Black Friday : « Nos vêtements sont toxiques »

- Pexels/CC/Rodnae Productions
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Pollutions QuotidienSeconde main, troc ou réparation sont autant de façons d’éviter les vêtements de fast fashion, selon l’autrice et activiste Catherine Dauriac. Des gestes nécessaires pour la planète et notre santé.
Activiste pour le climat, Catherine Dauriac est autrice du livre Fashion dans la collection « Fake or Not » (éd. Tana), qui dénonce les conséquences environnementales de l’industrie du textile. Elle est aussi présidente et coordinatrice de l’ONG Fashion Revolution France, qui milite pour un changement positif mais radical dans l’industrie de la mode, et codirige la revue Hummade, dédiée à la mode responsable et engagée.
Reporterre — Dans « Fashion », vous soutenez que l’industrie du textile fait partie des plus polluantes du monde. Cela représente quelle quantité de déchets ?
Catherine Dauriac — Chaque jour, 224 000 tonnes de déchets textiles sont détruites dans le monde. D’abord, il y a des déchets préconsommation, notamment les morceaux de tissus non utilisés au moment de la coupe du vêtement. Aujourd’hui, il existe des processus d’écoconception qui utilisent des logiciels 3D permettant de réduire ces chutes de tissus. Mais il y a aussi les déchets post-consommation, lorsque le vêtement est jeté ou mis au recyclage : chaque année, 4 millions de tonnes de vêtements sont jetées en Europe. Malheureusement, quand on dépose un vêtement dans une benne de tri, on n’est jamais sûr qu’il sera recyclé. Le mieux, c’est évidemment quand le vêtement peut-être revendu et réutilisé en l’état. Il doit être de bonne qualité, donc en réalité, seul 1 % de ces vêtements auront une seconde vie.
Pour les autres vêtements qui ne seront pas réutilisés, ils sont triés par matière et par couleur dans les centres de tri. Les pulls en laine ou en cachemire peuvent être détricotés : on peut refaire du fil, pareil pour le coton. Mais aujourd’hui, 65 % des matières utilisées dans l’industrie du textile sont issues du pétrole, comme le polyester. On pourrait croire que le polyester se recycle facilement puisqu’il suffit de le faire fondre pour refaire du fil avec, mais le problème, c’est qu’il est mélangé à d’autres matières. Près de 80 % des vêtements sont en polymatières : par exemple, du polyester avec de l’acrylique, ou avec du polycoton (polyester coton). Cela est très difficile à recycler, voire quasiment impossible.
Enfin, existent aussi les déchets produits lors de l’utilisation du lavage des vêtements : tous les jours, 1 400 tonnes de microparticules de plastique sont rejetées dans les océans à cause du lavage des matières synthétiques. Ces particules de plastique se retrouvent aussi dans les cours d’eau et dans les poissons, qui deviennent impropres à la consommation.

Cette production de déchets est liée à une augmentation de la consommation de vêtements. Pourtant, nous ne portons qu’un tiers des vêtements que nous achetons : comment expliquer cette addiction à la fast fashion ?
Cela remonte aux vingt dernières années. Il y a eu un emballement avec des multinationales comme Zara ou Primark, qui ont des modèles économiques basés sur la surproduction. Ils arrivent à faire baisser les prix en pratiquant des salaires très bas au niveau de la confection : les ouvriers textiles, des femmes pour 80 %, ne gagnent pas un salaire permettant de subvenir à leurs besoins. Ces marques ont aussi misé sur l’incitation à surconsommer via un marketing à outrance qui repose sur un panel de biais cognitifs. Par exemple, aujourd’hui de nouvelles collections arrivent toutes les semaines dans les rayons des magasins, alors qu’il y a encore une vingtaine d’années, on avait deux collections par an : printemps/été, automne/hiver.
À cela s’ajoutent les événements ultra-commerciaux comme le Black Friday. Il est arrivé en Europe il y a une dizaine d’années, importé des États-Unis. Ce sont des soldes monstrueuses. Je ne suis pas contre le fait d’acheter en soldes, mais il ne faut pas consommer à outrance au prétexte que c’est le Black Friday. C’est normal que les boutiques puissent écouler leurs stocks. Mais pourquoi ont-ils tant de stocks ? Plus on fabrique, moins on paye cher. S’il y a 50 % de démarque, c’est qu’il y a eu une surproduction.
Et puis, il y a aussi eu l’arrivée de marques d’ultra fast fashion comme la marque chinoise Shein, qui propose des articles à 3 euros. Comment peut-on imaginer qu’un vêtement ne puisse coûter que 3 euros ? Dans toutes les étapes de fabrication, on choisit toujours les prix les plus bas : la filature en Inde, la fabrication au Bangladesh, la matière première produite en Chine... Avec tout ça, 3 euros semble ridicule : c’est environ le prix d’un café. Nous vivons dans un monde de gaspillage intense.
🔴 ACTION CONTRE LA FAST-FASHION DE SHEIN - En plusieurs round, les XRien.nes de Toulouse sont allés rappelé la problématique d'entreprise tel que Shein compte tenu de l'urgence socio-environmentale nous refusons que Shein installe sa folie consumériste ! ❌ pic.twitter.com/xWjazDwcCI
— Extinction Rebellion Toulouse (@xrToulouse) May 28, 2022
Vous évoquez un marketing à outrance, quelles sont les principales cibles de ces grandes firmes ?
Ce sont beaucoup les jeunes filles, à partir de 12-13 ans. Les marques comme Shein ciblent les très jeunes. Quand on est préado on a besoin de vêtements : on grandit, on fait partie de groupes au sein de son collège ou de son lycée, donc on veut ressembler à tout le monde pour se faire accepter. Depuis les années 1950, je pense que les adolescents sont devenus la cible du marketing en général.
Cela s’est emballé à cause des réseaux sociaux notamment, où les influenceurs et les influenceuses font ce qu’on appelle des « hauls » : les marques comme Shein proposent d’offrir entre 800 et 1 000 euros de vêtements en échange d’une vidéo sur YouTube ou TikTok, dans laquelle la personne présente ces articles. Cela leur coûte beaucoup moins cher que de faire de la publicité dans les magazines, qui ne sont plus lus. Ils font aussi de la publicité sur internet grâce aux cookies : dès qu’on est allé une fois sur le site de Shein, on reçoit de la publicité tout le temps, même si l’on a coupé les pubs. C’est très offensif comme stratégie publicitaire.

Comment se désintoxiquer de la fast fashion ?
En parlant de santé publique. C’est très important. Ces vêtements sont toxiques. Au niveau des matières utilisées et des teintures, il y a des métaux lourds, des perturbateurs endocriniens, des maladies de peau, pour les ouvriers du textile, mais aussi pour nous. La peau est un émonctoire, si on transpire, et que de l’eau sort de notre peau, les produits toxiques pénètrent. Il existe des lois comme la réglementation Reach, encadrant certains produits chimiques, mais parfois il y a 130 produits chimiques dans un vêtement. Dont des perturbateurs endocriniens, qui peuvent jouer un rôle dans la baisse de la fertilité. Aujourd’hui, de plus en plus de couples sont face à des problématiques d’infertilité… Sans parler des particules fines de plastique qu’on retrouve partout.
Comment faire pour s’habiller de façon éthique, à la fois pour l’environnement et la santé ?
La seconde main revient en force : aujourd’hui, c’est devenu quelque chose de tendance, avec le retour du vintage. Les friperies fleurissent dans les rues et sur internet, avec Vinted. Après, on ne peut pas tout trouver en seconde main, mais avant de passer à l’achat d’objets neufs il y a d’autres solutions.
On peut faire du troc avec son entourage. Il n’y a plus de questions d’argent comme ça. On peut organiser des trocs dans son collège, dans son lycée, dans son université, avec ses amis, ses collègues de travail. C’est aussi l’occasion de faire un apéro, de se voir, de se parler, d’amener des vêtements qu’on ne porte plus et de repartir avec d’autres choses qui sont proposées par les participants.
Sinon, il y a la réparation de vêtements troués. Par soi-même ou si l’on n’a pas le temps, par les retoucheurs de quartier. À Fashion Revolution, la réparation est le premier levier de consommation responsable. Il y a aussi l’upcycling : si l’on veut un crop top, on peut regarder dans son armoire si un T-shirt peut être coupé court. Ces techniques permettent aussi de reprendre le pouvoir sur son vestiaire, sur son look, sur soi-même.
Pour la semaine européenne de réduction des déchets, Fashion Revolution soutient Repair/e, un événement axé sur la réparation de vêtements qui aura lieu au 30, Faubourg Saint-Antoine, du 19 au 24 novembre, organisé par Good Gang Paris. Ils proposeront des collections réparées à l’achat, et des ateliers réparation pour tous les âges, notamment pour les enfants.