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Habitat et urbanisme

Bercy remplace ses toits végétalisés par… du faux gazon

Du gazon artificiel a été installé à la place de certaines toitures végétalisées des bureaux du ministère des Finances à Noisy-le-Grand.

La végétalisation des toits permet de lutter contre les îlots de chaleur. Pourtant, à Noisy-le-Grand, le ministère des Finances a remplacé la pelouse naturelle par du gazon en plastique. Une décision qui choque.

Au 10, rue du centre à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis, un grand bâtiment abrite des bureaux du ministère des Finances. Conçu en 2006 par l’architecte Paul Chemetov, il possède plusieurs terrasses et toits végétalisés. Une spécificité qui lui a valu d’être, pendant longtemps, présenté comme un modèle dans diverses brochures institutionnelles plébiscitant la végétalisation des toits.

Mais au printemps dernier, fini les herbes sauvages, fleurs et insectes pollinisateurs. Alain [*], qui travaille dans les locaux, raconte qu’« une entreprise a enlevé la terre, mis une espèce de gravier en sous-couche et par dessus un magnifique rouleau de gazon artificiel » sur deux de ces espaces. Tout ceci sans concertation, assure ce fonctionnaire à la sensibilité écologique. Il a souhaité témoigner auprès de Reporterre tant cette décision lui semble anachronique : « Au moment où tout le monde parle de gestion différenciée, de réserves de biodiversité, de végétation spontanée, de zones naturelles, Bercy se croit à l’époque du formica et du plastique tous azimuts. »

Des terrasses créant des îlots de fraîcheur

Ces espaces — visités par les merles et les pies — étaient, selon lui, de « véritables puits à carbone à côté de l’autoroute A4 » et permettaient de « réguler la température et de stocker l’eau ». De nombreuses études confirment ces vertus. Si bien que depuis le 1er juillet 2023, toute nouvelle construction de plus de 500 m² d’emprise au sol à usage commercial, industriel ou artisanal doit intégrer soit des panneaux solaires, soit des toitures ou des ombrières végétalisées sur au moins 30 % de sa surface. Même chose pour les nouveaux locaux à usage de bureaux de plus 1 000 m2.

Selon l’épaisseur du substrat, cette végétalisation prend diverses formes. Quand la couche ne dépasse pas les 15 cm, il s’agit d’une plantation extensive, avec des plantes couvre-sol rustiques nécessitant peu d’entretien (sedums, graminées...) ; entre 15 et 30 cm environ, la plantation est dite semi-intensive (fleurs, petits arbustes, plantes grimpantes) ; on parle de végétalisation intensive quand l’épaisseur de terre permet de planter des arbres plus importants, comme dans un vrai jardin-terrasse… À Noisy-le-Grand, les terrasses en question étaient plantées d’un mélange de végétation extensive et semi-intensive. « L’une des premières fonctions de la végétalisation est de protéger l’étanchéité du toit », explique Pierre Georgel, l’architecte-paysagiste concepteur de ces terrasses de Noisy-le-Grand. Elle permettrait de multiplier sa durée de vie par trois, « de 15-20 ans à 60 ans », assure-t-il.

La pelouse synthétique devra être nettoyée régulièrement. Pixabay/CC/MabelAmber

Mais l’intérêt de telles installations est multiple. Dans un article de 2007, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) expliquait déjà que les toitures végétalisées extensives « améliorent le confort thermique des villes, car elles recréent des zones d’évapotranspiration et d’humidification de l’air dans les villes qui sont devenues des îlots de chaleur, dont la température ne cesse d’augmenter ». Elles ralentissent et limitent aussi le rejet des eaux d’orage dans les dispositifs d’évacuation, donc les risques d’inondation. « Elle peut absorber des quantités d’eau très importantes, note le CSTB. Certains systèmes de 6 à 10 cm peuvent retenir en moyenne jusqu’à 50 % des précipitations annuelles qui restent alors sur le toit, rafraîchissant l’habitat. »

« Cet été, je mettrai la clim au lieu d’ouvrir ma fenêtre... Écolo, n’est-ce pas ? »

 
Au-delà de la suppression de la végétation, Alain dénonce l’odeur nauséabonde de plastique qui émane du faux gazon et flotterait jusque dans son bureau situé à 1,50 m d’une terrasse. Surtout quand il fait chaud. « Cet été, je mettrai la clim au lieu d’ouvrir ma fenêtre... Écolo, n’est-ce pas ? En plus, ce revêtement brille au soleil et éblouit. » 

Certes, la pelouse en plastique n’a été installée que sur une partie de l’ensemble des espaces végétalisés du bâtiment de 35 000 m2, mais les fenêtres de nombreux bureaux donnent directement sur cette surface synthétique. Marc Mazuc, représentant syndical de Solidaires Finances publiques, confirme à Reporterre qu’il a été alerté par des agents, gênés par cette odeur : « Nous allons mener l’enquête, notamment lors des périodes de fortes chaleurs, pour voir dans quelle mesure cette odeur pose un désagrément et si cela présente un danger sanitaire pour les agents. »

Autre gros point noir avec la pelouse artificielle : au fil du temps et de l’usure, comme tous les objets en plastique, elle va perdre des microplastiques, qui contamineront encore un peu plus notre air, notre eau et nos organismes.

« Mauvaises herbes » et « aspect désordonné »

Selon des agents, l’une des raisons de l’installation d’un gazon artificiel serait d’ordre esthétique. L’espace était non entretenu, couvert de « mauvaises herbes », ce qui lui donnait un aspect jugé « désordonné ». Interrogé par Reporterre sur le pourquoi de cette décision, le ministère de l’Économie et des Finances explique en effet que la zone n’était pas entretenue auparavant et que l’objectif était de « pouvoir proposer aux agents de Noisy un nouvel espace de détente en extérieur » tout au long de l’année.

Toutefois, le ministère reconnaît que l’installation d’un gazon synthétique « n’est pas pleinement exemplaire sur le plan écologique », mais qu’elle est apparue comme la solution la plus adaptée, à ce stade, « pour résister à l’usure générée par les pas et faciliter l’entretien tout en économisant l’eau dans un contexte de sobriété hydrique ». Il précise que la surface aménagée représente un tiers du toit et que les deux autres tiers resteront non-entretenus « de manière à maintenir la majorité de la flore qui s’était développée de façon naturelle ».

Feuilles mortes apportées par le vent, fientes d’oiseaux et autres détritus... « Cette fausse pelouse devra être nettoyée régulièrement », anticipe Alain, qui doute que l’entretien soit plus facile. Pierre Georgel, l’architecte-paysagiste, estime pour sa part que ces terrasses végétalisées demandaient peu d’interventions : « Deux passages par an suffisent pour couper les herbes hautes, nettoyer les descentes des eaux pluviales, replanter les quelques plantes qui manquent, supprimer les adventices telles que les pousses de peupliers, par exemple. » Quant à l’arrosage, les deux espaces en question n’étaient pas équipés de système d’irrigation. Les plantes avaient été choisies pour résister à la chaleur, comme la lavande, les sedums ou les graminées.

Plus de pelouse naturelle, mais un mini-potager hors-sol

Une autre justification, plus surprenante, est avancée au sein du ministère : la volonté d’installer un… potager. Depuis mars, l’une des terrasses recouvertes de plastique accueille, en effet, un mini-potager hors-sol accessible à tous. Ce projet a été réalisé par la société Peas&Love, prestataire spécialisé dans les potagers urbains, dans le cadre de la démarche #BercyVert. « Ce nouveau sanctuaire végétal, dédié aux agents du site, se fera bientôt le théâtre de nombreuses initiations à l’agriculture urbaine tout au long de la saison », se réjouit Peas&Love.

Onze parcelles potagères ont été installées en mars dernier au ministère des Finances, à Noisy-le-Grand. Peas&Love/Capture d’écran

Sur son site, Bercy présente l’inauguration de ce nouvel espace aménagé qui « vient verdir un passage entre deux bâtiments ». Il titre son article : « Du rêve à la réalité ». Pour Alain et d’autres, on est en effet passé du rêve des herbes folles à la dure réalité du plastique.

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