Comme les guerres mondiales et les crises économiques. » Les courbes montrent effectivement que la production d’objets manufacturés peut augmenter moins vite dans ces périodes, mais repart ensuite de plus belle, notamment juste après la Seconde Guerre mondiale, « une période appelée la “Grande accélération”. […] Si la tendance se confirme, la masse anthropique, déchets inclus, devrait excéder les trois tératonnes en 2040. » Soit presque trois fois le poids actuel des êtres vivants.

Le plastique pèse deux fois plus que l’ensemble des animaux.

D’autres années que l’année 2020 peuvent être retenues comme marquant le moment où la masse d’êtres vivants est devenue inférieure à celle des fabrications humaines. Selon les auteurs, si l’on ajoute au calcul de la masse anthropique les déchets, la date se situe en 2013. Si l’on inclut les terres de terrassement, le dragage et les déblais en surplus de la production de métaux et de minéraux, la rencontre a lieu en… 1975. Si, à l’inverse, on alourdit la biomasse en la calculant « humide », c’est-à-dire en incluant l’eau contenue dans les êtres vivants, le point de croisement se situe quelques années plus loin dans le futur, en 2037. Les auteurs précisent que leurs calculs aboutissent à ces dates avec des incertitudes, entre cinq et dix ans selon les dates.

Les courbes et dates changent si l’on calcule la biomasse « sèche » ou « humide » et si l’on ajoute à la masse anthropique les déchets

Certes, comparer la masse des êtres vivants à celle de ce qui est produit par l’humain revient à « comparer des oranges à des téléphones portables », notent les scientifiques. Mais en comparant les deux, « nous présentons une dimension de plus à l’évaluation en cours de la domination humaine sur Terre et nous apportons une caractérisation visuelle et symbolique de l’Anthropocène. »

« Tous les humains ne sont pas responsables à égalité de cet impact »

« C’est une comparaison très habile, parlante pour le grand public », dit à Reporterre Jean-Baptiste Jouffray, chercheur spécialiste du développement durable au Stockholm Resilience Center. « La même équipe avait montré en 2018 que les animaux d’élevage représentaient une biomasse dix fois plus importante que celle des oiseaux et mammifères sauvages réunis. »

Mais si ce concept d’Anthropocène montre le poids, réel et symbolique, des humains sur la planète, il ne montre pas que « tous les humains ne sont pas responsables à égalité de ce poids. Une visualisation géographique d’où se répartit cette masse anthropique serait intéressante », souligne Jean-Baptiste Jouffray. Certains préfèrent ainsi parler de Capitalocène, afin de souligner que l’emprise grandissante de l’espèce humaine sur Terre a commencé au moment et là où se développait le capitalisme.

Il appelle également à tirer les leçons de ces résultats scientifiques : « La question c’est maintenant que l’on sait cela, qu’est-ce qu’on fait ? Comment limiter les conséquences environnementales et sociales de cette masse anthropique dont la croissance semble exponentielle ? Si on assume que l’humain a cette capacité d’influence, on constate que pour l’instant c’est pour le pire, mais cela pourrait être pour le mieux. »

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